Aller au contenu
Séances précédentes
Séances précédentes
Séances précédentes

Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 135

Le jeudi 15 juin 2023
L’honorable Raymonde Gagné, Présidente


LE SÉNAT

Le jeudi 15 juin 2023

La séance est ouverte à 14 heures, la Présidente étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

La Société des arts populaires de Terre-Neuve-et-Labrador

L’honorable Fabian Manning : Honorables sénateurs, aujourd’hui, j’aurai le plaisir de vous présenter le chapitre 78 de « Notre histoire ».

À Terre-Neuve-et-Labrador, nous nous faisons un point d’honneur de célébrer le patrimoine et la culture qui nous distinguent. Certains de nos fils et de nos filles y consacrent même leur vie, ce qui est une véritable bénédiction pour nous. Bon nombre d’entre eux ont été ou sont membres de la Société des arts populaires de Terre-Neuve-et-Labrador, qui a pour mandat de promouvoir et de préserver les arts populaires traditionnels de la province. Actif depuis 1966, cet organisme organise des activités pédagogiques et culturelles permettant aux artistes de mettre le fruit de leur travail en valeur, en plus d’intéresser les jeunes et le public en général à la transmission de notre patrimoine culturel immatériel.

C’est à la Société des arts populaires qu’on doit la plus ancienne soirée musicale de St. John’s, la Folk Night, au Ship Pub, qui a vu le jour en 1974. Rien de mieux que de passer un mercredi soir dans la plus vieille ville d’Amérique du Nord à écouter certains de nos meilleurs musiciens traditionnels et de nombreux artistes émergents.

La société organise aussi une autre activité annuelle fort populaire, le Young Folk at the Hall, qui se destine surtout aux jeunes artistes de 7 à 18 ans. Cette activité a lieu au célèbre LSPU Hall, où certains des plus grands artistes de la province ont fait leurs débuts.

Le festival folklorique de Terre-Neuve-et-Labrador est l’événement de marque annuel de la Société des arts populaires. Cet été, le festival en sera à sa 47e édition et aura lieu la fin de semaine du 7 au 9 juillet. Après le coup d’envoi au Ship Pub, situé sur la rue Duckworth dans la ville des légendes, les activités se dérouleront au magnifique parc Bannerman, où il sera possible d’entendre ce qui se fait de mieux sur la scène musicale provinciale et de voir une exposition d’œuvres d’art et d’artisanat. Combinez le tout à la douce brise estivale, aux séances d’improvisation musicale ouvertes, aux danses traditionnelles, à une atmosphère chaleureuse et accueillante, et vous avez tous les ingrédients pour créer des souvenirs précieux et impérissables.

Certains de nos meilleurs artistes se sont produits lors des éditions précédentes du festival, notamment Ron Hynes, Anita Best, Shirley Montague, Jim Payne et Fergus O’Byrne, pour n’en nommer que quelques-uns. Et qui pourrait oublier John Joe English de Cape Shore, Gerald Campbell ainsi que Bride et Patsy Judge? Des moments mémorables et de magnifiques souvenirs attendent les participants.

Cette année, le festival reprend encore une fois quelques-unes de nos traditions préférées tout en en proposant de nouvelles afin de célébrer la belle évolution de notre province accueillante. Le festival présentera des artistes d’autres provinces et d’autres régions, comme le Québec et l’Acadie. Le Réseau culturel francophone de Terre-Neuve-et-Labrador sera aussi présent. Qu’on aime la musique traditionnelle de Terre-Neuve-et-Labrador ou d’autres genres musicaux plus actuels, il y en aura pour tous les goûts. Les spectateurs pourront aller voir tout ce qui se passe sur la scène traditionnelle et sur la scène principale. Si vous aimez la musique, la danse, la poésie ou les contes et que vous voulez en apprendre plus sur notre passé et découvrir la richesse de ce que nous offre l’avenir, il ne faut pas rater le festival folklorique de St. John’s.

Voici un petit conseil en terminant. Si on vous parle de « scoff », c’est qu’on vous offre quelque chose à manger. Si on vous parle de « scuff » ou qu’on vous lance les mots « step er out », c’est qu’on vous invite à vous dégourdir les jambes en dansant. Dans les deux cas, la meilleure chose à faire, c’est d’accepter.

Cette année, le très talentueux et populaire groupe de musique folk Rum Ragged montera sur la scène principale et clôturera le festival dimanche soir. Je suis quelque peu subjectif, mais je suis certain que ce sera un grand moment. Ensuite, nous nous rassemblerons tous pour chanter Ode to Newfoundland :

Pour notre Terre-Neuve, patrie bien-aimée.

L’amour de nos aïeux, un phare;

Leurs valeurs, notre espoir; au ciel nous offrons leur prière.

Que Dieu protège Terre-Neuve.

Merci.

Des voix : Bravo!

Visiteur à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de l’honorable Jon Reyes, ministre du Travail et de l’Immigration du Manitoba. Il est l’invité de l’honorable sénatrice Osler.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

La Journée nationale de la sensibilisation à la drépanocytose

L’honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, ce lundi 19 juin, nous célébrerons pour la sixième année la Journée nationale de la sensibilisation à la drépanocytose au Canada. Le Canada est le premier et le seul pays à reconnaître officiellement cette journée qui signifie énormément pour les personnes touchées par cette maladie. Cette journée leur offre une occasion formidable de se réunir et d’échanger sur leurs expériences ainsi que de souligner l’important travail qu’elles effectuent pour faire avancer la sensibilisation à la drépanocytose.

J’ai eu l’immense privilège d’entendre l’histoire de personnes touchées par cette maladie et de partager des moments avec elles. J’ai rencontré des gens formidables qui sont remarquablement dévoués à la cause.

De nombreux événements auront lieu cette fin de semaine pour souligner et célébrer la Journée nationale de la sensibilisation à la drépanocytose. Pas plus tard que ce matin, j’ai eu le plaisir d’assister à un petit déjeuner organisé par le Groupe canado-africain du Sénat. C’était une activité fort agréable. Je suis toujours ravie de faire la connaissance de nouvelles personnes et de revoir de vieux amis qui sont vraiment dévoués et motivés à aider les personnes touchées par la drépanocytose.

Ce samedi à Toronto, je participerai au gala de l’espoir et à la remise des prix qu’organise chaque année le groupe de sensibilisation à la drépanocytose de l’Ontario. Je me réjouis à la perspective de retrouver de vieux amis et d’en rencontrer de nouveaux après avoir dû repousser cette occasion pendant des années et avoir dû nous contenter de rencontres virtuelles à cause de la pandémie. Je sais que les gens du milieu de la drépanocytose sont impatients de se retrouver pour célébrer ensemble.

Enfin, le lundi 19 juin, l’Association d’anémie falciforme du Canada organisera une conférence à l’Université d’Ottawa. Je suis impatiente d’y assister, car je suis convaincue que ce sera très instructif.

Honorables sénateurs, je vous invite à tendre la main aux groupes de votre région qui s’intéressent à la drépanocytose et aux personnes qui en souffrent pour en savoir plus sur cette maladie. L’idée d’une journée nationale de sensibilisation peut sembler simple, mais c’est très important de rassembler tous les groupes du pays, de leur donner l’occasion de faire passer leur message et de célébrer leurs efforts et leurs réalisations extraordinaires. Je souhaite une bonne Journée nationale de la sensibilisation à la drépanocytose à tous les Canadiens.

[Français]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de personnes et de fonctionnaires canadiens travaillant dans le domaine de la drépanocytose. Ils sont les invités des honorables sénatrices Mégie et Gerba.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

La Journée nationale de la sensibilisation à la drépanocytose

L’honorable Marie-Françoise Mégie : Chers collègues, ce fut un honneur pour moi de vous voir en si grand nombre ce matin au déjeuner parlementaire de la drépanocytose. Merci!

Cet événement, organisé en collaboration avec la sénatrice Gerba et sous le patronage du Groupe afro-canadien du Sénat, nous a permis de visionner le pilote du documentaire Souffrir en silence exposant la dure réalité des personnes atteintes d’anémie falciforme et de leurs proches.

Environ une personne sur vingt sur la planète porte le gène de la drépanocytose, et dans certaines régions, on en observe une sur quatre. Cette maladie est plus fréquente chez les personnes dont les ancêtres proviennent de l’Afrique, des Caraïbes, de l’Amérique latine, de l’Inde, du Moyen-Orient et du bassin méditerranéen.

Au Canada, environ 1 enfant sur 2 500 naît avec la maladie. Malheureusement, cette maladie n’est pas assez connue des prestataires de soins de santé.

Un globule rouge normal a la forme d’un disque biconcave. Quand une personne souffre de drépanocytose, cela modifie cette forme pour le rendre rigide et allongé, ce qui ressemble à une faucille, d’où le nom de « maladie falciforme », appelée en anglais sickle cell disease. Pour l’illustrer et comme outil d’enseignement aux patients, on utilise une épinglette à la forme d’un piment fort : cela brûle, cela fait mal, et c’est souffrant.

(1410)

Les manifestations les plus courantes de cette maladie sont les crises de douleurs aiguës et chroniques, allant même jusqu’à un AVC, et ce, à un jeune âge. Ces crises douloureuses sont si intenses qu’elles nécessitent la prise de narcotiques pour les soulager. Ces crises sont répétitives tout au long de la vie de l’enfant. Dans ces cas, quand des jeunes sont admis dans un hôpital où personne n’a de connaissances sur cette maladie, ils sont mal soignés, car ils sont étiquetés comme toxicomanes.

Dans les années 1970, les personnes atteintes de la maladie vivaient rarement au-delà de l’âge de 10 ans. De nos jours, beaucoup de patients vivent jusqu’à la soixantaine.

C’est pourquoi il est important d’accroître la sensibilisation à la drépanocytose, au dépistage néonatal et à la recherche de meilleurs traitements.

Les recherches en thérapie génique au Canada sont prometteuses en vue d’un traitement de cette maladie rare et héréditaire. Espérons que l’éventuel remède sera accessible à tous les gens porteurs de la drépanocytose dans le monde.

Bonne Journée nationale de la sensibilisation à la drépanocytose!

Merci.

[Traduction]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d’Ammar Al-Joundi et de Martin Plante. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Patterson (Nunavut).

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

La société Agnico Eagle

L’honorable Dennis Glen Patterson : Je vous remercie, Votre Honneur. Le président exécutif du conseil d’administration d’Agnico, Sean Boyd, est aussi des nôtres.

Honorables sénateurs, j’ai toujours été d’avis que l’exploitation minière est la clé qui permettra de générer la richesse et les recettes dont les Inuits et le Nunavut ont besoin pour prospérer. C’est donc un honneur pour moi aujourd’hui de souligner la contribution à la société nunavutoise des mines Agnico Eagle.

Depuis 15 ans, cette grande entreprise canadienne a investi plus de 9 milliards de dollars dans notre territoire, ce qui veut dire qu’elle a énormément contribué à son développement socioéconomique. Les organismes inuits reçoivent des millions de dollars grâce aux Ententes sur les répercussions et les avantages pour les Inuits qui ont été négociées. Les sociétés ministères dépensent aussi des millions en salaires, en contrats, en soutien aux projets et en initiatives de toutes sortes. En 2022, par exemple, Agnico Eagle a versé au gouvernement du Nunavut, à la Nunavut Tunngavik Incorporated et à la Kivalliq Inuit Association 62 millions de dollars en taxes foncières, redevances et engagements relatifs aux ententes sur les répercussions et les avantages. Jusqu’à maintenant, ces paiements totalisent 245 millions de dollars. Aussi en 2022, la société minière a versé 33,6 millions de dollars à ses 372 employés inuits et consacré 821 millions de dollars en contrats avec des entreprises inuites.

Agnico est un citoyen corporatif modèle, qui donne en retour aux Nunavummiuts sans compter, qu’il s’agisse d’offrir 5 millions de dollars pour l’université, de soutenir les initiatives en matière de littératie et de santé mentale, de payer 75 % du salaire de ses employés inuits pendant la pandémie pour qu’ils puissent rester en sécurité à la maison, de commanditer le nouvel aréna à Rankin Inlet ou d’explorer des façons de soutenir le logement. Agnico Eagle a toujours été généreuse avec les communautés touchées par ses activités et avec les communautés de l’ensemble du territoire.

Lorsque j’ai été nommé sénateur, en 2009, j’ai assisté à l’ouverture de la mine Meadowbank d’Agnico, la première de l’entreprise au Nunavut. J’avais alors entendu le regretté président de la Nunavut Tunngavik remercier l’entreprise de contribuer à briser le cycle de la pauvreté qui affligeait la communauté voisine de Baker Lake à l’époque. Quand je me suis rendu à Baker Lake, en 2018, une des membres de la communauté m’a expliqué que les emplois stables et à la richesse générée pour les résidants avaient aidé ces derniers à vivre au lieu de simplement survivre. Elle m’a aussi dit que c’était la raison pour laquelle la scène artistique de Baker Lake avait connu une revitalisation.

C’est donc pour moi un immense plaisir de prendre la parole cette année, ma dernière au Sénat, afin de souligner les contributions de cette grande entreprise canadienne dans mon territoire au cours des 15 dernières années. Je souhaite qu’Agnico Eagle poursuive ses activités et contribue au bien-être du Nunavut pendant encore de nombreuses années.

Qujannamiik. Matna. Koana. Taima.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Neil Belanger, de Julia McEathron et de Jeff Ferguson. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Pate.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

[Français]

Le décès de Louis LeBel, C.C.

L’honorable Renée Dupuis : Honorables sénatrices et sénateurs, le 8 juin 2023 à Québec, un grand juriste est décédé. Louis LeBel a été un avocat, un juriste, un auteur, un pédagogue et un juge à la Cour d’appel du Québec, de 1984 à 2000, et à la Cour suprême du Canada, du 7 janvier 2000 au 30 novembre 2014. Il a participé à la réflexion sur les enjeux sociaux qui ont marqué le Québec, le Canada et le monde de la deuxième moitié du XXe siècle jusqu’à ce que le XXIe siècle soit bien établi.

Louis LeBel était un humaniste, un intellectuel sophistiqué, un homme réservé, curieux et indépendant d’esprit. Son engagement dans la communauté juridique a été multiforme. Ses écrits traduisent sa capacité d’analyse fine, son attention à la précision des termes et non seulement des concepts juridiques, ainsi que sa volonté de se distinguer par un style élégant et personnel.

Grâce à sa connaissance approfondie du droit civil québécois et de la common law, le juge LeBel a apporté une contribution unique dans l’approfondissement du bijuridisme caractéristique du régime juridique canadien.

Dans une entrevue qu’il a donnée au lendemain de sa retraite de la Cour suprême, Louis LeBel résumait ainsi ce qu’il retirait de ses 14 ans à la Cour : premièrement, la diversité des affaires entendues, deuxièmement, le sens d’une responsabilité considérable dans le devenir du droit et finalement, la perception de la gravité des enjeux sociaux soulevés par certaines causes.

Comme il le réaffirmait lors de cette entrevue, Louis LeBel considérait que le sérieux du travail de juge pour l’avenir de notre pays impose aux juges un devoir de culture, c’est-à-dire le devoir de continuer à se renseigner, de ne pas s’enfermer seulement dans le droit et de comprendre ce qui se passe autour d’eux.

Les travaux de Louis LeBel ont marqué des générations d’étudiants en droit et d’avocats, et vont continuer d’influencer la jurisprudence canadienne.

J’offre mes condoléances à son épouse, la juriste Louise Poudrier-LeBel, à ses enfants Paul, Catherine et François, de même qu’à ses petits-enfants.

[Traduction]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d’Anthaea-Grace Patricia Dennis ainsi que de sa mère et de sa grand-mère. Elles sont les invitées de l’honorable sénatrice Moodie.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Anthaea-Grace Patricia Dennis

L’honorable Rosemary Moodie : Honorables sénateurs, c’est un plaisir de prendre la parole pour rendre hommage à une jeune femme extraordinaire : Mlle Anthaea-Grace Patricia Dennis. Vous avez peut-être entendu parler de Mlle Dennis. La semaine dernière, elle a fait la une des journaux nationaux pour être entrée dans l’histoire en devenant, à l’âge de 12 ans, la plus jeune diplômée universitaire de l’histoire du Canada.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Moodie : En effet, à l’âge de 12 ans, Mlle Dennis obtiendra un baccalauréat spécialisé en sciences biomédicales de l’Université d’Ottawa. Elle a commencé ses études à l’Université d’Ottawa à l’âge de 8 ans, après que sa mère, Johanna Dennis, a remarqué son talent lorsqu’elle a appris à lire à l’âge de 2 ans. À l’âge de 6 ans, Mlle Dennis a passé un test qui a révélé qu’elle était au niveau de la huitième année.

Mlle Dennis est une véritable chercheuse. Elle a rédigé une thèse de 40 pages sur la relation entre l’activité fonctionnelle dans le cervelet, la partie du cerveau qui est responsable de la coordination de l’équilibre et des mouvements, et le fait d’être droitier ou gaucher. Dans son mémoire, elle conclut que la connexion entre le cerveau et la main est très différente selon que la personne est gauchère ou droitière. Quel que soit l’âge du chercheur, mais surtout à 12 ans, il s’agit de travaux exceptionnels!

(1420)

N’allez pas croire toutefois qu’Anthaea-Grace est seulement une personne particulièrement surdouée comme il y en a quelques-unes par génération. À bien des égards, c’est une jeune fille normale. Elle fait du patin, du théâtre musical, de la danse, de la natation. Elle joue aussi du violon, elle adore passer du temps avec ses amies et — vous l’aurez deviné — elle aime beaucoup apprendre.

Il ne fait aucun doute qu’Anthaea-Grace doit une bonne partie de son succès à sa mère et à sa famille. Je tiens à remercier Mme Johanna Dennis, elle-même une femme exceptionnelle, d’avoir offert à sa fille le soutien, l’éducation et les conditions dont elle avait besoin pour réaliser cet exploit.

Que lui réserve l’avenir? Anthaea-Grace songe à poursuivre ses études et à faire une carrière universitaire, où elle pourra approfondir ses connaissances, faire de la recherche et transmettre son savoir par l’enseignement.

Ce fut un immense plaisir de faire votre connaissance, Anthaea‑Grace, et de constater votre profonde humilité, votre grande intelligence et votre passion pour le savoir. Vous êtes un exemple des immenses possibilités qui existent chez tous les enfants lorsqu’on prend le temps de les découvrir et de les faire germer. Qui sait? Vous pourriez revenir bientôt au Sénat pour témoigner devant un comité ou, dans 18 ans, vous deviendrez peut-être sénatrice. D’ici là, continuez de faire notre fierté. Nous suivrons avec plaisir tout ce que vous entreprendrez. Au nom de tous les sénateurs, toutes nos félicitations, et chapeau!

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Laura Eggerton et de Keith Collins. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice McPhedran.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!


AFFAIRES COURANTES

Aide médicale à mourir

Deuxième rapport du Comité mixte spécial—Dépôt de la réponse du gouvernement

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, la réponse du gouvernement, en date du 13 juin 2023, au deuxième rapport du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, intitulé L’Aide médicale à mourir au Canada : les choix pour les Canadiens, déposé au Sénat le 15 février 2023.

Projet de loi no 1 d’exécution du budget de 2023

Présentation du douzième rapport du Comité des finances nationales

L’honorable Percy Mockler, président du Comité sénatorial permanent des finances nationales, présente le rapport suivant :

Le jeudi 15 juin 2023

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales a l’honneur de présenter son

DOUZIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023, a, conformément à l’ordre de renvoi du mardi 13 juin 2023, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans amendement, mais avec des observations qui sont annexées au présent rapport.

Respectueusement soumis,

Le président,

PERCY MOCKLER

(Le texte des observations figure aux Journaux du Sénat d’aujourd’hui, p. 1839.)

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Loffreda, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

L’étude sur les questions relatives aux banques et au commerce en général

Dépôt du huitième rapport du Comité des banques, du commerce et de l’économie

L’honorable Pamela Wallin : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le huitième rapport (provisoire) du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie intitulé La nécessité d’une stratégie en innovation pour une économie fondée sur les données. Je propose que l’étude du rapport soit inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.

(Sur la motion de la sénatrice Wallin, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

Le Sénat

Adoption de la motion concernant la suspension de la séance de ce soir

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, je propose :

Que, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou toute pratique habituelle, la suspension du soir prévue à l’article 3-3(1) du Règlement soit d’une durée de seulement une heure aujourd’hui, à partir de 18 heures.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

[Français]

La Loi sur le droit d’auteur

Projet de loi modificatif—Première lecture

Son Honneur la Présidente annonce qu’elle a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-294, Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur (interopérabilité), accompagné d’un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Martin, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après‑demain.)

Le Groupe interparlementaire Canada-Japon

La visite annuelle des coprésidents, du 10 au 15 octobre 2022—Dépôt du rapport

L’honorable Stan Kutcher : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport du Groupe interparlementaire Canada-Japon concernant la visite annuelle des coprésidents, tenue à Osaka et à Tokyo, au Japon, du 10 au 15 octobre 2022.

L’Association législative Canada-Chine
Le Groupe interparlementaire Canada-Japon

La réunion annuelle du Forum interparlementaire Asie-Pacifique, tenue du 26 au 29 octobre 2022—Dépôt du rapport

L’honorable Stan Kutcher : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Association législative Canada-Chine et du Groupe interparlementaire Canada-Japon concernant la trentième réunion annuelle du Forum parlementaire Asie-Pacifique (FPAP), tenue à Bangkok, en Thaïlande, du 26 au 29 octobre 2022.

L’Association législative Canada-Chine
Le Groupe interparlementaire Canada-Japon

L’assemblée générale de l’Assemblée interparlementaire de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, tenue du 20 au 25 novembre 2022—Dépôt du rapport

L’honorable Stan Kutcher : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Association législative Canada-Chine et du Groupe interparlementaire Canada-Japon concernant la quarante-troisième Assemblée générale de l’Assemblée interparlementaire de l’Association des nations du Sud-Est (ANASE), tenue à Phnom Penh, au Cambodge, du 20 au 25 novembre 2022.


[Traduction]

PÉRIODE DES QUESTIONS

La sécurité publique

Le Service correctionnel du Canada—Le transfert d’un détenu

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Ma question s’adresse à nouveau au leader du gouvernement libéral.

(1430)

Monsieur le leader, le ministre Mendicino n’était pas le seul à feindre d’être surpris que Paul Bernardo ait été transféré hors d’un établissement à sécurité maximale. On apprend maintenant que le premier ministre a appris la nouvelle du transfert une journée avant son ministre, et que le personnel du Cabinet du premier ministre le savait depuis des mois.

Conformément à une décision de la présidence, monsieur le leader, je ne suis pas autorisé à appeler un chat un chat, mais hier, vos amis sont rapidement venus à la rescousse — avec un autre rappel au Règlement — afin de restreindre davantage notre langage. Je peux dire que le premier ministre incompétent et son ministre ont « feint », « fait semblant » ou « joué la comédie ». Je peux les traiter de « faux jetons » ou dire qu’ils ont pris les Canadiens pour des idiots, mais je ne suis pas autorisé à dire qu’ils ont menti — « mentir » étant le mot qui décrit le mieux ce qu’ils ont fait et qui les caractérise.

Monsieur le leader, les mots me manquent. Cela ne m’arrive pas très souvent.

Sénateur Gold, lorsque quelqu’un dit quelque chose qui n’est pas vrai, qui induit en erreur ou qui est un mensonge, que devrait-on dire au Sénat selon vous?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question et, en tant que fils d’une professeure de langue, d’avoir accepté que je vous enseigne des choses.

Je pense que le meilleur conseil que je puisse donner serait d’écouter le discours très impressionnant que l’ancien chef du Parti conservateur, Erin O’Toole, a prononcé à la Chambre, car il a rappelé à tous les parlementaires — et il s’est inclus là-dedans, ce qui est tout à son honneur —, que le langage utilisé dans le débat et la manière dont on accorde de plus en plus d’attention à la création de capsules vidéo pour profiter des algorithmes et obtenir des « j’aime » servent à dévaloriser la politique et menacent les choses auxquelles nous devrions tous être bien attentifs.

Le sénateur Plett : Je vous remercie de ce conseil.

Je vais vous dire qui nous avons écouté, encore une fois, aujourd’hui : nous avons entendu le ministre Mendicino s’adresser aux médias. Le ministre Mendicino a déclaré avoir invoqué la Loi sur les mesures d’urgence sur l’avis des forces de l’ordre, mais c’est faux, monsieur le leader. Le ministre a aussi affirmé que les « postes de police » de Pékin en territoire canadien sont fermés. Encore une fois, c’est faux. Le ministre a dit que ses amendements au projet de loi C-21 ne ciblent pas les fusils de chasse ou les propriétaires d’armes à feu respectueux des lois. C’est faux. Puis, le premier ministre et le ministre Mendicino ont tous les deux affirmé qu’une note de service au sujet des activités de Pékin pour cibler Michael Chong n’a jamais quitté le Service canadien du renseignement de sécurité, mais, encore une fois, monsieur le leader, c’est faux. Le matin où le scandale SNC-Lavalin a éclaté, le premier ministre a pris la parole devant des journalistes pour affirmer que les allégations du Globe and Mail étaient fausses. Encore une fois, monsieur le leader, c’est faux.

Là, on peut ajouter à cette liste qu’ils étaient au courant du transfert de Paul Bernardo dans une autre prison.

Quel mot puis-je utiliser, monsieur le leader, pour qualifier tout ceci? Outre la leçon de décorum donnée par Erin O’Toole, quel mot peut décrire tout cela? Quel mot serait acceptable à vos yeux ou adéquat pour vos oreilles sensibles — ainsi que celles de vos collègues libéraux?

Le sénateur Gold : Je vous remercie. Si mes oreilles étaient aussi délicates que vous le dites, je ne suis pas sûr que je pourrais entendre vos questions, et encore moins y répondre.

Pour ce qui est de vos nombreuses affirmations, comme j’y ai déjà répondu à de très nombreuses reprises et que je sais que d’autres sénateurs attendent de pouvoir eux aussi poser des questions, je vais vous renvoyer aux réponses que je vous ai déjà données.

Premièrement, j’aimerais mettre une chose au clair, et c’est le fils d’une professeure de langue qui parle : il y a une différence entre une déclaration véridique qui est modifiée par la suite et une déclaration trompeuse ou mensongère.

Deuxièmement, pour ce qui est des questions soulevées par le transfèrement de Paul Bernardo, je répète que nos pensées vont aux proches de Kristen French et de Leslie Mahaffy. Comme vous le savez sans doute et comme je m’apprête à le répéter ici, le ministre a publié une directive ministérielle demandant trois choses au Service correctionnel du Canada. Primo, de mettre les droits des victimes au cœur de son processus décisionnel. Secundo, d’informer les victimes lorsqu’un détenu passe d’un établissement à sécurité maximale à un autre à sécurité moyenne. Tertio, d’informer directement, officiellement et d’avance le ministre de la Sécurité publique lorsque le transfèrement d’un délinquant bien connu ou dangereux est envisagé.

Le ministre pourra aussi compter sur le commissaire à la protection de la vie privée pour que l’on réussisse à servir l’intérêt public sans enfreindre les droits et les attentes légitimes des personnes concernées en matière de protection de la vie privée et des renseignements personnels. Les droits des victimes doivent absolument être au cœur du système correctionnel, et c’est la directive que le ministre a transmise à son personnel et au Service correctionnel.

[Français]

Les droits des victimes

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Ma question s’adresse au sénateur Gold. Je reviens également sur l’affaire Bernardo, qui a suscité beaucoup d’indignation partout au pays et dans les groupes de victimes.

Hier, le ministre Mendicino a prononcé le mot « victime » plus de fois en une heure que son gouvernement ne l’a fait en huit ans. Le ministre n’a jamais parlé des victimes avant l’affaire Bernardo. Soudainement, les victimes d’actes criminels deviennent son centre d’intérêt. Il aurait même émis une directive à son ministère pour s’assurer que les droits des victimes sont au centre des décisions de Service correctionnel Canada.

Depuis huit ans, dans cette enceinte, j’interpelle le représentant du gouvernement pour savoir pourquoi les droits des victimes ne sont pas respectés. Il nous parle d’une directive, mais celle-ci existait en 2015. La loi qui crée la Charte canadienne des droits des victimes est une loi fédérale faisant en sorte que toutes les institutions fédérales doivent la respecter.

Sénateur Gold, pourquoi le ministre Mendicino utilise-t-il maintenant les victimes à des fins personnelles? Pourquoi n’a-t-il pas respecté les familles et pourquoi, surtout, n’a-t-il pas dit la vérité?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Encore une fois, merci pour votre engagement à l’égard des droits des victimes.

Comme je l’ai dit, et vous l’avez bien souligné, le ministre a pris ces décisions pour s’assurer que l’information pertinente soit transmise, non seulement à lui personnellement, mais aux victimes. C’est un pas dans la bonne direction et j’espère que cela va porter ses fruits.

Le sénateur Boisvenu : Sénateur Gold, la directive que le ministre a émise hier pour s’assurer que la Charte des droits des victimes est respectée existe depuis 2015. Cela veut dire que le gouvernement de M. Trudeau aurait émis, en 2015, une directive indiquant de ne pas respecter la charte, puisqu’il dit aujourd’hui de la respecter.

Le ministre, dans toute son empathie à l’égard des victimes, a oublié qu’il est allé à Truro, il y a deux mois, où une quinzaine de familles écoutaient la lecture du rapport du commissaire sur la tuerie de Portapique, et jamais ni lui ni M. Trudeau n’ont rencontré ces familles. Puis tout à coup, il a de la sympathie à l’égard des victimes.

À la lumière des préoccupations soulevées et compte tenu des manquements du ministre à protéger et prioriser les droits des victimes, est-ce que le ministre va démissionner?

Le sénateur Gold : La réponse est non. La question a été posée au ministre et il a dit non.

Aussi, pour répondre au préambule de votre question, cela ne veut pas dire que le gouvernement, parce que le ministre a donné une directive pour s’assurer que l’information lui est transmise, ainsi qu’aux victimes, a, comme vous l’avez suggéré — si j’ai bien compris — donné une directive indiquant de ne pas respecter les victimes.

Ce n’est pas vrai et il n’y a aucun lien logique ou nécessaire entre le fait que la directive a été donnée à cette époque et ce que le gouvernement a fait ou non dans le passé.

L’environnement et le changement climatique

Les crédits d’impôt à l’investissement propre

L’honorable Rosa Galvez : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, les crédits d’impôt à l’investissement propre décrits dans le budget de 2023 visent à réduire nos émissions tout en créant davantage d’énergie propre, dont nous avons besoin pour atteindre l’objectif de l’initiative Accélérateur net zéro avant 2050.

Cela dit, le gouvernement a omis d’inclure l’admissibilité d’une technologie essentielle pour le climat dans sa série de crédits d’impôt à l’investissement, soit la production de biogaz renouvelable à partir de nos déchets organiques.

(1440)

En 2019, j’ai rédigé un rapport pour le Québec qui illustre comment le biogaz peut transformer les émissions de gaz à effet de serre dans nos fermes et nos déchets solides domestiques en source d’énergie propre.

À ce jour, le Canada n’a pas adopté le plein potentiel de cette technologie. Pour développer ces technologies importantes, les municipalités et les agriculteurs ont besoin d’un soutien afin d’être compétitifs en matière d’investissement. Quand le gouvernement inclura-t-il les biogaz renouvelables dans le régime de crédits d’impôt à l’investissement dans les technologies propres?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Comme je l’ai noté, dans le budget de 2023, le gouvernement a fait des investissements transformateurs pour construire une économie propre au Canada et lutter contre les changements climatiques. Pour ce qui est de votre question, je vais la porter à l’attention du ministre concerné.

[Traduction]

L’immigration, les réfugiés et la citoyenneté

L’installation des immigrants

L’honorable Ratna Omidvar : Sénateur Gold, j’ai pour vous une question au sujet de l’immigration. Selon une étude menée par le Mouvement Desjardins, l’immigration à large échelle qui est planifiée — planifiée par le gouvernement, plus précisément, un objectif que j’appuie comme vous le savez — viendra intensifier la croissance réelle du PIB à l’échelle nationale et dans toutes les provinces canadiennes. L’incidence de cette immigration sur la croissance réelle du PIB par habitant sera toutefois plus variée; elle dépendra de l’endroit où les immigrants s’installent et peut-être de la rapidité avec laquelle ils réussiront à utiliser leurs études et leurs qualifications sur le marché du travail. Quoi qu’il en soit, l’immigration aura une réelle incidence sur le logement. L’offre actuelle de logements est insuffisante, ce qui aura pour effet d’accroître la pression sur le prix du logement et aura des répercussions d’un bout à l’autre du pays.

Sénateur Gold, voici ma question : qu’est-ce que le gouvernement prévoit faire pour augmenter l’offre de logements au Canada pour les Canadiens et les immigrants?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie pour cette question. Elle est importante. Il est clair que le Canada est confronté à une pénurie de l’offre, comme le souligne le récent rapport de la Société canadienne d’hypothèques et de logement.

Je l’ai dit à maintes reprises et je ne vais pas m’attarder sur ce point; je vais répondre directement à votre question. Comme le rapportait aujourd’hui encore le Globe and Mail, le problème du logement au Canada est le résultat d’un grand nombre de facteurs qui échappent à la compétence d’un seul gouvernement ou même de tous les gouvernements. Ma réponse est que le gouvernement fait sa part dans l’espoir d’apporter son aide face aux forces du marché et aux forces démographiques qui échappent à son contrôle.

Écoutez, il est difficile pour les Canadiens de trouver des logements abordables dans leurs collectivités. C’est une évidence. Ce que l’on pourrait appeler la « financiarisation » du marché du logement, à savoir le fait que le logement a été utilisé comme véhicule d’investissement, a exacerbé ce problème. Voilà pourquoi le gouvernement a introduit une série de mesures qui nous mettront sur la bonne voie. Nous espérons doubler le nombre de logements construits au Canada au cours des 10 prochaines années, afin d’augmenter rapidement l’offre de logements abordables et de faire en sorte que les maisons servent à loger des familles, et ne soient pas simplement des instruments d’investissement. Le gouvernement a lancé le Fonds pour accélérer la construction de logements, d’une valeur de 4 milliards de dollars, afin d’accélérer la construction et de contribuer à la création de 100 000 nouveaux logements; il a affecté 4 milliards de dollars à la nouvelle Stratégie sur le logement pour les Autochtones en milieu urbain, rural et nordique; et il a réalisé l’investissement le plus important dans les coopératives d’habitation depuis 30 ans, soit 1,5 milliard de dollars.

Voilà ce que fait le gouvernement fédéral, et il espère que d’autres acteurs publics et privés contribueront également à régler le problème.

La sénatrice Omidvar : Merci de cette réponse, sénateur Gold. Le rapport de Desjardins propose également une solution, à savoir la dispersion des immigrants dans toutes les régions de notre pays, et pas seulement dans les zones sensibles de la Colombie-Britannique et de l’Ontario, en particulier dans les provinces des Prairies. Il note que cela réduirait la pression exercée sur les prix et sur l’accessibilité des logements dans certaines régions du Canada, en plus de compenser largement les conséquences d’une immigration accrue sur les prix de l’immobilier.

Pouvez-vous nous aider à comprendre le plan actuel du gouvernement, compte tenu des chiffres actuels de l’immigration, en vue d’une meilleure répartition des immigrants dans le pays? Merci, sénateur Gold.

Le sénateur Gold : Chers collègues, de toute évidence, l’immigration est la clé pour aider les entreprises à trouver les travailleurs dont elles ont besoin pour continuer à faire croître l’économie et notre pays. Le Plan des niveaux d’immigration 2023-2025 veillera à ce que le Canada continue d’accueillir des immigrants à des niveaux ambitieux pour répondre à nos besoins. En mettant l’accent sur l’immigration régionale, ce plan contribuera à renforcer notre système et à faire profiter les collectivités de tout le pays — des Prairies et d’ailleurs — des avantages de l’immigration. Cela inclut, bien sûr, l’importante immigration francophone en dehors du Québec.

Le gouvernement sait que le logement abordable est devenu un obstacle à la réalisation de ces occasions dans de nombreuses collectivités.

Le Plan des niveaux d’immigration 2023-2025 du gouvernement prévoit de sélectionner des personnes ayant les compétences nécessaires pour construire des maisons et de les encourager à s’installer dans les régions du pays où l’on manque de logements. Là encore, le gouvernement contribuera à améliorer la disponibilité des logements. Il attend des provinces, des municipalités et du secteur privé qu’ils fassent de même. Il est essentiel que nous tenions compte de l’immigration, comme vous le soulignez à juste titre, pour remédier à la pénurie de logements, car les nouveaux arrivants font indubitablement partie de la solution.

[Français]

Le Bureau du Conseil privé

Les nominations par le gouverneur en conseil

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Il est facile de constater à quel point l’actuel premier ministre manque de flair politique lorsque vient le temps de procéder à des nominations.

La liste est longue et inquiétante : une gouverneure générale qu ne parle pas les deux langues officielles du pays; une lieutenante‑gouverneure unilingue anglophone au Nouveau‑Brunswick, la seule province bilingue du Canada; la belle‑sœur d’un ministre comme commissaire temporaire à l’éthique; une conseillère spéciale à l’islamophobie ayant tenu des propos discutables sur la laïcité du Québec; un rapporteur officiel qui ne termine pas son mandat parce que sa crédibilité est entachée par ses liens avec la famille du premier ministre, des liens qu’il ne pouvait pas ignorer.

Est-ce que le premier ministre agit seul dans sa bulle lorsque vient le temps de faire des nominations ou a-t-il des conseillers? Si c’est le cas, ne pensez-vous pas qu’il serait temps qu’il les remplace par des gens plus compétents?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci pour la question.

Écoutez, les processus de nomination varient selon les postes et selon les processus mis en place. Ici, au Sénat, on attend avec intérêt des nominations pour combler les vacances. Il s’agit d’un processus qui comprend les membres nommés par le gouvernement, les membres des comités nommés par les provinces.

Le processus est en cours et porte ses fruits pour ce qui est des juges. Comme je l’ai mentionné à plusieurs reprises, oui, il y a des postes à combler, mais quand même, le ministre de la Justice et le gouvernement du Canada ont nommé plus de 600 juges depuis 2015 et continuent de le faire.

Pour ce qui est des autres postes à combler, le processus vise à trouver les personnes qualifiées et s’appuie toujours sur le mérite. Donc, les processus semblent parfois lents, mais ils continuent à permettre de trouver les meilleures personnes pour servir les besoins des Canadiens.

Le sénateur Dagenais : En ce qui concerne la nomination des juges, il y a des lacunes du côté du premier ministre. Pour la deuxième fois en un mois, le juge en chef de la Cour suprême du Canada dénonce publiquement la lenteur du gouvernement pour la nomination des juges.

Selon lui, les nombreux postes de juge vacants sont en quelque sorte une menace à la sécurité et à la démocratie. On sait que la justice est la base d’un pays comme le Canada, alors comment pouvez-vous justifier l’inconscience et l’inaction du premier ministre, particulièrement pour ce qui est de la nomination des juges?

(1450)

Le sénateur Gold : Merci pour la question, monsieur le sénateur. Comme je l’ai expliqué à plusieurs reprises, j’ai un énorme respect pour le juge en chef et son regretté père aussi.

Le gouvernement s’efforce de pourvoir les postes vacants dans diverses provinces, et il y a tout un processus pour chercher des candidats intéressés et qualifiés.

Le ministère s’est entretenu avec des membres de la magistrature et du Barreau afin d’encourager un plus grand nombre de personnes à poser leur candidature. Le gouvernement continue de procéder à ces nominations à un rythme régulier et le nombre de postes vacants continue de diminuer.

[Traduction]

L’emploi et le développement social

Le Programme de reconnaissance des titres de compétences étrangers

L’honorable Andrew Cardozo : J’aimerais revenir sur le dossier de l’immigration, et ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Vous avez parlé du coût de l’immigration, mais nous sommes dans une situation où il y a de nombreux postes à pourvoir et des gens sans emplois. Dans certains cas, la situation relève des provinces, puisque divers ordres professionnels n’autorisent pas l’embauche de personnes qui n’ont pas reçu une formation ou une accréditation canadienne. Quand le gouvernement fédéral va-t-il assouplir les conditions d’admission afin que les immigrants et les professionnels puissent travailler ici? Nous n’avons qu’à penser au domaine médical, où, bien souvent, on ne parvient pas à trouver des médecins de famille et du personnel infirmier, alors que nombre d’immigrants sont médecins ou infirmiers, mais ne peuvent pas décrocher un emploi dans ce domaine.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question. C’est un dossier complexe, et je tenterai de donner une réponse concise.

Vous avez raison de souligner qu’une bonne partie de la situation ne découle pas d’un manque de travailleurs ou d’emplois, mais du fait que les titres de compétence qui permettent aux personnes d’exercer la profession de leur choix sont réglementés par les provinces ou par des organisations relevant des provinces.

Prenons les soins de santé par exemple. Le gouvernement n’a pas le pouvoir de légiférer en matière de soins de santé, mais il a un rôle important à jouer, comme nous le savons tous. À cet égard, au moyen du Programme de reconnaissance des titres de compétences étrangers, le budget de 2022 a prévu une enveloppe de 150 millions de dollars sur cinq ans, ainsi que 30 millions de dollars par la suite pour aider jusqu’à 11 000 professionnels de la santé formés à l’étranger à trouver du travail dans leur domaine chaque année. C’est un exemple important, quoique modeste.

Par ailleurs, le gouvernement et les ministres concernés communiquent avec leurs homologues des provinces et des territoires pour les encourager à adapter leurs règles de façon à faciliter la reconnaissance des titres des travailleurs, et ce, dans tous les domaines touchés. Des initiatives des régions de l’Atlantique ont donné des résultats très prometteurs à cet égard, je n’ai pas la liste sous les yeux, et les discussions se poursuivent.

Encore une fois, le gouvernement assumera son rôle et travaillera avec les provinces et les territoires dans l’espoir d’établir une approche plus généreuse, plus robuste et plus harmonieuse à l’égard de l’accueil des professionnels formés à l’étranger pour leur permettre d’apporter leur contribution au Canada.

L’immigration, les réfugiés et la citoyenneté

L’immigration francophone

L’honorable Andrew Cardozo : Je signale que certains ordres professionnels, dont celui des ingénieurs, manquent tellement de monde qu’ils ont commencé à assouplir leurs normes à l’égard des nouveaux arrivants.

J’aimerais vous poser une question concernant l’immigration francophone.

[Français]

Comme vous le savez peut-être, notre Comité des langues officielles a proposé une politique audacieuse pour écouter les immigrants francophones.

[Traduction]

Que fait le gouvernement fédéral pour attirer des immigrants francophones, tant au Québec que dans le reste du Canada?

[Français]

Le sénateur Gold : Merci pour la question, monsieur le sénateur.

Pour ce qui est de l’approche du gouvernement fédéral pour le Canada, comme je l’ai mentionné, il y a dans le programme que j’ai cité un aspect visant à faire la promotion de l’immigration francophone hors Québec.

Pour ce qui est du Québec, il a son mot à dire — un grand mot même — sur qui s’y installe. Il est reconnu que le gouvernement du Québec met l’accent sur la capacité à parler français ou à apprendre rapidement le français, pour faire en sorte que les immigrants du Québec soient complètement intégrés à la société québécoise.

[Traduction]

La sécurité publique

La responsabilité ministérielle

L’honorable Leo Housakos : Sénateur Gold, la réponse par défaut des membres du Cabinet, y compris le premier ministre, est de prétendre systématiquement ne pas avoir été informé, ni par courriel ni de vive voix. Cela vous semble familier? M. Trudeau a plaidé l’ignorance à propos du député Han Dong. Nous savons maintenant que ce n’était pas vrai. M. Blair a fait de même concernant les menaces proférées contre la famille du député Chong. Mme Joly a fait de même concernant la participation de membres de son personnel à une réception à l’ambassade de Russie. M. Sajjan l’a fait concernant la chute de Kaboul, soutenant qu’il reçoit beaucoup trop de courriels pour tous les lire. Évidemment, c’est inacceptable de la part d’un ministre. C’est carrément de l’incompétence.

M. Mendicino a plaidé l’ignorance dans bien des dossiers, les plus récents étant celui des postes de police illégaux exploités par Pékin au Canada qui étaient toujours ouverts, et maintenant celui du transfèrement de Paul Bernardo d’une prison à sécurité maximale à une prison à sécurité moyenne.

Monsieur le leader du gouvernement, de deux choses l’une, et il n’y a pas de troisième option possible : ou bien le ministre a fourni sciemment de l’information erronée à la Chambre des communes et à la population canadienne, induisant donc tout le monde en erreur, et ce, intentionnellement, ou bien c’est l’anarchie totale dans son cabinet et il a perdu tout contrôle sur son personnel, ce qui témoignerait alors d’un grave manque d’autorité de sa part.

Quelle que soit l’explication, ma question est la suivante : qu’en est-il de la responsabilité ministérielle? Si le ministre ne fait pas ce qui s’impose en démissionnant, pourquoi le premier ministre, en l’occurrence votre chef et le premier dirigeant du Canada, ne fait-il pas, lui, ce qui s’impose en exigeant que le ministre rende des comptes?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question. Permettez-moi d’aborder l’affaire de façon globale. Nous savons qu’il y a des failles dans la communication d’information de diverses sources, notamment des services du renseignement, au gouvernement et aux ministres. Ce problème a été signalé de façon claire dans le rapport qu’a présenté l’honorable David Johnston à titre de rapporteur spécial. Le ministre Mendicino a fait état du même problème en ce qui concerne le dossier de Paul Bernardo. Le cabinet du ministre de la Sécurité publique a commis une erreur dans cette affaire. Je rappelle que le ministre a déclaré hier qu’il avait pris des mesures à l’interne pour éviter que ce genre d’erreur se reproduise.

Pour ce qui est de votre affirmation concernant le ministre Blair, celui-ci a clairement dit qu’il n’était pas au courant de l’information concernant le député Michael Chong et qu’il en avait eu vent pour la première fois en lisant le Globe and Mail. La déclaration du ministre était claire et sans équivoque.

Des témoins ont signalé les failles qui existent dans la structure de communication des renseignements de sécurité. De toute évidence, il faut se pencher là-dessus. Il va sans dire que je m’attends à ce que ce soit l’un des prochains problèmes auxquels on s’attaquera dans le cadre du processus d’examen public, une fois que tous les partis auront convenu d’un mandat et d’une marche à suivre. Il s’agit d’un enjeu important et j’espère que tous les députés le prennent au sérieux, comme il se doit. Les Canadiens méritent qu’on veille à leur sécurité et il nous incombe de régler tous les problèmes qui peuvent exister en ce qui concerne la transmission de l’information.

Le sénateur Housakos : Monsieur le leader du gouvernement, je vous remercie d’avoir mis en évidence le problème avec le gouvernement que vous représentez. Dans votre discours préparé d’avance, vous venez de décrire exactement ce dont je me plains. Ce n’est jamais la faute des ministres ou du premier ministre, mais celle des employés de leur bureau ou des bureaucrates qui ne les ont pas informés, ou c’est à cause d’un trop grand nombre de courriels. C’est là le problème du gouvernement actuel. Il doit arrêter d’agir comme un écolier qui blâme constamment son chien d’avoir mangé ses devoirs. Savez-vous ce que signifie le concept de responsabilité ministérielle? Je pense que, au sein du gouvernement Trudeau, il n’y a plus personne qui comprend comment fonctionne le Parlement.

Je vous poserai deux questions simples. Premièrement, pouvez-vous définir pour cette assemblée le principe de responsabilité ministérielle envers le Parlement? Deuxièmement, si le premier ministre n’est pas disposé à faire assumer sa responsabilité ministérielle au ministre Mendicino, est-ce que c’est parce que personne ne l’a forcé à assumer la sienne?

Le sénateur Gold : Les ministres du gouvernement libéral sont responsables, et ils ont assumé leurs responsabilités. Avec tout le respect que je vous dois, sénateur Housakos, je ne vous dis pas quelles questions poser et je n’ai pas besoin que vous me souffliez les réponses. Je vous remercie.

(1500)

Le Sénat

Hommages aux pages à l’occasion de leur départ

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, cette semaine, nous rendons hommage aux pages du Sénat qui nous quitteront cet été. Sofiya Sapeha entamera à l’automne sa dernière année d’études à l’Université d’Ottawa en administration publique avec une mineure en économie. Cet été, elle continuera à travailler dans la fonction publique.

Une fois diplômée, elle espère poursuivre des études supérieures en sécurité et diplomatie. Sofiya est reconnaissante d’avoir eu l’occasion de représenter la province de l’Ontario et la communauté ukrainienne canadienne dans le cadre du programme des pages du Sénat au cours des deux dernières années et tient à remercier tous ceux qui ont fait de cette expérience un moment mémorable.

Skylar Johnson est très reconnaissante d’avoir eu la chance de participer au programme des pages du Sénat cette année, ainsi que pour toutes les occasions d’apprentissage et le soutien qu’elle a reçu tout au long de son parcours. L’année prochaine, Skylar terminera sa dernière année d’études en communication et sociologie à l’Université d’Ottawa.

[Français]

Projet de loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées

Projet de loi modificatif—Message des Communes—Adoption de certains amendements du Sénat, rejet de certains amendements du Sénat et amendement

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur d’informer le Sénat que j’ai reçu le message suivant de la Chambre des communes :

Le mercredi 14 juin 2023

EXTRAIT,—

Qu’un message soit envoyé au Sénat pour informer Leurs Honneurs que, en ce qui concerne le projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu, la Chambre :

accepte les amendements 1, 4 et 5 apportés par le Sénat;

accepte la proposition du Sénat de faire tous les changements nécessaires à la désignation numérique des dispositions et aux renvois qui découlent des amendements au projet de loi;

rejette respectueusement l’amendement 2 parce qu’il soulève d’importantes préoccupations constitutionnelles en cherchant à réglementer l’industrie de l’assurance en particulier et les contrats en général, qui relèvent tous deux de la compétence provinciale;

propose que l’amendement 3 soit remplacé par ce qui suit :

« Nouvel article 10.1, page 4 : Ajouter, après la ligne 8, ce qui suit :

« Appels

10.1 Toute personne, ou quiconque en son nom, peut, sous réserve de tout règlement, porter en appel auprès d’un organisme désigné par règlement pris en vertu de l’alinéa 11(1)i) toute décision qui, selon le cas;

a) prévoit qu’elle est inadmissible à la prestation canadienne pour les personnes handicapées;

b) porte sur le montant de la prestation canadienne pour les personnes handicapées qui lui a été versée ou qui lui sera versée;

c) est prévue par règlement. » ».

ATTESTÉ

Le greffier intérimaire de la Chambre des communes

Eric Janse

Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le message?

(Sur la motion du sénateur Gold, l’étude du message est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)


[Traduction]

ORDRE DU JOUR

Les travaux du Sénat

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, conformément à l’article 4-13(3) du Règlement, j’informe le Sénat que, lorsque nous passerons aux affaires du gouvernement, le Sénat abordera les travaux dans l’ordre suivant : l’étude de la motion no 111, suivie de l’étude du sixième rapport du Comité sénatorial permanent des transports et des communications, suivie de la deuxième lecture du projet de loi C-41, suivie de la troisième lecture du projet de loi C-13, suivie de tous les autres articles dans l’ordre où ils figurent au Feuilleton.

La bibliothécaire du Parlement

Adoption de la motion tendant à autoriser le renouvellement de sa nomination

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 14 juin 2023, propose :

Que le Sénat approuve le renouvellement de la nomination de Heather Powell Lank à titre de bibliothécaire parlementaire.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

Projet de loi sur les nouvelles en ligne

Adoption du sixième rapport du Comité des transports et des communications

Le Sénat passe à l’étude du sixième rapport du Comité sénatorial permanent des transports et des communications (projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada, avec des amendements), présenté au Sénat le 14 juin 2023.

L’honorable Leo Housakos propose que le rapport soit adopté.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole pour faire adopter le sixième rapport du Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Ce rapport fait un résumé de l’étude et présente les amendements que le comité propose d’apporter au projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada ou, selon son titre abrégé, Loi sur les nouvelles en ligne.

Ce projet de loi a été renvoyé au comité le 18 avril 2023. Le comité y a consacré neuf réunions et a entendu 58 témoins, dont plusieurs fonctionnaires qui étaient présents au moment de l’étude article par article. Le comité a aussi reçu 27 mémoires.

Pendant l’étude article par article, qui s’est fait en une seule réunion, le mardi 13 juin 2023, les sénateurs Carignan, Clement, Cormier, Dasko, Miville-Dechêne, Simons, Wallin et le gouvernement lui-même ont proposé 18 amendements, dont 12 ont été adoptés. Ce qui est intéressant, c’est que, tout comme pour son prédécesseur, le projet de loi C-11, tous les parlementaires, même ses plus ardents défenseurs, ont signalé quelques défauts au comité et proposé des amendements.

J’estime que certains des amendements adoptés ont permis d’améliorer un peu le projet de loi, mais je pense aussi que certains autres pourraient au contraire compliquer encore plus une mesure législative déjà alambiquée et la rendre encore plus difficile à appliquer.

Il y a des amendements raisonnables qui ont été rejetés alors qu’ils auraient été l’occasion parfaite d’améliorer considérablement ce projet de loi imparfait. L’exemple le plus flagrant est peut-être celui d’un amendement proposé par le sénateur Carignan, qui aurait évité aux plateformes d’avoir à verser des sommes pour des hyperliens, y compris ceux que les organes de presses eux-mêmes publient de manière proactive sur ces plateformes.

Il ne s’agit pas de la reproduction d’un article de presse. L’article apparaît sur Facebook, par exemple, sous la forme d’un lien qui renvoie directement au site Web de l’organe de presse. Facebook fournit en fait à l’organe de presse un moyen d’accroître le trafic vers son propre site. C’est pourquoi ce sont les organes de presse eux-mêmes qui publient ces liens sur ces plateformes et qui encouragent les autres à faire de même. L’adoption de cet amendement aurait permis d’éliminer l’une des principales critiques formulées à l’encontre de ce projet de loi. En n’apportant pas de correctifs, on nuit au projet de loi et on court le risque que les plateformes ne permettent plus cette pratique, ce qui nuirait à l’industrie même que ce projet de loi est censé protéger.

Une autre belle occasion ratée est celle qui aurait retiré à CBC/Radio-Canada son admissibilité au programme. Comme l’a souligné le sénateur Carignan en proposant cet amendement — et je suis tout à fait d’accord avec lui dans mes commentaires —, on peut difficilement qualifier la CBC/Radio-Canada d’organe de presse en difficulté. Or, tout ce projet de loi repose soi-disant sur le désir du gouvernement de lancer une bouée de sauvetage aux médias en difficulté.

Les petits organes médiatiques indépendants et les médias ethniques du Canada doivent déjà concurrencer le géant qu’est CBC/Radio-Canada, qui est financée par les fonds publics, pour les revenus publicitaires. C’est déjà un avantage injuste pour CBC/Radio-Canada. Maintenant, grâce à ce régime de financement, elle obtient une part plus importante du gâteau. Cela défie l’imagination qu’elle soit incluse, et encore plus que l’amendement du sénateur Carignan ait été rejeté.

En ce qui a trait aux 12 amendements adoptés au comité, ils visent, entre autres, à modifier le libellé de l’article 2 afin d’élargir la définition pour y inclure expressément les organes de presse communautaires de langue officielle en situation minoritaire, ainsi qu’à modifier l’article 2 pour restreindre la définition des organes de presse autochtones à celles dont l’objectif principal est de produire un contenu de nouvelles. Il s’agit d’un amendement de la sénatrice Simons, et je serais surpris que les médias autochtones l’appuient, car il semble certainement aller à l’encontre de l’importance qu’accordent typiquement, en théorie, les sénateurs nommés par le premier ministre Trudeau à l’écoute et à la prise en considération du point de vue des Autochtones.

(1510)

Plusieurs autres amendements — proposés par les sénateurs Clement, Cormier et Miville-Dechêne — ont été adoptés, y compris, comme mentionné précédemment, certains qui compliquent encore plus le projet de loi, lequel était déjà alambiqué.

La sénatrice Dasko a déposé l’un des amendements qui contribuent le plus à améliorer le projet de loi, qui est profondément imparfait. Il porte sur l’article 27, à la page 11, et limite le pouvoir discrétionnaire du CRTC en ce qui concerne la désignation d’une entreprise de presse admissible. Cela laissera aux entreprises de presse le soin de déterminer elles-mêmes si elles souhaitent participer au programme, plutôt que de se le voir imposer.

Un autre amendement a été proposé par le gouvernement. Je suis étonné que le projet de loi se soit rendu aussi loin avant qu’on y apporte cette correction fort nécessaire. Il s’agit de l’article 36, à la page 15, ligne 11, qui a été amendé pour combler une lacune importante et protéger des informations confidentielles contre la divulgation en cours d’arbitrage. Cet amendement ajoute des exigences et des sanctions liées à la divulgation inappropriée d’informations par la formation arbitrale ou par un arbitre.

À dire vrai, j’ai été surpris que le gouvernement soutienne autant d’amendements proposés par le comité. Malgré tout le temps qu’il a consacré à la rédaction du projet de loi et tous les mois que celui-ci a passés à la Chambre des communes, c’est comme si le gouvernement s’était rendu compte qu’il s’agissait d’un projet de loi vraiment mauvais, mais, comme il avait promis à certains intervenants de le mener à bien, nous en avons été saisis.

Nous voici, les deux Chambres, dans une situation assez délicate à la fin de la session, alors qu’il ne reste que quelques jours au calendrier. Nous allons devoir procéder à la hâte à la troisième lecture, avec un débat limité, afin de renvoyer un projet de loi amendé à l’autre endroit pour qu’il ait le temps de répondre et que nous ayons le temps d’accepter son message avant que nous ne rentrions tous chez nous pour l’été.

Ce n’est pas la façon dont le Parlement devrait fonctionner, mais c’est pourtant caractéristique de la façon dont les choses se passent depuis un certain temps. Le gouvernement fait de grandes promesses qu’il ne tient pas, ou bien il élabore un projet de loi à la dernière minute, de sorte qu’il est mal rédigé et qu’il incombe au Parlement de le corriger, mais en se dépêchant pour respecter l’échéance que le gouvernement s’est lui-même imposée.

Ainsi, malgré toutes les préoccupations soulevées par les témoins, les membres du comité et de nombreux sénateurs, le gouvernement souhaite faire adopter ce projet de loi le plus rapidement possible, le contenu du projet de loi lui-même devenant presque secondaire.

C’est ce qui nous amène au dernier amendement adopté par le comité. Il porte sur l’article 93, qui se trouve à la page 39, et il ajoute un élément après la ligne 24 afin de modifier la date d’entrée en vigueur. Celle-ci aura maintenant lieu six mois après la sanction royale, qui devrait être accordée d’ici quelques jours. Quand ce sera fait, le gouvernement devra indiquer précisément comment il compte aider les petites entreprises sans la collaboration des grandes plateformes et malgré les contrecoups économiques qui risquent fort de se produire.

Maintenant que j’ai fait le tour des amendements, j’aimerais remercier tous les témoins et les sénateurs. Je remercie plus particulièrement M. Owen Ripley, qui fut une présence rassurante pendant les mois qu’auront duré nos délibérations. Merci à Marc‑André Roy et à David Groves, du Bureau du légiste, pour leur excellent travail, à Jed Chong et à Khamla Heminthavong, de la Bibliothèque du Parlement, à l’adjointe administrative du comité, Natassia Ephrem, et à notre greffier, l’imperturbable Vincent Labrosse, qui avait fait un travail exceptionnel lors de l’étude du projet de loi C-11 et qui a été plus qu’à la hauteur pour le projet de loi C-18.

En terminant, je remercie tous mes collègues du comité ainsi que nos excellents employés, qui sont là pour nous soutenir et nous aider à produire les résultats merveilleux que vous voyez. Merci beaucoup, chers collègues.

Une voix : Bravo!

L’honorable Paula Simons : Le sénateur Housakos accepterait‑il de répondre à une question?

Le sénateur Housakos : Absolument.

La sénatrice Simons : Je suis perplexe. C’est peut-être la vitesse à laquelle nous avons fait cela, mais, sénateur Housakos, l’amendement que vous avez décrit n’est pas celui que j’ai proposé ni un que nous avons adopté. Nous avons discuté au comité de la définition des récits autochtones, mais l’amendement que j’ai proposé à l’article 2, comme vous vous en souviendrez j’espère, a simplement éliminé un exemple et en a élargi la portée, au lieu de la restreindre. Puis-je vous aider à améliorer votre compréhension?

Le sénateur Housakos : Ma position demeure celle que j’ai présentée dans le rapport, conformément à mon interprétation. J’ai été cohérent tout au long de l’étude. Je ne pense pas que l’amendement mentionné élargisse vraiment quoi que ce soit; c’est mon opinion. Vous avez le droit de prendre la parole et d’apporter des éclaircissements, sénatrice. Nous avons tous ce privilège. Nous avons aussi le privilège d’accepter que nous ne serons pas d’accord sur tous les sujets. C’est ce que nous faisons ici. Vous êtes donc libre de présenter votre façon d’interpréter votre amendement et la vision que vous en avez, et de le faire dans votre discours. Vous pouvez le faire, bien sûr, maintenant pendant le débat. J’ai droit à mon opinion comme vous avez droit à la vôtre.

Son Honneur la Présidente : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée avec dissidence, et le rapport est adopté.)

Troisième lecture

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi modifié pour la troisième fois?

L’honorable Peter Harder : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5b) du Règlement, je propose que le projet de loi modifié soit lu pour la troisième fois maintenant.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Harder : Merci, madame la Présidente, et merci, chers collègues, de nous laisser commencer ce débat maintenant.

Je prends la parole aujourd’hui sur le territoire ancestral et non cédé du peuple algonquin anishinabe dans le cadre du débat à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-18, la loi sur les nouvelles en ligne. Ce projet de loi oblige les grandes plateformes numériques comme Meta et Google à dédommager les médias d’information canadiens pour la publication de nouvelles en ligne sur leurs plateformes. C’est un projet de loi que nous devons adopter de toute urgence pour le bien de l’industrie et peut-être surtout pour le bien de notre discours public et de notre engagement à l’égard du débat démocratique.

Comme les sénateurs connaissent sans doute bien le projet de loi, je ne vais pas entrer dans les détails. Essentiellement, la loi sur les nouvelles en ligne va encourager les plateformes numériques à conclure des accords commerciaux volontaires entre elles et les médias d’information dont elles publient le contenu sur leurs sites. Celles qui ne concluent pas d’accord seront soumises à un arbitrage sur l’offre finale.

Le problème réside dans le fait que les plateformes numériques tirent des avantages économiques sous la forme de revenus publicitaires provenant de contenu qu’elles ne produisent pas. Dans certains cas, elles paient certains médias pour du contenu, mais dans la majorité des cas, elles ne paient rien.

Le projet de loi C-18 ferait en sorte que ces plateformes ne puissent plus choisir quels médias elles indemnisent. Dans sa forme la plus élémentaire, il s’agit d’un projet de loi qui vise à uniformiser les règles du jeu entre ceux qui ont des accords et ceux qui n’en ont pas.

Bon nombre de ceux qui n’ont pas de tels accords sont des médias d’information de petite et moyenne tailles qui mènent leurs activités avec des budgets infimes, ayant déjà sabré dans les emplois et les salaires. Depuis 2008, le Canada a perdu plus de 460 médias d’information. Il y a à peine cinq mois, Postmedia, qui chapeaute plus de 100 petits et grands journaux à l’échelle du pays, a annoncé des compressions de 11 % dans son personnel.

De nombreux médias d’information que ce projet de loi aidera font déjà des efforts héroïques pour servir la population. J’ai en tête l’exemple concret des médias d’information dans les langues minoritaires de notre pays qui ont aidé la population canadienne en informant les divers groupes des diverses diasporas sur la façon de se protéger contre le coronavirus. Les néo-Canadiens, dont beaucoup ne parlent ni anglais ni français, n’avaient — littéralement — nulle part où aller pour s’informer sur la manière de survivre. Ces médias d’information ont joué un rôle crucial, parfois en fonctionnant à perte. Il est pertinent de se demander s’ils seront toujours là lorsque la prochaine urgence de santé publique surviendra.

D’autres, comme des médias d’information dépourvus de ressources dans les régions rurales et nordiques, continuent de publier au sujet des activités de leur communauté respective, assurant ainsi un lien entre les régions les plus éloignées de notre pays et les grands centres urbains. Ces médias d’information jouent un rôle essentiel dans la période actuelle où le Canada et le reste du monde vivent des tensions polarisantes qui nuisent à notre capacité collective de communiquer les uns avec les autres.

D’autres publications des communautés racisées, des communautés autochtones, et des minorités de langue officielle font un travail remarquable pour informer leur lectorat souvent mal desservi. Cette initiative aidera les intervenants que je viens de mentionner, s’ils souhaitent participer.

Je m’empresse cependant de dire que personne ne devrait considérer le projet de loi C-18 comme une panacée. Ce n’est qu’un programme qui vient s’ajouter à d’autres déjà en place afin d’aider l’industrie de l’information, qui connaît des difficultés, à survivre et, idéalement, à prospérer dans un environnement numérique qui évolue constamment.

Je suis d’avis que l’avenir du journalisme sera façonné non seulement par les médias traditionnels qui ont survécu, mais aussi par les nombreux petits médias qui ont commencé à faire leur apparition et qui ont su s’adapter.

Un certain nombre d’entre eux ont témoigné devant notre comité. L’une de ces publications, The Logic, est une publication exclusivement numérique qui couvre l’économie de l’innovation en offrant des articles de fond sur les organisations, les politiques et les personnes qui changent les choses de façon révolutionnaire. Comme les sénateurs le savent, c’est un dossier qui me tient très à cœur.

(1520)

Malgré le dévouement de The Logic à ce sujet d’avant-garde, elle se trouve dans une position concurrentielle désavantageuse, contrainte de rivaliser avec des organes de presse plus importants qui ont déjà conclu des accords avec les grandes plateformes numériques. Le directeur général de la publication, David Skok, a d’ailleurs déploré le fait qu’il doive compter sur des accords avec des entreprises privées telles que Google pour financer le journalisme de sa publication. The Logic se sent obligée de soutenir cette loi parce que les grandes entreprises technologiques choisissent les médias qu’elles veulent soutenir par voie d’accords volontaires et s’abstiennent d’en soutenir d’autres. Cela crée des conditions de concurrence inégales.

Si nous voulons encourager le développement de publications telles que The Logic — qui, selon moi, représentent l’avenir —, nous ne pouvons pas permettre aux grandes plateformes de ne signer des accords qu’avec les gros joueurs. Cela crée une injustice concurrentielle, et, plus inquiétant encore, cela permet aux grandes entreprises technologiques de choisir les gagnants et les perdants — exactement ce que l’on reproche au gouvernement lorsqu’il lance des initiatives telles que ce projet de loi.

Je pense qu’il est de loin préférable de traiter tout le monde sur un pied d’égalité, en particulier dans un secteur qui fournit un service public aussi important que le journalisme.

En ajoutant cette initiative à d’autres adoptées par le gouvernement, notamment le Fonds du Canada pour les périodiques, l’Initiative de journalisme local et le crédit d’impôt pour la main-d’œuvre journalistique, nous contribuerons à soutenir le secteur, qui continue à trouver ses repères dans le nouvel environnement.

Bien entendu, le projet de loi n’échappe pas à la critique. Certains lui reprochent, par exemple, de maintenir en vie des publications qui n’ont pas fait le travail nécessaire pour s’adapter à la nouvelle réalité. Je laisserai le soin d’en juger à d’autres qui connaissent mieux les efforts déployés par certains de ces médias, dont beaucoup existent depuis des générations.

Je dirais, cependant, que ne pas soutenir ces publications pourrait entraîner la perte de quelque chose de plus important que ces dernières, à savoir l’infrastructure qui soutient l’ensemble de la profession.

En fin de compte, on pourrait perdre des gens d’expérience, des guides, qui aident l’industrie à maintenir sa maturité au fil du temps. Dans le cadre de notre examen du projet de loi, il est apparu clairement que les jeunes diplômés en journalisme ont de moins en moins de mentors vers qui se tourner. Souvent, ces jeunes journalistes sont placés dans des postes de direction qu’ils auraient mis plus de temps à obtenir dans le passé. Le bassin sur lequel comptent même les meilleures publications pour embaucher des jeunes prometteurs s’amenuise d’année en année.

Compte tenu de ce rétrécissement du bassin, faut-il s’étonner que les publications qui se consacrent à la mésinformation et à la désinformation deviennent de plus en plus influentes? Il serait mauvais, même pour les grandes entreprises technologiques, de s’appuyer sur de tels organes pour transmettre de l’information, ce qui m’amène à me demander pourquoi ces entreprises continuent à utiliser des tactiques d’intimidation pour s’opposer à ce projet de loi. Comme vous le savez, les grandes plateformes sont allées jusqu’à expérimenter le blocage de l’accès à l’information sur leurs sites. Cette semaine, Meta a commencé à bloquer l’accès aux actualités pour certains Canadiens sur Facebook, dans le cadre d’un test qui devrait durer presque tout le mois. Google a fait la même chose au début de l’année.

Il ne m’appartient pas de dire si de telles mesures sont contre‑productives pour la réputation canadienne d’une entreprise ou pour ses résultats financiers. L’argument de ces entreprises selon lequel elles ont le droit, dans le cadre du libre marché, de tirer des revenus de la publicité sans rémunérer ceux qui créent le contenu défie toute logique.

Les musiciens qui écrivent des chansons populaires sont payés lorsque ces chansons jouent à la radio. Les dramaturges perçoivent une redevance lorsque leur œuvre est jouée sur une scène, même au théâtre local. Lorsque l’image d’une personnalité est utilisée pour faire la publicité d’un produit, cette personne est payée pour la valeur de la marque personnelle qu’elle a créée après de nombreuses années de travail acharné.

Comme l’a appris Ronald Reagan, si vous voulez utiliser la chanson Born in the U.S.A. comme thème de campagne électorale, vous feriez mieux de demander d’abord l’autorisation d’un certain chanteur surnommé The Boss.

Ces plateformes prétendent que les nouvelles ont peu de valeur pour elles. C’est plutôt difficile à croire. Les gens utilisent les médias sociaux et les moteurs de recherche pour accéder à l’ensemble d’Internet; 77 % des Canadiens s’informent en ligne, 55 % utilisent les plateformes de médias sociaux pour accéder à des nouvelles.

Le professeur Dwayne Winseck, qui a témoigné devant le comité sénatorial, estime que, en 2021, les recettes publicitaires de Google au Canada seulement ont atteint 4,9 milliards de dollars alors que celles de Meta s’élevaient à 4 milliards de dollars.

Ce qui inquiète vraiment ces multinationales étrangères, c’est l’application d’un contrepoids à leur position dominante sur le marché. Des observateurs étrangers, dont les pays envisagent des initiatives de compensation semblables, remarquent ce type de comportement. Damian Collins, un député britannique et ancien ministre responsable des technologies — un député conservateur, en passant — a dit ce qui suit :

Cela en dit long sur les valeurs d’une entreprise comme @Meta : au Canada, elle préfère bloquer les nouvelles plutôt que de verser une modeste rémunération aux entreprises de nouvelles pour la distribution gratuite de leur contenu. Si elle continue dans cette voie, ce sera une grande victoire pour les revendeurs de désinformation.

Ces mêmes observateurs suivent de très près l’expérience canadienne et les mesures prises ici. Le fait que ces géants du Web préfèrent couper l’accès des Canadiens aux nouvelles locales plutôt que de payer leur juste part est un véritable problème.

La communauté internationale évalue également l’efficacité de ce projet de loi, dans bien des cas pour voir s’il peut servir de modèle ailleurs dans le monde.

Le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande sont à mettre en place des mesures législatives semblables alors que les pays de l’Union européenne mettent en œuvre la directive sur le droit d’auteur de l’Union européenne, qui impose des exigences comparables aux plateformes en vue de la rémunération des médias d’information.

Ils créeront sans aucun doute une législation adaptée à leur propre situation. Il se peut même que leurs efforts débouchent sur une version améliorée de notre projet de loi, tout comme nous avons amélioré la version australienne, ce qui m’amène à la question la plus importante : ce projet de loi aurait-il pu être amélioré? L’avenir nous le dira.

Permettez-moi toutefois de dire que le comité qui a examiné le projet de loi C-18 l’a fait de manière rigoureuse et réfléchie et a ajouté un certain nombre d’amendements qui sont soutenus par le gouvernement. Il y a, par exemple, la disposition prévoyant que le régime complet entre en vigueur dans les six mois suivant la sanction royale, la garantie qu’un média ne sera pas obligé de participer au régime s’il ne le souhaite pas, et l’ajout des dispositions concernant les communautés de langues minoritaires officielles ainsi que les communautés noires, autochtones et autres communautés racialisées.

Le gouvernement s’est cependant opposé à un des amendements adoptés par le comité. Cet amendement forcerait les négociateurs à fixer des limites à la négociation en fixant une valeur unique au contenu de nouvelles et en limitant la négociation concernant d’autres éléments de valeur. Je me suis opposé à cet amendement, parce qu’il mènerait probablement à des négociations moins favorables aux médias d’information.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi n’impose aucune limite à ce qui peut, globalement, faire l’objet de négociations entre les partis. Il leur permet de négocier sur des éléments qui n’ont rien à voir avec du contenu de nouvelles. C’est intentionnel. À l’heure actuelle, le projet de loi obligerait le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes à tenir compte non seulement de la valeur du contenu de nouvelles, mais également de celle des renseignements personnels des lecteurs, qui peuvent être utilisés à d’autres fins.

Cet amendement réduit l’indemnisation potentielle des médias. Nul besoin de me croire sur parole. Il suffit d’en parler aux membres de l’industrie, qui sont surpris par cet amendement et estiment qu’il les menotte et avantage les plateformes plus que les médias.

Paul Deegan, président et chef de la direction de Médias d’info Canada, un organisme qui représente 560 publications, a dit :

L’amendement limiterait la capacité des médias d’information de négocier une indemnisation équitable avec les plateformes dominantes. La valeur sera déterminée pendant les négociations.

Pierre-Elliott Levasseur, président de La Presse, partage le même avis :

Cet amendement nous lierait une main derrière le dos et nous paralyserait dans les négociations avec des plateformes nettement avantagées par le déséquilibre de pouvoir significatif entre elles et les médias d’information. La majorité des médias au Canada ont tenté de conclure une entente avec Facebook et Google, mais se sont fait claquer la porte au nez. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne le Québec, où La Presse, les publications de Québecor et les Hebdos ont tous été abandonnés à leur sort. Cet amendement avantage les plateformes aux dépens des médias.

C’est ce que soutient Pierre-Elliott Levasseur.

Permettez-moi, une fois de plus, de souligner l’urgence d’agir. Les géants du Web aimeraient vraiment que le projet de loi soit reporté au-delà de l’été, ce qui réduirait le temps précieux pour négocier des accords indispensables avec des médias qui se trouvent déjà en très mauvaise posture.

Il suffit de penser à l’annonce faite cette semaine par BCE Inc., qui prévoit de consolider sa division des médias d’information en supprimant 1 300 emplois et en fermant ou en vendant neuf stations de radio.

Il n’est pas non plus exagéré de dire que le fondement même de notre démocratie dépend de médias robustes et diversifiés; sans eux, le corps politique ne disposera pas des informations dont il a besoin pour prendre des décisions éclairées sur l’avenir de notre pays.

Si vous en doutez, arrêtez-vous à la situation des pays qui n’ont pas accès à une presse libre et au pouvoir illimité de leurs dirigeants souvent autocratiques. Je ne parle pas seulement des exemples les plus vicieux, comme Vladimir Poutine. Je pense aussi à un pays comme la Hongrie, qui est dirigée par le premier ministre autoritaire, Viktor Orbán. Reporters sans frontières place actuellement la Hongrie au 58e rang mondial au chapitre de la liberté de la presse. Il y a 10 ans, ce pays arrivait au 40e rang.

(1530)

La Turquie est un autre exemple. En avril, pendant la récente campagne électorale, le radiodiffuseur d’État a consacré 60 fois plus de temps d’antenne au président sortant Erdogan — l’éventuel gagnant — qu’à son principal opposant, Kemal Kilicdaroglu.

Auparavant, ces deux États comptaient au nombre des démocraties occidentales relativement fortes.

Au Canada, il va sans dire que la situation n’est pas la même. Néanmoins, nous devons dorénavant faire preuve de plus de vigilance en ce qui concerne la protection de la démocratie.

Si vous croyez que j’exagère, je vous invite à jeter un coup d’œil aux menaces au pluralisme qui sont en train de prendre racine chez nos voisins du Sud — et je ne parle pas du Mexique. Nous ne nous en sommes peut-être pas rendu compte jusqu’ici, mais la démocratie est fragile.

Ce projet de loi est une mesure essentielle qui vise à fournir un certain degré de protection à une de nos institutions démocratiques les plus importantes.

Ce projet de loi doit être adopté et recevoir la sanction royale avant que nous ajournions pour l’été. Nous devons veiller à ce que ceux qui ont besoin de cette mesure puissent en tirer profit avant qu’il ne soit trop tard.

Par conséquent, je vous exhorte à voter pour cette importante mesure à l’étape de la troisième lecture. Merci.

[Français]

Son Honneur la Présidente : Sénateur Dagenais, avez-vous une question?

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Sénateur Harder, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Harder : Non.

[Traduction]

L’honorable Donna Dasko : Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-18, Loi sur les nouvelles en ligne.

Les médias canadiens d’information sont en difficulté, et le projet de C-18 est une partie de la solution.

Bien des médias d’information et, surtout, des journaux connaissent actuellement de grandes difficultés. D’après un sondage que Statistique Canada a mené en 2021 auprès d’éditeurs de journaux, les revenus d’exploitation des journaux canadiens ont diminué de 2,1 milliards de dollars en 2020, soit de 22 % par rapport à il y a deux ans, en 2018.

La diminution des revenus a fait disparaître des médias et des emplois. De 2008 à 2022, plus de 469 médias d’information, dont plus de 300 journaux communautaires, ont fermé leurs portes. En outre, le tiers des postes de journalistes ont disparu depuis 2010.

Pas plus tard qu’hier, Bell Média a annoncé la suppression de 1 300 emplois, surtout dans ses services d’information, dont neuf stations de radio et bureaux étrangers.

Alors la part des revenus publicitaires accaparée par Internet augmente, celle des journaux et des autres médias est au contraire en déclin. Selon des documents gouvernementaux d’information, les revenus que Google et Facebook ont tirés de la publicité numérique en 2021 seraient de 9,7 milliards de dollars au Canada, soit 80 % du total général des revenus publicitaires, à 12 milliards de dollars.

Le projet de loi C-18 vise à rétablir l’équilibre. Il repose sur le principe voulant que les médias d’information n’obtiennent pas un juste revenu des plateformes numériques qui diffusent les nouvelles qu’ils produisent.

Le projet de loi C-18 exige que les grandes plateformes numériques concluent des accords avec des entreprises de nouvelles afin de les rémunérer pour les informations qu’elles fournissent sur leurs plateformes.

Le projet de loi C-18 établit le cadre de ces accords. Si des accords volontaires sont conclus entre les plateformes numériques et les médias d’information admissibles dans certains délais et selon certains critères, les plateformes numériques seront exemptées de la partie obligatoire de la loi, qui consiste à entamer un processus de négociation officielle pouvant mener à l’arbitrage sur l’offre finale. Le CRTC se chargera, entre autres, d’élaborer un code de conduite pour guider le processus de négociation et déterminer si les accords conclus remplissent les conditions d’exemption.

Le projet de loi C-18 est complexe et nécessitait une étude approfondie. Nous avons suivi un bon processus au comité, mais j’estime que nous devions en faire davantage.

Le projet de loi C-18 a été présenté au Sénat pour la première lecture le 2 février. Nous avons entendu le discours du parrain le 7 février, mais ce n’est que le 25 avril que nous avons entendu les premiers témoins au Comité des transports et des communications. La période allant du 7 février au 25 avril donnait beaucoup de temps pour la deuxième lecture pendant des semaines de séance qui, à mon avis, auraient dû être consacrées à l’étude du projet de loi en comité. Nos 10 réunions auraient pu facilement s’étendre à 13, 15 ou même plus. Comparons nos 10 réunions aux 31 réunions que nous avons eues sur le projet de loi C-11, Loi sur la diffusion continue en ligne; je ne dis pas que nous devrions faire la même chose, mais ce projet de loi était un projet de loi sur les communications tout aussi complexe. Je pense que nous avions besoin de plus de temps pour étudier le projet de loi C-18.

Je veux me concentrer sur ce que nous avons appris au comité et sur les questions qui pourraient surgir à l’avenir et que nous n’avons pas pu examiner.

Nos neuf réunions avec témoins — bien sûr, nous avons eu une réunion pour l’étude article par article — ont porté principalement sur les points de vue des intervenants. Les 60 témoins nous ont appris que le projet de loi C-18 bénéficie d’un large soutien, en particulier dans le secteur de la presse, y compris les grandes et les petites organisations représentées, par exemple Médias d’Info Canada, mais qu’il bénéficie également d’un soutien important de la part des radiodiffuseurs, notamment de l’Association canadienne des radiodiffuseurs. Il bénéficie d’un soutien important de la part des éditeurs en ligne et des médias multiculturels.

Quoi qu’il en soit, les deux plateformes numériques que sont Google et Facebook, qui seront désormais considérées comme des exploitants et que la loi chargera de s’entendre avec les entreprises de nouvelles, s’y opposent vigoureusement. Pendant l’examen parlementaire du projet de loi, les deux entreprises ont mené des « études de marché » dans le cadre desquelles certains de leurs utilisateurs et abonnés n’avaient plus accès aux nouvelles sur leurs plateformes. Il n’y a rien de mal à faire des études de marché, mais le moment où celles-ci ont été lancées — et j’en sais quelque chose, puisque j’ai passé 30 ans de ma vie dans ce secteur — était pour le moins provocateur et peut être considéré comme un avertissement pour les autorités et les entreprises de nouvelles du Canada. Le ministre Rodriguez a qualifié ces gestes de menaces, et même le premier ministre s’en est mêlé, accusant les deux entreprises d’intimidation et leur promettant de ne pas reculer.

Quand les deux géants de la technologie ont comparu devant le comité, le 3 mai, et qu’on leur a demandé quelle serait leur réaction si le projet de loi était adopté dans sa forme actuelle, le vice‑président du secteur Nouvelles de Google, Richard Gingras, n’a pas voulu s’avancer. Il a plutôt dit ceci :

Nous avons été clairs sur nos considérations, à savoir si nous devons évaluer la manière dont nous utilisons les liens ou s’il est logique pour nous de continuer à fournir un service comme Google Actualités [...] je n’ai aucune certitude pour l’instant quant à ce que nous pourrions faire.

Facebook a cependant été catégorique. Rachel Curran, responsable des politiques publiques de Meta au Canada, a en effet déclaré ceci :

Étant donné que le projet de loi ne tient pas compte des réalités du fonctionnement de nos plateformes, des préférences des gens qui les utilisent et de la valeur que nous offrons aux éditeurs de presse, nous n’avons pas d’autres choix que de nous y conformer en mettant fin à la disponibilité du contenu de nouvelles au Canada, si le projet de loi C-18 est adopté dans sa forme actuelle.

Ainsi, deux géants de la technologie étrangers très imposants, très puissants et très en colère sont tenus par la loi de négocier avec des entreprises canadiennes beaucoup plus petites. Qu’est-ce qui pourrait mal tourner?

Certains se sont demandé si les menaces de plier bagage de la société étaient réelles ou s’il s’agissait plutôt d’un coup de bluff. Si elles étaient réelles, il y a lieu de s’en préoccuper, car nous avons aussi appris au comité que de nombreux médias d’information comptent sur ces plateformes pour le succès de leurs propres activités commerciales.

(1540)

Jeff Elgie, de Village Media, a d’ailleurs déclaré ceci :

[...] nous profitons grandement du trafic vers nos sites que nous sommes en mesure de monétiser et de nous constituer de nouveaux auditoires et des abonnés que nous aurions autrement du mal à joindre [...] Google et Facebook génèrent près de 50 % de notre trafic de façon continue [...] Vous trouverez des chiffres semblables pour l’ensemble de notre industrie, qu’il s’agisse de médias traditionnels ou nouveaux.

La perte de ce trafic signifierait la fin de l’entreprise.

Cet avis est partagé par la journaliste et commentatrice Jen Gerson, qui a déclaré au comité que « les médias indépendants, ceux en démarrage et ceux qui tentent d’édifier leur marque sur le marché [...] dépendent [...] des médias sociaux pour édifier l’image de marque, se constituer un auditoire et faire passer un réseau ». Elle croit que la perte de Facebook serait grave pour ces entreprises.

Le cadre législatif du projet de loi C-18 met l’accent sur le fait que les médias d’information ne reçoivent pas une indemnisation équitable des plateformes en question, mais comment sera-t-il possible de tenir compte de ces réalités dans le cadre des négociations?

Si nous avions eu ces réunions supplémentaires dont j’ai parlé plus tôt, nous aurions pu inviter un plus grand nombre d’experts afin d’explorer davantage le cadre réglementaire, de mieux en comprendre le fonctionnement et les possibles contradictions, et peut-être d’offrir des solutions. Par exemple, comment la nécessité des accords commerciaux, qui doivent être négociés en privé, s’accorde-t-elle avec les exigences réglementaires concernant la transparence? Nous savons que ces exigences en matière de transparence vont aller en augmentant. Cela me semble très clair. Quelle incidence cette politique aura-t-elle sur Internet et sur l’innovation? La longue liste des exigences à respecter afin d’obtenir une exemption, qui va au-delà d’une indemnisation équitable, va-t-elle créer un fardeau indu sur le processus de négociation commerciale, comme le prétend le témoin Philip Palmer, de l’Internet Society?

On nous a aussi fait part d’autres préoccupations. Notre comité ne s’est pas penché sur la publicité ou le comportement des consommateurs, même si la mouvance de la publicité et des consommateurs sur les plateformes, les médias sociaux et les moteurs de recherche est au cœur de ces développements. Quelles incidences cette politique aura-t-elle sur les consommateurs de nouvelles? Ce seront tous des dossiers importants.

Comme je l’ai dit plus tôt, notre comité a fait un excellent travail dans le temps qui lui a été imparti, adoptant neuf amendements importants pendant une même réunion. Comme les sénateurs Harder et Housakos les ont déjà décrits plus tôt, je ne vais pas tenter de le faire.

Je suis heureuse que mon amendement, qui enlèverait au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes — ou CRTC — la capacité de désigner les entreprises de nouvelles comme admissibles, ait été accepté. Ces entreprises devraient décider par elles-mêmes si elles souhaitent présenter une demande pour faire partie de ce cadre.

Chers collègues, j’aime les médias d’information, et il est pénible de voir ce qui leur arrive aujourd’hui. Je déplore les menaces formulées par les géants de la technologie. Je pense que, malgré ses lacunes, le projet de loi C-18 est notre seul espoir, pour l’instant, d’aider cette industrie, qui est vitale pour notre démocratie. Si toutes les pièces s’emboîtent et que tous les acteurs font leur part, cela pourrait être une mesure merveilleuse qui serait d’une aide précieuse pour le secteur. C’est pourquoi j’ai l’intention de la soutenir aujourd’hui.

Merci.

L’honorable Leo Housakos : Honorables collègues, croyez-le ou non, je pensais, au départ, que je pourrais en fait soutenir ce projet de loi, malgré le rapport que j’ai présenté plus tôt. La version résumée, selon laquelle les journalistes devraient être rémunérés équitablement pour leur travail, semblait assez noble et, chers collègues, nous reconnaissons tous vouloir — conformément à nos réflexes — protéger et garantir une presse libre, indépendante et prospère. C’est essentiel pour notre démocratie et pour notre société.

Je me souviens que dans ma jeunesse, à l’époque où j’étais à l’université, les journaux étaient des outils d’enseignement. Nous comptions tous sur eux et ils nous apportaient plus que de simples informations. Il semble positif de penser que nous cherchons maintenant à sauver, d’une manière noble, le journalisme, puisqu’il se trouve en difficulté. Il suffit toutefois de gratter la surface du projet de loi C-18 pour comprendre que ce n’est pas ce qu’il semble faire réellement.

Certes, les médias d’information traditionnels du pays sont en difficulté. Je dis bien « traditionnels » parce qu’en réalité, le secteur dans son ensemble n’est pas en difficulté. Il est simplement en train d’évoluer, de changer. Le journalisme n’est pas le seul secteur à se transformer : on constate une évolution dans toutes les sphères de la société, y compris dans le fonctionnement de l’industrie de la restauration, l’industrie alimentaire et l’industrie des transports. Le monde numérique entraîne des changements considérables. Nos activités et celles du monde entier se passent de plus en plus en ligne. C’est le progrès. Voilà pourquoi même les radiodiffuseurs traditionnels abandonnent peu à peu leur modèle commercial et leur ancienne façon de faire, parce que le monde entier, les regards et les consommateurs prennent une autre direction.

Est-ce inquiétant compte tenu de l’absence de réglementation et de l’augmentation de la mésinformation et de la désinformation présentes sur Internet? Bien sûr, mais cela ne signifie pas, comme l’a affirmé la députée libérale Lisa Hepfner, que les nouvelles en ligne sont de fausses nouvelles, par exemple.

Je pense qu’il est exagéré d’en arriver à la conclusion que la mésinformation est omniprésente dans les nouvelles en ligne et que les diffuseurs traditionnels transmettent des informations plus justes ou qu’ils ont des normes plus rigoureuses. L’industrie de l’information se régule depuis des années. Elle fixe ses propres normes.

La députée Hepfner devrait avoir honte de dénigrer les Canadiens honnêtes et qui travaillent dur pour gagner leur vie au pays en diffusant des informations solides en ligne. Le fait est que la diffusion en ligne est l’avenir de l’information, et les médias traditionnels le savent fort bien. Ils doivent adapter leur modèle d’entreprise ou ils seront laissés pour compte.

Beaucoup ont adapté leurs modèles. En attendant, les suppressions d’emplois sont vastes, et ce, depuis plusieurs années. Le projet de loi C-18 ne va pas y remédier. J’appuierais le projet de loi si j’étais convaincu qu’il le ferait.

Assurément, il augmentera les revenus des grands organes de presse. Il rendra les grands encore plus grands et les forts encore plus forts. Le projet de loi ne permettra pas d’atteindre l’objectif d’aide à la diversification de l’information locale au pays. Je pense que c’est tout le contraire. Il donnera plus de revenus à Bell Média, Rogers, Québecor, et des tonnes de revenus supplémentaires à CBC/Radio-Canada, l’endroit préféré du gouvernement pour placer l’argent des contribuables.

Je tiens également à exprimer mon inquiétude, chers collègues, au sujet du licenciement de 1 300 employés par Bell Média hier — et nous devrions tous le faire. C’est paradoxal. Beaucoup de gens prétendent que le projet de loi C-18 permettra de sauver les médias et les journalistes.

Eh bien, nous sommes sur le point d’adopter ce projet de loi extrêmement important qui n’est peut-être pas une solution miracle. Je suis d’accord avec le sénateur Harder pour dire qu’il ne s’agit pas d’une solution miracle, mais pourquoi ne pas attendre de voir le résultat? Nous nous empressons d’adopter ce projet de loi. Malgré mes réserves quant au fait que ce projet de loi ne sauvera pas et ne diversifiera pas le journalisme dans notre pays, nous lui donnons tout de même une chance. Comme vous pouvez le constater, nous ne nous détournons pas de l’objectif du gouvernement lorsqu’il cherche à faire adopter ce projet de loi.

Je crois que le journalisme est en train de changer. C’est inévitable. La réalité du monde numérique se transforme et les journalistes doivent évoluer avec elle.

Chers collègues, lorsque nous aurons adopté le projet de loi C-18, les 1 300 employés de Bell Média et tous les journalistes qui ont perdu leur emploi au cours des six derniers mois seront bien entendu réembauchés, n’est-ce pas? Entretemps, les gros bonnets à Bell Média et à la chaîne CTV se la coulent douce. Je dis qu’ils se la coulent douce parce que je sais avec certitude que les coupes faites dans le secteur du journalisme au fil des ans n’équivalent pas à celles qui ont été faites au niveau de la haute direction de ces entreprises. Je vous invite tous à jeter un coup d’œil sur le rapport annuel de Bell Média, Rogers et Québecor pour voir le salaire des dirigeants. Les Canadiens pensent qu’il y a des privilégiés et des empêcheurs de tourner en rond au Sénat. Qu’ils aillent jeter un coup d’œil aux salaires des vice-présidents des entreprises que j’ai mentionnées. C’est stupéfiant. Qu’ils aillent voir le salaire que touchent ces gens qui semblent si préoccupés au sujet du journalisme et de notre démocratie, en comparaison avec celui de certains journalistes canadiens qui font un travail acharné.

Je suis sidéré d’entendre les beaux discours du gouvernement sur l’importance de se fier aux données scientifiques et d’adopter la technologie, mais de voir qu’il fait exactement le contraire lorsqu’il s’agit des médias numériques sur Internet. En fait, les entreprises comme Bell doivent s’adapter à la réalité d’Internet.

L’autre réalité, c’est qu’aucun des travailleurs qui ont été licenciés hier ne seront réembauchés une fois que ce projet de loi aura été adopté. Je suis prêt à parier là-dessus et à participer à la discussion lorsque nous examinerons les résultats de cette mesure dans quelques mois, voire dans quelques années.

Contrairement à ce qu’ils ont laissé entendre lorsqu’ils ont dit que les choses auraient été différentes si le projet de loi C-18 avait été adopté plus tôt — le problème est plutôt que nous ne sommes pas intervenus assez rapidement, et c’est notre faute —, aucune des personnes qui ont été mises à pied hier n’aurait conservé son emploi si le projet de loi C-18 avait été adopté un, deux ou six mois plus tôt. Je tiens à souligner à quel point la décision de Bell Média est cynique, compte tenu du moment choisi et du fait que l’entreprise a jeté le blâme sur le fardeau réglementaire et sur la lenteur à adopter le projet de loi C-18. Je constate cependant que, contrairement aux réactions de Facebook et de Google au sujet des conséquences du projet de loi C-18, la décision de Bell n’a pas été remise en question par le ministre Rodriguez. Le ministre n’a pas déploré le moment choisi, il n’a pas accusé l’entreprise de se livrer à des tactiques d’intimidation, et il n’a pas dit qu’il ne se laisserait pas intimider.

(1550)

Honorables collègues, Meta et YouTube embauchent des gens de partout au pays depuis des années. Je vous invite à aller à n’importe quel endroit au pays où Google, Meta et Facebook mènent des activités, et à visiter leurs locaux. Ils engagent de jeunes Canadiens à un rythme sans précédent. Je parle bien de ces géants du numérique que le gouvernement dit vouloir rappeler à l’ordre sous prétexte que ces horribles multinationales nuiraient à notre mode de vie. Allez vous informer sur les emplois qu’occupent les milliers de jeunes ingénieurs et programmeurs diplômés des écoles de technologies de l’information et sur leur milieu de travail.

Je suis allé visiter quelques-uns des bureaux de Google l’année dernière et je peux vous dire que j’aurais souhaité avoir 25 ou 30 ans de nouveau. Les jeunes de cette génération savent comment travailler, comment innover et arriver à l’équilibre entre travail et famille. J’ai été très impressionné, et l’avenir est prometteur. Il faut cependant les soutenir et leur donner l’occasion de croître, de prospérer et de continuer d’innover.

En outre, il devrait avoir de l’empathie — je parle de mon bon ami le ministre Rodriguez — pour ceux qui ont perdu leur emploi hier, mais j’ai remarqué qu’il n’avait rien dit au sujet de ceux qui ont pris la décision et qu’il n’avait pas dénoncé le moment choisi non plus. C’est parce qu’il est très facile de démoniser les grandes sociétés technologiques.

Je ne suis pas non plus d’accord avec tout ce que font ces entreprises. Je ne pense pas que Meta et Alphabet soient parfaites. Aucune entreprise ne devrait avoir les coudées franches, mais je ne défends pas non plus la direction de Bell Média, de Rogers Communications ou de Shaw Communications, et je ne prends pas parti pour l’un ou l’autre. J’ai l’impression, en examinant ce projet de loi, que le gouvernement est enclin à continuer de défendre la radiodiffusion traditionnelle. Or, nous savons tous — et c’est un débat que nous avons eu avec le projet de loi C-11 — que cette radiodiffusion traditionnelle est morte et enterrée, mais le gouvernement continue de se ranger du côté des grandes entreprises : Bell Média, Rogers et Québecor. Ce sont des géants dans ce pays, et ils ne le sont pas parce qu’ils offrent le meilleur service au prix le plus bas. Nous sommes, pour la plupart d’entre nous, assez âgés pour payer des factures de câble tous les mois. Jetez un coup d’œil à cette facture. Appelez vos amis dans le sud des États-Unis, en Europe ou ailleurs dans le monde et comparez vos factures de câble.

Le sénateur MacDonald : Ou nos factures de téléphone.

Le sénateur Housakos : Il y a des factures à payer pour le téléphone cellulaire et la connexion Internet, n’est-ce pas? Voyez ce que ces géants font payer aux Canadiens par rapport aux prix facturés dans les autres pays.

S’ils sont devenus aussi gros, c’est qu’ils exploitent les consommateurs et les contribuables et que la réglementation actuelle, instaurée par le CRTC et les gouvernements successifs — libéraux, conservateurs et autres — les protègent depuis des décennies. Il faut un jour se porter à la défense des consommateurs et des Canadiens en disant : « Ça suffit! Il y a du bon dans la concurrence. » Cessons d’intervenir et de vouloir mettre tout le monde sur un pied d’égalité chaque fois qu’un modèle d’affaires ne fonctionne pas parce que l’un des joueurs est plus innovateur et efficient et qu’il réussit à offrir un meilleur service à la clientèle. En faisant cela, nous aidons ceux qui ont les moins bonnes idées et les moins bons résultats financiers, et nous les aidons en leur donnant des deniers publics. Appelons les choses par leur nom : il s’agit d’extorsion dans le but de préserver le statu quo.

Les grandes entreprises technologiques ne volent pas de contenu. Elles ne profitent pas du travail des journalistes en ne les rémunérant pas suffisamment. En fait, aucun journaliste ne gagnera un sou de plus grâce à l’adoption du projet de loi C-18. N’oublions surtout pas qu’une grande partie du contenu qui serait supposément volé par les entreprises technologiques a été téléversé sur les plateformes par les journalistes eux-mêmes.

Comme je l’ai dit à maintes reprises, ces plateformes fournissent un service à des médias d’information pour diriger les internautes vers leurs produits et leur contenu. Il n’est pas question de reproduction de contenu sans attribution ou indemnisation équitable. ll n’est pas non plus question de liens qui dirigent les consommateurs vers les sites Web de Global News ou de CTV News.

Je considère que Facebook est l’équivalent d’Uber ou même d’un chauffeur de taxi, et que Global News est l’équivalent d’un restaurant. Nous attendrions-nous à ce que le chauffeur de taxi donne au restaurant un pourcentage du prix de la course qu’il vient de faire? Évidemment pas. Ce n’est pas parce que quelqu’un a trouvé une façon de faire de l’argent avec le produit d’un autre, comme dans ce cas-ci, qu’on peut dire qu’il l’a volé. Cela ne signifie pas que le fabricant du produit en question est payé moins équitablement. Tant et aussi longtemps que les lois sur le droit d’auteur sont respectées — et elles le sont ici — rien n’est volé.

Aucun d’entre nous n’est forcé de publier son travail sur Internet. Néanmoins, les sénateurs, les restaurants locaux, toutes les entreprises au pays et des artistes de toutes catégories publient le fruit de leur travail sur des sites Web. Tout le monde le fait pour amplifier la portée de son travail. Ainsi, plus de résidants de nos provinces respectives prennent connaissance du travail que nous faisons au Sénat pour défendre leurs intérêts.

Les journalistes ajoutent des liens vers leurs articles sur Facebook pour faire rayonner leur travail; plus de gens consultent ainsi leur site Web. Par exemple, si un journaliste de La Presse, à Montréal, publie des liens vers ses articles sur sa page Facebook, c’est parce qu’il bénéficie du fait que des gens sont ainsi redirigés vers le site Web du journal, qui propose évidemment un accès payant. Si plus de gens consultent le site parce que le journaliste fait ainsi la promotion du produit, les revenus augmentent et l’entreprise croît.

En passant, pour revenir à un point que j’ai soulevé plus tôt, bien des entreprises de la presse écrite prospèrent au pays grâce aux plateformes numériques. Une bonne partie d’entre elles méritent des éloges parce qu’elles ont été avant-gardistes : elles ont réalisé qu’elles devaient s’ajuster. Le Globe and Mail l’a fait. Ce journal est toujours aussi efficace aujourd’hui qu’il l’était lorsque j’étais enfant. Il publie d’excellents articles. Il offre toujours un excellent produit et il continue à faire de l’argent. Cependant, il a aussi fait partie des premiers à conclure une entente avec ces plateformes, et les plateformes avaient conscience qu’elles avaient avantage à conclure une entente pour avoir accès à ce produit de qualité.

Il y a beaucoup d’autres exemples de ce genre. Une de mes collègues qui a pris la parole plus tôt a cité Village Media. Ce journal est une grande réussite, tout comme la Western Standard News Media Corp. Il y en a tellement, et je ne veux vraiment en oublier aucun, mais Blacklock’s Reporter en est un autre. Il s’agit d’un journal numérique par abonnement en ligne. Il se porte toujours aussi bien.

Chers collègues, le gouvernement est le seul qui essaie de voler le contenu de ces médias. Ils poursuivent actuellement le gouvernement Trudeau, qui veut protéger les organisations journalistiques indépendantes, car il a pris leur produit et l’a diffusé dans les ministères sans leur donner ce qui leur revient. Le projet de loi C-18 ne va-t-il pas toutefois sauver l’industrie? Pourquoi ne commençons-nous pas par demander à nos ministères de respecter les accès payants des journalistes et de respecter leur contenu avant d’adopter des lois pour protéger certains géants?

Les médias traditionnels et certains journalistes ont eux-mêmes du mal à s’adapter au monde numérique et à ce que cela signifie pour la diffusion et la consommation des nouvelles. Le gouvernement et beaucoup de gens dans les médias pensent qu’ils remportent une victoire en s’en prenant aux grandes entreprises technologiques et en les poussant au point où des plateformes comme Meta et Alphabet cesseront de promouvoir leur contenu, mais ce n’est pas le cas. Je crains que le projet de loi n’ait l’effet inverse de celui escompté.

Nous avons vu à quel point Meta est déterminée à stopper la diffusion de nouvelles. Je crois que cela va arriver. Je vois mal comment une entreprise qui a comme modèle d’affaires d’offrir le choix aux consommateurs et de diriger gratuitement le trafic Web à sa guise continuerait de le faire au nom des médias et des journalistes de ce monde si elle doit payer pour ce faire. C’est ce modèle même qui serait compromis, et ce sont les consommateurs canadiens qui perdront au change. Les contribuables seront pénalisés, car je crois qu’il y a aura une croissance négative. Certains témoins, dont des regroupements de journalistes de la presse écrite, nous ont dit que, grâce à Meta, le trafic sur leur site Web a augmenté de 31, 32 et même 33 %.

Nous savons tous que le seul moyen de faire de l’argent, qu’on soit journaliste, qu’on vende des hot-dogs ou qu’on exploite une petite station-service, c’est de générer du trafic et de rendre son produit attrayant. Les seuls qui n’ont pas besoin d’attirer les gens, ce sont les organismes gouvernementaux et les sociétés d’État, car comme ils peuvent compter sur l’argent des contribuables, ils n’ont pas besoin de se démarquer autant ni d’être aussi bons. C’est la stricte vérité.

Facebook et Google en sont au point où, comme n’importe quelle entreprise que le gouvernement veut réglementer et à qui il souhaite dicter ses façons de faire, elles doivent commencer à se dire : « Mieux vaut plier bagage et aller voir ailleurs parce qu’il y n’y aucun avenir ici. » Une fois de plus, c’est le Canada qui sera pénalisé, parce que nous vivons...

[Français]

Son Honneur la Présidente : Je suis désolée, sénateur Housakos, mais votre temps de parole est écoulé.

[Traduction]

Le sénateur Housakos : Pourrais-je avoir cinq minutes de plus pour terminer mon intervention?

Des voix : Non.

[Français]

Son Honneur la Présidente : Le consentement n’est pas accordé.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, madame la Présidente. Je prends la parole dans le cadre du débat, cette fois-ci.

Je n’ai pas l’intention de faire obstruction à ce qui pourrait devenir une planche de survie financière pour certains médias traditionnels du pays, bien que je croie que l’on ne les sauvera pas tous.

Le dernier rapport sur l’investissement annuel du gouvernement fédéral en publicité nous montre clairement qu’il a consacré plus de 55 % de son budget aux médias numériques qui sont visés par le projet de loi C-18. Cela représente 64 millions de dollars par opposition à 53 millions de dollars dans nos journaux, nos radios et nos stations de télévision.

(1600)

Je me disais : « Comment peut-on réconcilier le fait que le gouvernement veut adopter une loi pour taxer les GAFA au profit des médias traditionnels, alors qu’il est en grande partie responsable de leur appauvrissement en raison de ses choix publicitaires? » C’était ma participation au débat.

[Traduction]

L’honorable Andrew Cardozo : Honorables sénateurs, je suis heureux de prendre la parole pour dire quelques mots au sujet du projet de loi C-18. Nous avons entendu un certain nombre de Canadiens s’exprimer sur ce projet de loi, et j’ai écouté les nombreux discours que nous avons entendus au cours du processus, surtout aujourd’hui. Je présenterai mes brèves observations en trois parties. Je vais d’abord parler de l’objectif du projet de loi. Ensuite, j’aborderai le rôle du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes dans la supervision de l’application du projet de loi. Je parlerai enfin du contexte plus large.

[Français]

Le projet de loi C-18 vise à équilibrer le rapport de forces sur le marché des nouvelles numériques, dans le but d’assurer la rémunération juste et équitable des médias et des journalistes canadiens. Il crée un nouveau cadre législatif réglementaire. Par ailleurs, le projet de loi élargit le mandat et le pouvoir du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le CRTC.

[Traduction]

Le projet de loi C-18 vise à équilibrer le rapport de force sur le marché des nouvelles numériques et ainsi assurer une rémunération équitable aux médias et aux journalistes canadiens. Il crée un nouveau cadre législatif et réglementaire afin de permettre aux intermédiaires de nouvelles numériques, par exemple Google et Facebook, de négocier des accords. C’est l’objectif au cœur du projet de loi : négocier des accords avec les médias canadiens les autorisant à diffuser le contenu généré par ceux-ci sur leurs plateformes.

Le projet de loi met également en place un processus de négociation issu d’une réflexion créative pour permettre aux médias plus petits de négocier collectivement. Il confère au CRTC la responsabilité de l’élaboration des mesures réglementaires nécessaires, et du code de conduite, pour encadrer les négociations entre les intermédiaires de nouvelles numériques et les entreprises de nouvelles à propos du contenu. Il confie également au CRTC le mandat d’évaluer les ententes conclues indépendamment du processus de négociation afin de s’assurer qu’elles remplissent les conditions d’exemption.

J’aimerais maintenant vous faire part de mes observations à l’égard du CRTC, dans le contexte de ce projet de loi. Lors de mes interventions dans cette enceinte, j’ai déjà abordé — au moins deux fois — le rôle général du CRTC par rapport à ce projet de loi. Loin de moi l’idée de me répéter, mais j’aimerais résumer certaines des critiques envers le CRTC. J’y ajouterai mon opinion, à la lumière de mon expérience avec cette organisation.

Le CRTC est un organisme indépendant qui supervise ou met en œuvre plusieurs lois et le fait de manière plutôt diligente; il tient parfois tête au Cabinet et au gouverneur en conseil lorsqu’il n’est pas d’accord avec lui. Bien que les commissaires soient toujours nommés par le Cabinet fédéral, le processus de sélection des commissaires est ouvert et transparent, et les gens doivent poser leur candidature. Une fois nommés, ils doivent éviter toute interaction avec les ministres et les parlementaires, et ce, avec beaucoup de diligence.

Je dois vous dire que, lorsque j’ai été nommé, le directeur des nominations m’a fait un petit sermon à ce sujet. Je n’ai pas vu pendant six ans des députés de différents partis que je connaissais. Au bout de ces six années, je suis allé les rencontrer et j’ai découvert que leurs enfants avaient grandi et qu’ils étaient eux-mêmes plus vieux et plus grisonnants. C’était comme si j’avais été en prison pendant six ans. Il y a beaucoup de gens avec qui je n’ai eu aucun contact pendant ces six années.

Il a été dit que le CRTC pouvait désigner des parties sur un coup de tête. Eh bien, laissez-moi vous dire que le CRTC n’agit pas et ne peut pas agir sur un coup de tête. Il en est incapable, et c’est prévu ainsi. Lorsque j’étais au CRTC, un de mes collègues a déployé beaucoup d’efforts pour que le CRTC se prononce sur le champ sur certaines questions. Il a essayé pendant toute la durée de son mandat et n’a pas réussi. Le processus est toujours réfléchi et les décisions ne sont pas prises sur un coup de tête, pour le meilleur ou pour le pire. Le CRTC procède toujours à des consultations approfondies avant de finaliser ses règlements dans le cadre d’un processus qui comporte souvent deux cycles de négociations.

Enfin, le CRTC est, à mon avis, bien équipé pour assumer la responsabilité en question, car il réglemente la radiodiffusion, ce qui inclut la radiodiffusion d’informations. Il élargira donc son champ d’action, pour couvrir à la fois la presse écrite et l’information en ligne. En ce sens, il y a des choses que le CRTC doit apprendre, mais il a certainement une base en place.

Mettons brièvement les choses en perspective. Le printemps 2023 est un jalon historique; il lui faudrait un nom. On se souvient du Printemps arabe, mais je crois que le printemps de l’intelligence artificielle, celui de 2023, est une période très intéressante. C’est le moment où l’intelligence artificielle a envahi le monde numérique et probablement aussi le monde entier. Le monde a changé depuis l’arrivée de ChatGPT et des autres applications d’intelligence artificielle générative. Avec la polarisation croissante de la société au Canada et ailleurs sur la planète, les projets de loi de ce genre deviennent d’autant plus importants.

Le projet de loi que nous étudions défend-il les médias du passé et les médias en difficulté? Peut-être que oui, peut-être que non. Si ce projet de loi défend des médias qui sont irrémédiablement en déclin, il faut tout de même faire tout ce qui est en notre pouvoir pour sauver les médias libres et sérieux qui cherchent habituellement à être objectifs et qui veillent à la qualité de leur contenu. Il faut surtout éviter que les réseaux sociaux individualisés, qui, comme nous le savons, tendent à être fortement partiaux, à adopter une perspective étroite et à manquer de fiabilité, deviennent la seule source d’information.

Comme certains l’ont dit, de nombreux médias numériques aussi rigoureux que les médias traditionnels se développent, mais il s’agit habituellement de petits joueurs qui en arrachent. Tant que ces médias n’auront pas les reins assez solides pour offrir la même qualité, la même rigueur et la même hauteur de vue que les médias traditionnels, il faudra aider ces derniers. Le monde numérique cloisonne la société au lieu de susciter un dialogue juste et respectueux entre les membres de la population.

Devant les menaces de représailles des géants du Web dans l’affrontement entre les gouvernements démocratiquement élus et les sociétés multilatérales il est vital que la démocratie demeure ferme. En fait, les géants du Web illustrent très bien la nécessité de ce projet de loi. Notre société démocratique et harmonieuse est en train de sombrer dans un mouvement de désintégration sociale sauvage.

Compte tenu de ces raisons, je crois fermement que nous devons faire tout en notre pouvoir pour sauver et renforcer les médias traditionnels, qu’il s’agisse des médias imprimés, radiophoniques et télévisuels ou en ligne. Il s’agit d’une étape parmi tant d’autres pour soutenir des médias libres et objectifs, et pour protéger notre démocratie, qui est actuellement plus fragile qu’elle ne l’a jamais été depuis de nombreuses décennies.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Je vois que le sénateur Housakos a une question. Sénateur Cardozo, acceptez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Cardozo : Nous manquons de temps. Une petite question, bien sûr. Je suis toujours flatté lorsque le sénateur Housakos me pose une question.

L’honorable Leo Housakos : Je vous remercie. Je suis heureux que vous pensiez ainsi. C’est une question simple.

Le gouvernement affirme qu’il s’est engagé à aider la presse écrite et les divers médias locaux et régionaux. Pouvez-vous m’expliquer pourquoi il dépense environ 140 millions de dollars par an pour avoir l’appui des médias pour toutes les agences gouvernementales, et pourquoi il ne consacre qu’un maximum de 2 à 2,5 % aux médias ethniques et locaux, alors que le reste du budget va aux géants de la radiodiffusion au Canada?

Le sénateur Cardozo : Ce n’est pas moi qui établis ces budgets, mais je ne suis pas du tout en désaccord avec vous. Je pense que, ce que nous essayons de faire ici, c’est d’aider les médias.

L’une des questions que vous et moi avons posées à un certain nombre de personnes qui ont comparu devant nous en comité est de savoir ce qu’il allait advenir des petits médias, des médias ethniques, et ainsi de suite. Les propos des témoins australiens figurent parmi les choses qui m’ont le plus rassuré, car selon eux, les petits médias ont obtenu beaucoup plus de ressources que les grosses boîtes. Voilà qui me rassure un tant soit peu. Il s’agira assurément d’un dossier à suivre, mais au moins il en a été beaucoup question au comité. Je vous remercie.

(1610)

[Français]

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Honorables sénateurs, je veux m’exprimer à l’étape de la troisième lecture sur le projet de loi C-18, auquel je me suis intéressée de près. J’ai été interpellée par ce projet de loi d’abord en raison de mon ancienne vie de journaliste, mais aussi parce que j’ai rencontré plusieurs groupes, lu beaucoup d’analyses et de rapports et j’ai participé à son étude détaillée au Comité sénatorial permanent des transports et des communications.

À la base, le projet de loi C-18 s’appuie sur un constat réel : plusieurs médias — surtout les médias traditionnels, autres que Radio-Canada/CBC — sont en difficulté financière depuis qu’ils ont perdu une part importante de leurs revenus publicitaires au profit des géants comme Facebook et Google, qui en mènent en effet très large — trop large, diront certains — dans notre démocratie.

C’est un fait, et le gouvernement a eu raison de vouloir intervenir, parce que l’information et le journalisme ont une valeur publique importante dans toute démocratie.

La solution retenue s’inspire du modèle australien, qui consiste à forcer la main des plateformes pour qu’elles négocient des ententes de rémunération avec les médias, sous peine d’être désignées par la loi et assujetties à un régime qui impose l’arbitrage. Le comité a adopté un amendement, que j’ai proposé, afin de préciser que le projet de loi entrera en vigueur au plus tard six mois après la sanction royale, ce qui constitue, en quelque sorte, la « fenêtre » que Google et Facebook ont pour conclure des ententes volontaires avec les médias.

L’étude au comité a toutefois révélé que le projet de loi C-18 comporte certaines faiblesses, qui sont une source d’inquiétude pour moi.

Je m’en inquiète, parce que je souhaite que Google et Facebook — qui sont indirectement responsables de la crise des médias — contribuent à la viabilité économique de ces entreprises et parce que je souhaite ardemment que Google et Facebook continuent de diffuser les contenus journalistiques canadiens.

Malheureusement, certaines particularités du projet de loi C-18 pourraient faire en sorte que les plateformes décident d’abandonner la diffusion de ces contenus. Or, pour beaucoup de médias, être visible sur Google et Facebook est essentiel : en effet, la disponibilité et la diffusion d’hyperliens vers le contenu de nouvelles sur les plateformes amènent souvent plus de 50 % du trafic Web aux médias. Il serait regrettable — catastrophique, dans certains cas — que cet achalandage disparaisse à cause de la portée excessive du projet de loi.

Je veux souligner un certain nombre d’éléments qui, selon moi, posent problème dans le projet de loi C-18. D’abord, au cours de son étude, la Chambre des communes a adopté des amendements qui ont eu pour effet d’élargir considérablement le nombre de médias admissibles conformément au projet de loi C-18. On est passé d’environ 200 organisations — identifiées en fonction de critères stricts d’admissibilité aux crédits d’impôt — à 650 ou 700 entités. En fait, on ne sait même pas combien elles sont exactement, ce qui complique l’évaluation de ce qui constituerait un nombre suffisant d’ententes conclues par les plateformes pour être exemptées de la loi, et ce qui rend le processus de négociation imprévisible.

Cette expansion éloigne aussi le Canada des expériences française et australienne, où le nombre d’organes de presse couverts par le processus de négociation est nettement plus limité.

J’ai beaucoup de sympathie pour les médias communautaires et les radios étudiantes, où plusieurs journalistes commencent leurs carrières. Toutefois, je crois personnellement que ces organisations seraient mieux servies par des programmes de soutien ciblés — provenant du gouvernement fédéral ou des provinces — que par des ententes commerciales avec Google et Facebook. Il y a, selon moi, un certain non-sens à forcer les plateformes à payer des radios étudiantes où des bénévoles œuvrent, pour des contenus qui, réalistement, n’ont à peu près aucune valeur pour elles.

Au moment de l’étude article par article, le comité a rejeté un amendement qui aurait limité et précisé le nombre de médias couverts par le régime de négociations commerciales du projet de loi C-18. Malheureusement, ce refus pourra donner des munitions à Google et Facebook.

J’avance un deuxième argument. Dans le code australien qui a servi de modèle au projet de loi C-18, les plateformes peuvent être exemptées de l’application de la loi si elles ont fait, et je cite :

[...] une contribution significative à la viabilité de l’industrie médiatique australienne par l’entremise d’ententes liées au contenu d’information des médias australiens.

Dans la version canadienne, toutefois, la possibilité d’être exempté dépend d’une longue série de critères qui demeurent flous. Par exemple, qu’est-ce qu’une indemnisation équitable? Comment saura-t-on si les sommes reçues par les médias sont utilisées pour soutenir la production de nouvelles? Comment les plateformes sauront-elles si elles ont conclu suffisamment d’ententes avec des médias diversifiés? Que signifie l’exigence d’une « partie importante » des ententes qui seraient conclues avec des communautés de langue officielle en situation minoritaire?

Tout cela sans compter les exigences additionnelles qui pourraient être fixées par règlement.

[Traduction]

Je suis convaincue que les objectifs poursuivis par ces critères sont nobles, et moi aussi, je souhaite que les médias du pays soient vigoureux, diversifiés et en bonne santé financière. Or, cette longue liste de critères donne l’impression que la survie même de l’écosystème médiatique canadien repose sur la conclusion d’ententes commerciales avec deux entreprises étrangères, voire une seule. Est-ce vraiment le modèle que le Canada souhaite faire sien? Estimons-nous vraiment que la survie des médias autochtones, communautaires ou en situation linguistique minoritaire devrait dépendre d’ententes commerciales avec des géants américains des technologies qui peuvent décider n’importe quand de retirer du contenu de leurs plateformes? Je suis sceptique.

Pendant les audiences, le point de vue des médias et des plateformes sur l’objet des négociations était encore une fois aux antipodes. Dans ses documents d’information, le gouvernement déclare que :

Le projet de loi C-18 propose une approche axée sur le marché qui vise à s’assurer que les plateformes numériques et les entreprises de nouvelles parviennent à des ententes commerciales équitables fondées sur la valeur marchande.

Pourtant, plusieurs organes de presse disent s’attendre à ce que Google et Facebook paient environ 30 % de la masse salariale de leurs salles de nouvelles, ce qui ressemble davantage à une subvention.

La question qui se pose est donc : le projet de loi C-18 propose‑t‑il une sorte de subvention pour les dépenses des salles de nouvelles ou une négociation commerciale visant l’échange de valeur entre deux parties? Le texte ne répond hélas pas à cette question.

Dans un mémoire présenté au comité, Konrad von Finckenstein, ancien président du CRTC, a relevé ce problème. Il a écrit ceci :

La loi devrait préciser l’objet des négociations […] Sans cette précision, les négociations et l’éventuel arbitrage ne seront pas ciblés et soulèveront des questions qui ne sont pas liées à l’objet de la négociation.

L’amendement que nous avons proposé, et qui a été adopté par le comité, s’est inspiré par les témoignages de représentants du gouvernement et même du ministre, qui ont tous convenu que les négociations devraient porter sur la valeur du contenu des nouvelles pour les plateformes et la valeur que les grandes plateformes apportent aux médias; autrement dit, un échange de valeur.

[Français]

Dans son témoignage au comité, le ministre Pablo Rodriguez a décrit ainsi le processus du projet de loi C-18, et je cite :

[...] ce que l’on souhaite, c’est qu’il y ait une table de négociation dans le milieu et que tout se fasse sur la base de négociations libres et éclairées. Dans cette négociation, on a les plateformes d’un côté et de l’autre, on a les médias d’information. Les plateformes diront que le fait qu’ils diffusent le contenu des médias d’information et qu’ils soient sur leurs réseaux a une valeur — et cela en a une — et les médias diront qu’ils font un travail de recherche et que cela a une valeur. Ils s’assoiront ensemble et négocieront en fonction de cela.

À la lumière de ces témoignages, le comité a adopté un amendement qui précise l’objet des négociations et qui s’inspire également du code australien, qui est notre modèle.

Le nouvel article 18.1 se lit comme suit, et je cite :

Le processus de négociation [...] vise à déterminer, d’une part, la valeur que chaque partie tire du contenu de nouvelles d’une entreprise de nouvelles admissible rendu disponible par un intermédiaire de nouvelles numériques et, d’autre part, la portion de cette valeur qui sera transférée à l’entreprise de nouvelles admissible.

Cet amendement, bien sûr, ne règle pas tous les problèmes liés au projet de loi, mais il pourrait peut-être contribuer à préciser ses objectifs et à rapprocher les parties.

En conclusion, comme vous le constatez, je suis plus critique envers ce projet de loi que je ne l’étais en commençant mes recherches. Je ne crois pas, par exemple, que les simples hyperliens devraient être couverts par le projet de loi C-18. À ce titre, le modèle européen me semble plus équilibré.

(1620)

Je note d’ailleurs que Google a conclu des ententes — excluant les simples hyperliens — avec 1 500 organes de presse dans 15 pays européens.

Le projet de loi C-18 est une loi bien imparfaite, mais elle a au moins le mérite de proposer un plan d’action pour rééquilibrer les forces. Le gouvernement s’est appuyé de bonne foi sur le modèle australien. C’était légitime.

On ne peut évidemment pas prédire la suite. Les plateformes bluffent-elles, comme le gouvernement le dit? Sont-elles sérieuses, comme elles le répètent?

Que se passera-t-il si Google et Facebook retirent les contenus de nouvelles de leur plateforme, que les médias ne reçoivent pas un sou et que leur trafic Web chute? Le quotidien Le Devoir nous disait que près de 80 % de son achalandage dépend du référencement des diverses plateformes. Quel sera l’impact sur l’information disponible pour les Canadiens?

Je vous avoue que je suis inquiète, car il est évident que Google et Facebook voient le Canada comme un petit joueur dans une négociation globale qui nous dépasse.

Je voterai donc pour le projet de loi, mais au-delà de ce débat, ce que j’espère surtout c'est que le gouvernement gagnera son pari. Merci.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

L’honorable Paula Simons : Honorables sénateurs, mercredi dernier, Bell Média a annoncé que 1 300 personnes allaient être mises à pied à la suite de la centralisation de ses salles de nouvelles d’un bout à l’autre du pays. Parmi les personnes mises à pied, mentionnons deux personnes que les parlementaires connaissent très bien : Joyce Napier, cheffe de bureau de CTV à Ottawa, et Glen McGregor, correspondant politique principal de CTV. À l’étranger, ce réseau de télévision fermera ses bureaux à Londres et à Los Angeles et il réduira les activités de son bureau de Washington. L’entreprise ferme aussi six stations de radio, dont la chaîne TSN 1260, une radio parlée consacrée aux sports que les gens d’Edmonton aimaient tant. Cette station existait sous une forme ou une autre depuis 1927 — presque un siècle au service de la collectivité. Puis hier matin, pouf, plus rien.

Ces nouvelles compressions ont de quoi choquer, d’autant plus qu’il s’agit des dernières d’une longue série de débâcles médiatiques. Dans toutes les régions du pays, les journaux, les magazines, les stations de radio et de télé se battent pour survivre à un tsunami numérique qui a rogné leurs revenus de publicité, fait fondre leurs abonnements et éloigné lecteurs, téléspectateurs et auditeurs.

Au beau milieu de cette crise arrive le projet de loi C-18, qui recèle la promesse — fausse et illusoire, je le crains — du renouveau du secteur des médias. Vous vous demandez peut-être pourquoi moi, qui ai passé 30 années de ma vie à travailler comme journaliste, je n’appuie pas le projet de loi C-18. Je vais essayer de l’expliquer aussi clairement que possible. Le projet de loi n’est pas un plébiscite sur l’importance du journalisme ou sur la valeur de la liberté de la presse. Il devrait être évident pour tous aujourd’hui que le journalisme est en crise au Canada et que cette crise a un grave impact sur la démocratie et la société canadiennes. Si je croyais que ce projet de loi peut sauver le journalisme au Canada, je l’appuierais sans hésiter. Or, je ne peux pas l’appuyer et je ne l’appuierai pas.

En cette année où Tout, partout, tout à la fois a remporté l’Oscar du meilleur film et Spider-Man : à travers le spider-verse est le succès de l’été, il est difficile de passer à côté des métaphores sur le multivers. Voyons donc quels seraient deux résultats potentiels de l’adoption du projet de loi C-18.

Dans le premier scénario, il est possible que les sociétés Meta et Google mettent toutes les deux leurs menaces à exécution et bloquent l’accès aux nouvelles canadiennes. Imaginez que, soudainement, les Canadiens ne puissent plus lire ou transmettre de nouvelles sur Facebook ou Instagram, deux des plateformes de médias sociaux les plus utilisées au Canada. Imaginez que, soudainement, vous ne puissiez plus transmettre à votre voisin un article concernant une prise d’otage dans votre quartier ou, prenons un exemple moins dramatique, concernant le projet d’aménagement d’une tour d’habitation au bout de votre rue. Imaginez que vous ne puissiez plus transmettre à vos cousins un article racontant les plus récents démêlés de Donald Trump avec la justice, ni transmettre à votre belle-mère qui souffre d’emphysème un article sur la fumée des incendies de forêt, ni transmettre à votre ami gastronome une critique de restaurant parue dans le journal local.

Meta a signalé son intention de bloquer toutes les nouvelles, y compris les nouvelles internationales, le jour où le projet de loi C-18 recevra la sanction royale. Cela ne portera pas seulement atteinte à notre capacité de nous informer et de tenir nos amis informés. Cela réduira la capacité des médias d’information de publier et de diffuser leurs articles, d’attirer des lecteurs et de servir ceux qui achètent leurs espaces publicitaires. Cela réduira du jour au lendemain leur lectorat et leurs revenus, plaçant les médias et les radiodiffuseurs canadiens dans une situation encore pire qu’en ce moment.

De même, si Google cesse de diffuser des nouvelles canadiennes et internationales sur son puissant site, les conséquences seront encore plus désastreuses. Google domine le monde. Quatre-vingt-dix pour cent de la planète utilise Google comme moteur de recherche, un scandaleux et dangereux monopole qu’aucun pays, y compris le Canada, n’a véritablement contesté — bien que l’Union européenne s’y efforce, puisqu’elle vient d’intenter cette semaine une importante poursuite à l’encontre du géant des moteurs de recherche pour pratiques anticoncurrentielles.

Si Google cesse de nous indexer, eh bien, soudainement, pour des millions et des millions de Canadiens qui utilisent Google, tous les articles d’actualité disparaîtront purement et simplement. Et nous ne serons même pas conscients de ce que nous ne voyons pas. Notre réalité se transformera d’une manière que nous ne pouvons ni imaginer ni prévoir. En effet, de nombreux Canadiens qui — je suis désolée de vous le dire — n’ont pas suivi le débat sur le projet de loi C-18 ne se rendront peut-être même pas compte que les actualités ont disparu; jusqu’à ce que nous soyons confrontés à une situation d’urgence publique, à une crise sanitaire ou à un bouleversement politique, et qu’ils se retrouvent soudain plongés dans l’obscurité, sans pouvoir accéder aux informations vitales dont ils ont besoin pour eux-mêmes et pour leur famille.

Selon les chiffres de Statistique Canada publiés en mars dernier, 80 % des Canadiens s’informent en ligne et 90 % des titulaires d’un diplôme universitaire utilisent Internet comme principale source d’information. Quant aux Canadiens âgés de 15 à 34 ans, 95 % d’entre eux utilisent Internet comme principale source d’information. Si Google et Facebook commencent soudainement à bloquer cet accès à l’information, ce qui est leur droit en tant qu’entreprises privées américaines, nous serons tous coupés de l’information, et les journalistes canadiens seront coupés des lecteurs et des téléspectateurs, rapportant ainsi des nouvelles que personne ne peut trouver.

C’est du moins un scénario possible. Il se peut qu’il ne se produise pas, puisqu’il s’agit simplement d’une hypothèse. Examinons maintenant un autre scénario.

Supposons, pour les besoins de l’argumentation, que Facebook et Google bluffent, qu’ils profèrent des menaces en l’air et qu’ils n’ont ni la capacité technique ni le courage politique de faire quelque chose d’aussi radical. Supposons qu’après tout ce cinéma, ils cèdent et entament des négociations avec les organes de presse canadiens et acceptent de subventionner le journalisme canadien à hauteur, disons, de 300 millions de dollars par année pour payer 25 %, 30 % ou même 35 % du coût des salles de rédaction canadiennes. Eh bien, direz-vous, sénatrice Simons, si cela se produit, alors le projet de loi C-18 aura fait son travail.

Cependant, ce n’est pas si simple. Que se passera-t-il si des médias d’information canadiens jusque-là indépendants finissent par avoir absolument besoin de Google et de Meta pour survivre? Qu’arrivera-t-il si nous laissons ces deux géants américains contrôler encore davantage ce que nous lisons, ce que nous regardons et ce que nous écoutons? Nous en avons déjà eu un avant-goût, car Google et Facebook ont conclu secrètement des ententes avec de grands éditeurs dans l’ensemble du pays en vue de contourner le projet de loi C-18. Si vous lisez un article sur le projet de loi C-18 dans les médias, dans bien des cas, vous verrez une petite note en bas de page indiquant que l’organe de presse reçoit déjà une forme de rémunération dans le cadre d’une entente conclue en privé avec l’un des géants des médias sociaux. Vous pourrez ensuite juger si cette subvention a eu des effets sur la façon dont les nouvelles concernant Google ou Facebook sont rapportées.

L’autre jour, quelqu’un m’a demandé pourquoi le projet de loi C-18 a été beaucoup moins médiatisé que le projet de loi C-11. J’ai bien peur que la réponse saute aux yeux. Certains éditeurs canadiens, petits et grands, mais peut-être pas tous, ont fait preuve de retenue et se sont censurés, que ce soit de façon consciente ou non. Qui pourrait leur en vouloir? Ceux qui mordent trop fort la main qui les nourrit pourraient être punis.

Imaginez maintenant dans quelle mesure les nouvelles pourraient être diffusées de manière indépendante et libre si Facebook et Google tenaient les cordons de la bourse? Vous n’avez pas besoin d’imaginer. Sara Bannerman, titulaire de la chaire de recherche du Canada en politique de communication et gouvernance et professeure à l’Université McMaster, a esquissé quelques idées. Dans son mémoire présenté au Comité sénatorial permanent des transports et des communications, elle note que rien dans le projet de loi C-18 n’empêche l’influence croissante des plateformes numériques sur la couverture des actualités. Mme Bannerman note que des entreprises telles que Google et Meta pourraient rémunérer les organismes de presse sous forme de formations, de soutien technique, de technologies ou de rabais sur les licences technologiques. Cela semble bien, mais Mme Bannerman écrit que cela renforcerait l’intégration des organismes de presse dans les données et les technologies des plateformes numériques. Permettez‑moi de citer un extrait de son mémoire :

De telles technologies pourraient non seulement faire en sorte que des données et des renseignements sur les utilisateurs et les nouvelles remontent vers les plateformes (le projet de loi ne fait aucune mention de la protection de la vie privée), mais aussi influencer la manière dont les salles de nouvelles perçoivent et évaluent leurs propres activités.

La porte est également ouverte pour que les plateformes investissent dans des capitaux ou des projets spécifiques plutôt que (ou en plus) de payer en espèces. Les plateformes pourraient ainsi exercer une influence sur la structure et l’infrastructure des organismes de presse ou sur le contenu qu’ils produisent.

(1630)

En effet, je dirais que Facebook et Google ont déjà eu une incidence directe et préjudiciable sur la manière dont les salles de rédaction présentent leurs articles, que ce soit parce que Facebook a insisté avec enthousiasme pour que les journaux se tournent vers la vidéo, ce qui s’est révélé essentiellement être une perte de temps, de ressources et de talents, ou parce que Google a incité les salles de rédaction à réécrire et à triturer les chapeaux et les titres dans une vaine tentative d’optimiser leurs articles pour les moteurs de recherche.

Je ne peux qu’imaginer à quel point ce type d’influence pourrait devenir plus direct dans un régime où Facebook et Google financent les nouvelles.

Laissez-moi citer à nouveau Sara Bannerman :

Permettre aux modèles opérationnels des plateformes de façonner l’information de cette manière peut être néfaste pour la qualité de l’information. Cette façon de faire peut conduire les salles de presse à rechercher des clics et des incitations à la création de plateformes plutôt que des sujets et des formats qui sont importants pour un électorat et des citoyens informés.

Nous avons certainement essayé au comité d’apporter de petits amendements pour rendre le projet de loi C-18 moins dommageable. J’ai moi-même été assez déçue lorsque, par une marge étroite, le comité a rejeté mon propre amendement qui visait à rendre Google et Facebook plus responsables de la manière dont ils utilisent leurs algorithmes pour favoriser certaines nouvelles et en supprimer d’autres. J’ai cherché à modeler mon amendement sur les protocoles de transparence des données qui ont déjà été adoptés par l’Union européenne, mais en vain, je le crains.

J’ai réussi à faire adopter un minuscule amendement prévoyant simplement l’élimination de la phrase « telle qu’une section d’un journal » de l’article 2. Cet amendement, soi dit en passant, a été adopté à l’unanimité. Dans la précipitation d’aujourd’hui, je crains que le sénateur Housakos m’ait prise pour la sénatrice Clement, qui a effectivement proposé un amendement qui avait une incidence sur les médias d’information autochtones — même si cela en a élargi la portée au lieu de la restreindre —, mais il s’agissait de son amendement et non du mien. Peut-être que lorsque le sénateur Housakos sera revenu de sa promenade — je m’excuse, je n’ai pas le droit de dire cela. Peut-être que le sénateur Housakos nous présentera ses excuses, à la sénatrice Clement et à moi, à un moment opportun.

La sénatrice Dasko, elle, a réussi à faire adopter un amendement beaucoup plus important permettant aux entreprises de médias qui ne veulent pas faire partie du régime du projet de loi C-18 de s’en retirer. À l’origine, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC, avait le pouvoir d’ordonner aux entreprises de faire partie de l’accord avec Google et Facebook même si elles ne le voulaient pas. Je suis contente que la sénatrice Dasko soit parvenue à apporter ce changement important.

Autre amendement important, la proposition de la sénatrice Miville-Dechêne, notre vice-présidente, vise à créer, entre les plateformes et les médias d’information, un cadre de négociation solide qui serait axé sur un véritable échange de bienfaits et qui laisserait une certaine latitude aux arbitres. Cet amendement cherche à injecter un peu de bon sens économique dans les dispositions rêveuses du projet de loi C-18, mais même si le comité l’a adopté, le gouvernement s’y est opposé. J’ai bien peur que ses jours soient comptés.

Qu’avons-nous finalement devant nous? Un projet de loi qui permet de sauver les médias canadiens? Non, il s’agit plutôt d’une mesure législative qui nous laisse à la merci des caprices d’Alphabet et de Meta, deux géants légèrement sclérosés qui ont leurs propres difficultés économiques.

Chers collègues, c’est tellement décevant. Il y a tant d’autres choses que le gouvernement aurait pu faire. Il aurait pu cesser de payer des millions de dollars à Facebook et Google en publicités et consacrer plutôt une partie de cet argent à l’achat de publicités dans des journaux locaux et des publications ethnoculturelles, autochtones ou issues des minorités linguistiques. Il aurait pu élargir son programme de crédits d’impôt pour inciter directement les Canadiens à s’abonner à des journaux et à des magazines. Il aurait tout simplement pu, comme l’a suggéré l’une de nos témoins, l’autrice et éditrice indépendante Jen Gerson, de The Line, accorder plus de fonds à Radio-Canada/CBC, ce qui aurait permis à notre diffuseur public de cesser de vendre des publicités et de faire ainsi concurrence aux journaux et aux diffuseurs privés.

Nous avons plutôt investi énormément de temps, d’énergie et de capital politique dans un projet de loi que Rube Goldberg n’aurait pas dédaigné et qui risque soit de nous exploser au visage, soit de compromettre l’indépendance et l’intégrité de l’information au Canada — si tant est qu’il fonctionne, point.

J’ai obtenu mon premier emploi à temps plein à titre de reporter professionnelle en mars 1988. J’avais 23 ans. J’ai travaillé à temps plein comme journaliste jusqu’en octobre 2018, moment où j’ai été nommée au Sénat. Je publie encore une chronique toutes les deux semaines dans le magazine Alberta News et j’anime mon propre balado politique mensuel, Alberta Unbound. Toute ma vie d’adulte se résume en cinq mots : papier journal, encre et ondes radio. Le journalisme a été ma vie, et il l’est encore. Dans mon bureau au Sénat, j’ai une étagère pleine de certificats du Concours canadien de journalisme, alors je crois qu’on peut dire que ce fut une vie bien remplie.

Ce qu’il est advenu de l’industrie de l’information dans ma ville, ma province et mon pays ne fait pas seulement m’attrister, cela me déchire, et je crains pour la santé de notre démocratie et de notre société. J’espère malgré tout me tromper spectaculairement à propos du projet de loi C-18. J’espère — sincèrement — qu’il donnera de bons résultats et que sa réussite me fera passer pour une vieille incrédule. Cela dit, chers amis, je ne me suis jamais autant senti comme Cassandre, la princesse troyenne qui avait un don de prophétie, mais que personne n’écoutait et ne croyait jamais.

Je vous remercie, hiy hiy.

Des voix : Bravo!

L’honorable Percy E. Downe : Votre Honneur, j’invoque le Règlement sur une question mineure.

Je suis certain que tous les sénateurs essaient de respecter le Règlement. Or nous savons tous qu’il est interdit de mentionner qu’une personne est présente ou absente de l’enceinte du Sénat. Je sais que vous connaissez le Règlement, mais je crois que vous pourriez peut-être rappeler cette règle à l’attention des sénateurs.

Son Honneur la Présidente intérimaire : C’est effectivement le cas, sénateur Downe. Il est toujours interdit de mentionner qu’un sénateur est absent de l’enceinte du Sénat. Je pense que la sénatrice a dit : « Oups, je n’aurais pas dû dire cela. » Je considère qu’il s’agit d’excuses de sa part.

La sénatrice Simons : Votre Honneur, je souhaite réellement m’excuser. J’ai un peu honte de mon erreur. Je présente mes excuses au sénateur Housakos et à tous les autres sénateurs.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Très bien. Nous reprenons le débat.

L’honorable Fabian Manning : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada.

Lorsque j’ai pris la parole au sujet de ce projet de loi à l’étape de la deuxième lecture, j’ai commencé mon discours en énonçant les objectifs du projet de loi selon le gouvernement. Le gouvernement estime que ce projet de loi réglera les problèmes auxquels se heurtent les médias traditionnels depuis une décennie. Nous avons entendu le ministre déclarer qu’il veut construire un écosystème de nouvelles plus équitable, où les médias traditionnels pourront recevoir le soutien dont ils ont besoin pour survivre. Évidemment, à titre de parrain du projet de loi, le sénateur Harder a répété ces mêmes arguments.

Le sénateur Harder et le ministre ont tous deux affirmé à répétition que, depuis 2010, environ le tiers des emplois en journalisme au Canada ont disparu, et que les chaînes de radio et de télévision et les journaux du Canada ont essuyé des pertes de revenu d’environ 4,9 milliards de dollars. En même temps, ils soutiennent que les revenus publicitaires en ligne ont augmenté considérablement.

Il ne fait aucun doute que les changements survenus au cours des 15 dernières années ont eu une grave incidence négative sur les médias traditionnels au Canada. Ce qui est moins clair, ce sont les raisons de ces changements. Il n’est pas clair non plus que le projet de loi C-18 réglera le problème de quelque façon que ce soit.

Lorsque le professeur Dwayne Winseck, de l’École de journalisme et de communication de l’Université Carleton, a témoigné devant le comité sénatorial le 10 mai dernier, il a souligné que les causes du déclin des médias traditionnels sont multiples. En réponse à une question que je lui ai posée, il a dit ce qui suit :

[...] je ne crois pas que Facebook et Google soient à l’origine de la crise du journalisme [...] Il y a 10 ans, les revenus ont commencé à baisser [...] La crise du journalisme tient à de multiples facteurs. Cela dépend de ce par quoi on veut commencer. Essentiellement, le tirage des journaux par habitant a commencé à diminuer dans les années 1980 et 1990. Les revenus culminent autour de 2005-2006 et commencent à fléchir par la suite. Pourquoi? À cause de la crise financière mondiale. Ces entreprises étaient mal préparées à cause des fusions, et elles étaient endettées au moment même où la publicité commençait à chuter et où les géants d’Internet commençaient à émerger.

Le professeur Winseck a donc insisté sur ce point : Google et Facebook ne sont pas à l’origine de la crise du journalisme.

Le professeur Winseck a ensuite dit que le projet de loi ne fera rien pour contrer le pouvoir monopolistique qui, selon lui, s’est bâti au cours des 15 dernières années. Il fait valoir que cette lacune fondamentale du projet de loi nuira aux Canadiens parce qu’il n’accorde pas suffisamment d’attention à la distribution équitable des bienfaits qui découleront du projet de loi pour soutenir les entités d’information plus petites et dynamiques qui pourraient animer notre écosystème de l’information. Il estime que cette lacune du projet de loi constitue un problème.

(1640)

D’autres témoins avaient un point de vue quelque peu différent, bien qu’ils aient eu tendance à arriver à la même solution lorsqu’ils ont analysé le projet de loi. Peter Menzies, ancien vice-président du CRTC, a déclaré au comité le 2 mai que « le projet de loi C-18 n’aide pas ceux qui se démènent pour survivre ni ceux qui souhaitent faire leur entrée sur le marché ». M. Menzies a reconnu que le marché de l’information au Canada et dans le monde entier a subi d’énormes bouleversements au cours des dernières années. Il a indiqué qu’environ 473 journaux ont disparu au Canada, mais qu’à son avis, de nouvelles entités ont pris leur place. Il a fait remarquer que :

Ce sont près de 700 sites Web appartenant à des diffuseurs commerciaux titulaires — et nombre d’entre eux ressemblent beaucoup à un journal en ligne — [qui] ont été lancés.

Il a affirmé que cela s’est produit sans subventions publiques : « [...] 216 plateformes de nouvelles et de commentaires en ligne ont été lancées par des créateurs et des entrepreneurs. » Il s’agit notamment de nombreuses plateformes de nouvelles et de commentaires issues de la diversité.

Ce point de vue est quelque peu différent de celui du professeur Winseck, mais ce sur quoi ces témoins et beaucoup d’autres semblent s’entendre, c’est que le projet de loi C-18 ne résoudra pas le problème pour lequel il a été prétendument rédigé. Le ministre Rodriguez a répété à maintes reprises que le projet de loi est important pour protéger la presse libre et indépendante, mais il semble clair, d’après les témoignages entendus en comité, que le projet de loi échouera probablement à cet égard.

Tout d’abord, on s’est sérieusement demandé en comité qui profiterait du projet de loi. Selon les témoignages des fonctionnaires, le projet de loi C-18 devrait générer environ 215 millions de dollars pour les entreprises de nouvelles admissibles. L’estimation du directeur parlementaire du budget est un peu plus élevée : près de 350 millions de dollars. Comme le souligne le directeur parlementaire du budget, environ les trois quarts de ce montant, soit environ 240 millions de dollars, iront aux grands radiodiffuseurs, principalement CBC/Radio-Canada, Bell Média et Rogers Media. Quelle que soit la somme restante qui sera versée aux petites entreprises de médias admissibles et aux médias d’information autochtones, elle devra être répartie dans tout le pays entre de multiples entreprises de nouvelles.

Personnellement, je me demande quel financement sera réellement disponible pour les petites entreprises médiatiques de ma province, Terre-Neuve-et-Labrador. Lorsque nous avons demandé aux fonctionnaires quelle pourrait être la répartition du financement entre les provinces, ils n’ont pas pu nous répondre. Ils n’avaient pas de réponse à nos questions.

Lors de l’étude du projet de loi au comité, le sénateur Carignan a proposé un amendement fort raisonnable pour que les radiodiffuseurs d’État qui reçoivent déjà des subventions gouvernementales ne puissent pas bénéficier des mesures proposées dans le projet de loi C-18, mais la majorité des sénateurs au comité l’ont rejeté, ce qui veut dire qu’il y aura moins d’argent pour les petites entreprises de presse et pour les organes de presse autochtones. Évidemment, le gouvernement libéral préfère qu’on adopte cette approche au lieu de donner encore plus de subventions aux radiodiffuseurs d’État.

C’est dommage, car même en considérant les chiffres les plus optimistes fournis par le directeur parlementaire du budget et l’aide par habitant qui sera probablement offerte aux petites entreprises de presse de Terre-Neuve-et-Labrador, on arrive à un montant de moins de 2 millions de dollars, une maigre somme pour ces organes de presse qui peinent à survivre dans le marché actuel.

Compte tenu de cette réalité, il n’est guère surprenant que bon nombre de témoins se soient dits sceptiques quant à la possibilité que le projet de loi C-18 puisse bâtir l’écosystème médiatique équitable que le ministre dit vouloir mettre en place. Dans ma province, Terre-Neuve-et-Labrador, un montant de moins de 2 millions de dollars est le meilleur résultat auquel les petites entreprises de presse peuvent s’attendre.

Quand le ministre a comparu devant notre comité, il a été absolument incapable d’expliquer ce qui se passerait si certains des grands intermédiaires de nouvelles numériques, tels que Meta, Google et peut-être d’autres, cessaient tout simplement de fournir des liens vers les nouvelles au Canada. Les témoins de Meta qui ont comparu devant le comité ont clairement dit qu’ils ne participeraient pas au processus de négociation, tandis que les témoins de Google ont affirmé que leur entreprise n’avait pas encore pris de décision. La non-participation de seulement deux grandes plateformes pourrait réduire de 30 % le financement des entreprises de nouvelles admissibles.

La sénatrice Simons a posé au ministre une question très directe à ce sujet en comité. Elle lui a demandé ce qui se passera si, le 1er juillet, les plateformes se désengagent du marché canadien de l’information et cessent de partager du contenu canadien. Une lecture juste de l’échange qui a suivi entre le ministre et la sénatrice Simons montre que le ministre a tout simplement refusé de répondre à la question ou n’était pas en mesure de le faire.

Une fois de plus, le sénateur Carignan a proposé un amendement qui visait à résoudre au moins une partie de ce problème en supprimant la mention des hyperliens dans la définition du terme « contenu des nouvelles ». Cela aurait pu aider à maintenir dans le régime de financement les plateformes qui, après tout, sont au cœur du modèle de financement du gouvernement. Mais, une fois de plus, la majorité des membres du comité — y compris, paradoxalement, la sénatrice Simons — ont dit non. Cela dit, le discours qu’elle a prononcé aujourd’hui me donne bon espoir à propos de ce qui se passera au moment du vote.

Chers collègues, cela devrait tous nous inquiéter, car je suis porté à croire que le gouvernement n’a aucune idée de ce qui se produira si le modèle de financement du projet de loi tombe à l’eau.

Si le projet de loi est adopté, de nombreux petits médias d’information au Canada se dirigeront vers l’inconnu — une triste réalité bien sûr. À cet égard, le projet de loi équivaut à un saut dans le vide, et j’ai bien peur que cela ait un double sens.

Les répercussions majeures de ce projet de loi sur les relations commerciales du Canada ne font aucun doute. L’année dernière, Katherine Tai, la représentante au Commerce des États-Unis, a publié un communiqué dans lequel elle exprime ses inquiétudes :

[...] au sujet de la taxe unilatérale proposée par le Canada sur les services numériques et l’adoption éventuelle par le Parlement du Canada d’un projet de loi ayant un impact sur les services de diffusion en continu numériques et le partage des nouvelles en ligne et s’attaquant aux entreprises américaines.

Plus tôt cette année, l’ambassade des États-Unis a exprimé ses préoccupations quant à l’impact de ce projet de loi sur les services de diffusion en continu et la discrimination contre des entreprises américaines.

Fidèle à lui-même, le gouvernement a répondu qu’il ne se laisserait pas intimider. Ne pas se laisser intimider est une bonne stratégie à adopter quand on dispose d’un atout stratégique. Toutefois, si l’on se fie aux témoignages entendus, c’est loin d’être le cas pour le projet de loi C-18. En fait, selon moi, le projet de loi C-18 crée la crise même pour laquelle le gouvernement n’a pas prévu de stratégie.

Pendant la séance d’information que j’ai reçue en tant que porte‑parole pour ce projet de loi, on a demandé aux fonctionnaires quelles seraient les répercussions sur les entreprises canadiennes si les États-Unis lançaient des représailles commerciales. Les fonctionnaires ont répondu qu’elles seraient probablement équivalentes à ce que les États-Unis croyaient que les intermédiaires de nouvelles numériques étatsuniens avaient perdu ou perdaient à cause du projet de loi C-18. Autrement dit, que ce montant soit d’à peine plus de 200 millions de dollars, comme le prévoit le gouvernement, ou de 330 millions de dollars, comme le prévoit le directeur parlementaire du budget, les représailles commerciales des États-Unis pourraient éliminer tous les gains. Encore une fois, c’est à se demander quel sera le bénéfice net final de ce projet de loi.

Je dois admettre que j’ai été extrêmement surpris et déçu que des sénateurs membres de notre comité, qui prétendent très bien connaître et comprendre — bien plus que moi — le monde canadien des médias, n’aient pas fait grand-chose pour s’attaquer aux nombreux problèmes que les témoins ont soulevés pendant les réunions du comité.

Il y a d’autres inquiétudes au sujet ce projet de loi en ce qui concerne ses répercussions sur l’indépendance journalistique. Dans son mémoire sur le projet de loi C-18, le chapitre du Canada de l’Internet Society a émis un avertissement à ce sujet. Voici ce qu’on peut y lire :

La Loi sur les nouvelles en ligne rendra les organismes de presse dépendants des rentrées d’argent directes des plateformes en ligne, elle donnera à ces plateformes, sous la supervision du CRTC, des pouvoirs de contrôle intrusifs sur les activités commerciales des organismes de presse, elle portera atteinte à l’indépendance journalistique [...]

Cette préoccupation, bien sûr, suppose que les plateformes en ligne participeront effectivement au régime créé par le projet de loi. Si tel est le cas, les préoccupations concernant les incidences de cette situation ont été systématiquement ignorées.

D’autres préoccupations ont été soulevées au sujet des pouvoirs accordés au CRTC pour obliger tout organe de presse à fournir tout renseignement qu’il juge nécessaire.

(1650)

Phillip Crawley, éditeur et chef de la direction du Globe and Mail, a soulevé cette question auprès de notre comité, demandant que les pouvoirs de collecte de renseignements du CRTC soient limités « à ceux qui sont nécessaires pour confirmer l’admissibilité des organisations de nouvelles ou pour enquêter sur une plainte ».

Ici encore, le sénateur Carignan a proposé un amendement très raisonnable pour limiter les pouvoirs du CRTC exactement de cette façon. Cependant, une fois de plus, la majorité des sénateurs de notre comité a rejeté l’amendement.

En fin de compte, aucun des amendements mineurs adoptés par le comité n’a corrigé les lacunes fondamentales du projet de loi. Mes amis, nous n’avons pas transformé l’eau en vin; nous avons simplement brouillé l’eau davantage.

Selon les témoignages, il n’y a absolument aucune assurance que le projet de loi C-18 puisse offrir aux entreprises de presse admissibles le soutien que le gouvernement prétend pouvoir leur apporter. La triste réalité de ce projet de loi est que ce sont les petites entreprises de presse du Canada qui perdront le plus à cause de cette mesure. Toutefois, tous les Canadiens seront perdants si le projet de loi C-18 n’atteint pas ses objectifs et s’il n’en résulte que des attentes insatisfaites et une nouvelle guerre commerciale avec les États-Unis.

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications a eu l’occasion d’envoyer au gouvernement un message raisonnable sur toutes ces préoccupations. Je crois qu’il était de notre devoir de procéder à un second examen objectif du projet de loi; cependant, la majorité des sénateurs ont refusé de le faire et ce sont les Canadiens qui vont maintenant en subir les conséquences. Dans notre démocratie, c’est la majorité qui l’emporte, et je crains que ce soient les Canadiens qui doivent maintenant vivre avec les conséquences de la décision d’adopter le projet de loi. J’aurais aimé qu’il en soit autrement. Merci.

Son Honneur la Présidente : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : À mon avis, les oui l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur la Présidente : Je vois deux sénateurs se lever. Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Une voix : Maintenant.

La motion, mise aux voix, est adoptée et le projet de loi modifié, lu pour la troisième fois, est adopté :

POUR
Les honorables sénateurs

Arnot Greenwood
Audette Harder
Boehm Jaffer
Boniface Klyne
Burey Kutcher
Busson LaBoucane-Benson
Cardozo Loffreda
Clement MacAdam
Cordy Massicotte
Cormier McPhedran
Cotter Mégie
Coyle Miville-Dechêne
Dagenais Moodie
Dalphond Omidvar
Dasko Osler
Deacon (Nouvelle-Écosse) Pate
Deacon (Ontario) Petten
Dean Quinn
Downe Ravalia
Duncan Ringuette
Dupuis Saint-Germain
Forest Shugart
Francis Smith
Gerba Sorensen
Gignac Yussuff—51
Gold

CONTRE
Les honorables sénateurs

Ataullahjan Patterson (Nunavut)
Batters Patterson (Ontario)
Black Plett
Boisvenu Poirier
Carignan Richards
Housakos Seidman
MacDonald Simons
Manning Tannas
Marshall Verner
Martin Wallin
Mockler Wells—23
Oh

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs
Aucun

(1700)

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L’honorable Ratna Omidvar propose que le projet de loi C-41, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-41, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence. Le projet de loi C-41 créera un régime visant à faciliter la prestation de certains types d’aide internationale dans les zones géographiques contrôlées par des groupes terroristes. Je vais m’efforcer d’être brève, mais aussi exhaustive, car, pour beaucoup d’entre vous, c’est la première fois que vous entendez parler de ce projet de loi.

L’histoire du projet de loi C-41 commence en août 2021, avec la chute du régime afghan de Kaboul aux mains des talibans, laquelle a eu de nombreuses conséquences désastreuses qui ont été évoquées dans cette enceinte par mes collègues les sénatrices Jaffer, McPhedran et Ataullahjan.

Les conséquences ont été ressenties par la population afghane, notamment les jeunes et, plus particulièrement, les femmes et les jeunes filles. Il y a également eu un impact humanitaire, la mortalité infantile étant en hausse en raison du manque de médicaments, d’eau, de nourriture et d’autres interventions vitales. Des millions d’Afghans ont souffert de sécheresses, de tremblements de terre et d’autres catastrophes pour l’humanité et, bien entendu, de la répression exercée par les talibans.

Les talibans sont les parias de la planète. Le Canada a inscrit l’organisation sur la liste des entités terroristes il y a de nombreuses années. Maintenant que les talibans sont au pouvoir, la loi interdit aux Canadiens de payer des taxes ou des droits au gouvernement afghan. Cela a un impact direct sur l’aide envoyée en Afghanistan parce que, automatiquement, quand on envoie de l’aide, il faut accéder aux services et payer, directement ou indirectement, des droits et des taxes au gouvernement taliban, qui utilisera ensuite l’argent à des fins terroristes. Cela fait que les Canadiens ou les organisations canadiennes peuvent être poursuivis au criminel. L’aide envoyée du Canada en Afghanistan par des organismes de développement international, comme l’Organisation des femmes afghanes, qui tient un orphelinat dans la région de Helmand, a été bloquée.

Le projet de loi était attendu depuis longtemps, et, à mon avis, il a fallu un peu trop de temps avant qu’il soit présenté. La communauté canadienne de l’aide internationale avait cerné ce problème il y a plus d’un an et elle a formé une coalition humanitaire nommée Aid for Afghanistan. Il y a 13 organisations d’aide internationale qui collaborent en temps de crise et qui, ensemble, sont présentes dans 140 pays. Il s’agit de Vision mondiale, la Croix-Rouge, CARE, Action contre la faim, la Banque de céréales vivrières du Canada, le Canadian Lutheran World Relief, Médecins du monde, Humanité & Inclusion, Islamic Relief, Oxfam, Oxfam Québec, Plan International et Aide à l’enfance.

Je tiens à remercier le Comité sénatorial des droits de la personne, présidé par la sénatrice Ataullahjan, de s’être penché rapidement sur cette question. L’année dernière, le comité a produit un important rapport qui a fait état des préoccupations du milieu de l’aide humanitaire et qui a proposé des mesures concrètes à prendre. Certaines des principales recommandations du rapport ont été retenues dans le projet de loi C-41. Voilà un exemple de comité qui fonctionne comme il se doit.

Comme certains d’entre vous le savent peut-être, je m’occupe de la question de l’Afghanistan au Canada dans le cadre de mon travail auprès de Lifeline Afghanistan. Or, bien franchement, nous devons maintenant lancer une bouée de sauvetage à l’Afghanistan en raison du contexte que vous connaissez, mais que je vais tout de même vous décrire : Le peuple afghan vit des conflits depuis 40 ans, et il a tenté d’y survivre, tout en maintenant sa résilience face à de nombreuses catastrophes naturelles, comme la pauvreté généralisée, une migration sans précédent et, bien sûr, des séismes. Comme si ce n’était pas suffisant, c’est très compliqué de faire parvenir de l’aide à l’Afghanistan en raison de sa géographie.

Que cela nous plaise ou non, ceux qui détiennent l’autorité de facto en Afghanistan sont les talibans, et l’acheminement de l’aide, comme je l’ai souligné, d’une manière ou d’une autre, profitera par défaut à cette organisation terroriste. Par conséquent, les organisations d’aide canadiennes, y compris les ministères du gouvernement du Canada, risquent d’enfreindre la loi par inadvertance si elles tentent de fournir de l’aide en Afghanistan. En conséquence, les Afghans continuent de souffrir, leur vie est toujours menacée et ils ont besoin de notre aide, même pour les besoins les plus élémentaires à leur survie : la nourriture, le logement, la protection, l’éducation et les soins de santé. Nous devons être en mesure de leur apporter cette aide, ainsi qu’aux autres personnes se trouvant dans cette situation, sans faire de distinction quant à la région où ces vies sont menacées ou aux autorités dont elles relèvent.

C’est pourquoi les modifications proposées au Code criminel sont essentielles. En tant que marraine du projet de loi C-41, j’aimerais prendre quelques instants pour expliquer pourquoi et donner quelques détails. À l’heure actuelle, le Code criminel contient des dispositions très strictes sur la lutte contre le financement du terrorisme, et c’est bien ainsi. Plus précisément, en vertu de l’alinéa 83.03(b), il est interdit de fournir ou de rendre disponible, directement ou indirectement, des biens en sachant qu’ils pourraient être utilisés par un groupe terroriste ou qu’ils lui profiteraient. Comme je l’ai souligné, ces dispositions ont une incidence considérable sur la volonté du Canada de fournir de l’aide aux personnes dont la vie est menacée dans le monde entier.

Le projet de loi crée essentiellement deux voies d’accès, l’une pour l’aide humanitaire neutre et l’autre pour les mesures d’aide au développement à long terme dans les zones contrôlées par un régime terroriste.

La version d’origine du projet de loi, qui a été adoptée à l’étape de la deuxième lecture à la Chambre il y a quelques mois, ne comprenait pas l’exception relative à l’aide humanitaire. Après le tollé qu’a suscité le projet de loi dans le milieu des organismes d’aide internationale, dont Médecins sans frontières, les amendements que la Chambre des communes a adoptés modifieront le Code criminel de façon à ce que les infractions prévues à l’alinéa 83.03b) ne s’appliquent pas aux actes ayant pour unique but de participer à des activités d’aide humanitaire sous les auspices d’organisations humanitaires impartiales conformément au droit international, tout en déployant des efforts raisonnables pour minimiser tout avantage pour les groupes terroristes.

Voici ce que cela signifie : comme la représentante de la Croix‑Rouge canadienne l’a dit au Comité sénatorial permanent des droits de la personne lundi dernier, cette exemption permet aux organismes d’aide humanitaire canadiens d’effectuer leur travail en sachant que le droit canadien autorise, à l’instar du droit international, les activités d’aide humanitaire neutres et impartiales qui ne favorisent pas le terrorisme. Elle permet à cette aide essentielle de se rendre jusqu’aux personnes et aux collectivités les plus touchées sans que les organismes canadiens aient à obtenir d’autorisation.

Cette exception s’applique à différents types d’activités d’aide humanitaire permises par le droit international, et pas seulement aux mesures d’aide permettant de sauver des vies. Il s’agit d’activités essentielles qui donnent accès à des soins de santé, à de l’eau, à de la nourriture et à des installations sanitaires, qui protègent les détenus et qui permettent aux gens de préserver leur dignité humaine.

L’exception humanitaire s’applique dès le moment où le projet de loi obtient la sanction royale. C’est une exemption qu’on s’applique soi-même, c’est-à-dire qu’un organisme n’a besoin de faire aucune demande une fois qu’il a conclu, après sa propre évaluation du risque, qu’il est protégé en vertu de l’exception. La Coalition humanitaire du Canada, qui réunit la Croix-Rouge, Vision mondiale et d’autres organismes, me dit que lorsque le projet de loi deviendra loi, ces organismes seront prêts à partir. Ils attendent depuis longtemps de pouvoir passer à l’action, et ce projet de loi leur permettra d’agir et de soutenir les Afghans vulnérables sans craindre d’être inculpés.

(1710)

Deuxièmement, le projet de loi établit, pour les activités de développement permises, que les personnes et les organisations admissibles pourraient se voir accorder par le gouvernement certaines autorisations qui les mettraient à l’abri de toute responsabilité criminelle liée à leurs activités dans une zone géographique contrôlée par un groupe terroriste.

J’ouvre une parenthèse. Le mot « personnes » dans ce contexte ne veut pas dire moi ou le sénateur Tony Dean. En réalité, cela veut dire les organismes d’aide internationale qui travailleraient probablement sur le terrain par l’entremise de personnes, d’où la nécessité de faire en sorte que la disposition s’applique aux personnes.

L’établissement de ce régime se fera par la prise de règlements. On me dit que ces règlements font l’objet d’intenses discussions, car le ministre a promis de faire en sorte que les formalités administratives ne retardent pas l’aide essentielle.

Les autorisations s’appliqueraient également aux partenaires de mise en œuvre ou aux fournisseurs de services qui participent à la prestation des activités permises. Cela inclut les activités visant à soutenir la viabilité à plus long terme des populations vulnérables, y compris le soutien nécessaire des femmes et des filles ainsi que de leur pleine participation dans la société, en toute sécurité.

Les activités permises comprennent également le soutien du traitement des demandes d’immigration d’Afghans qui cherchent à fuir une situation dangereuse. Les demandes d’autorisation dans le cadre de ce deuxième volet seraient acceptées de la part de personnes au Canada, de Canadiens à l’extérieur du Canada et d’organismes canadiens.

Dans le cadre de ce régime d’autorisation, le ministre de la Sécurité publique examinera les demandes transmises par le ministre des Affaires étrangères ou le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, qui devraient d’abord s’être assurés que certaines conditions ont été remplies.

Ces conditions sont les suivantes : premièrement, les activités proposées auront lieu dans une région contrôlée par un groupe terroriste; deuxièmement, elles viseront au moins l’une des fins prévues; troisièmement, elles répondront à un besoin réel et émergent. De plus, le ministre qui renvoie la demande — que ce soit le ministre des Affaires étrangères ou le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté — devrait aussi s’assurer que le demandeur a la capacité de gérer des fonds dans des milieux à haut risque et de rendre des comptes à cet égard de manière efficace.

Une fois la demande reçue par le ministre de la Sécurité publique, l’appareil de sécurité nationale mènerait un examen de sécurité pour mesurer l’effet de la délivrance de l’autorisation sur le financement du terrorisme.

Honorables sénateurs, il s’agit d’une étape importante pour des raisons de sécurité. Nous devons savoir s’il y a des liens entre le demandeur, ou toute personne qui est appelée à participer à l’activité proposée, et des groupes terroristes. Nous devons savoir si ces personnes ont déjà fait l’objet d’une enquête pour avoir participé à des activités terroristes. Puis — et je tiens à être bien claire —, nous devons savoir que le financement d’activités terroristes est exclu pour toutes les personnes impliquées.

C’est exactement le critère auquel le ministre de la Sécurité publique doit se fier pour accorder une telle autorisation. Cependant, les organisations humanitaires qui essuient un refus, peu importe la raison, ont un recours important. Après un refus, le demandeur a 30 jours pour faire une nouvelle demande. Il peut également avoir recours à une révision judiciaire.

Les autorisations de cette catégorie — je rappelle qu’il est question du deuxième volet — seraient accordées pour une période maximale de cinq ans et s’appliqueraient à toute personne ou organisation qui mènent les activités autorisées. Les autorisations pourraient également être soumises à des examens de sécurité supplémentaires et pourraient être renouvelées. Les autorisations accordées ou renouvelées pourraient également être modifiées, révoquées, suspendues ou restreintes.

Par exemple, si le demandeur omet de se conformer aux exigences de l’autorisation, cette dernière pourrait faire l’objet d’un réexamen.

Chers collègues, permettez-moi de résumer le processus une dernière fois. Premièrement, une fois le projet de loi adopté, les activités liées à l’aide humanitaire seraient complètement exemptées et les organisations humanitaires impartiales n’auraient pas à demander une autorisation. Elles pourraient reprendre immédiatement leurs activités.

Deuxièmement, le ministre de la Sécurité publique indiquerait par écrit s’il faut obtenir une autorisation pour mener d’autres activités dans une région donnée.

Troisièmement, les demandeurs admissibles qui veulent mener les activités permises devraient présenter une demande complète au ministre des Affaires étrangères ou au ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté. Ces derniers évalueraient la conformité de la demande quant aux objectifs spécifiques, aux besoins et à la capacité du demandeur.

Si ces deux ministres estiment que leurs conditions sont remplies, ils transmettent la demande au ministre de la Sécurité publique, qui procède à un examen de sécurité. Le ministre de la Sécurité publique accorderait ou refuserait l’autorisation demandée en se fondant sur une évaluation des risques et des avantages. Les détenteurs d’une autorisation seraient soumis à des obligations en matière de rapports et à un contrôle de conformité.

Je dois souligner que, même si j’ai beaucoup parlé de l’Afghanistan, le projet de loi ne mentionne pas spécifiquement l’Afghanistan. Il s’applique aussi à d’autres contextes à d’autres régions qui pourraient, malheureusement, tomber elles aussi sous le contrôle d’un régime terroriste, une situation qui ne devrait pas empêcher les personnes qui souffrent — dont la vie est en danger — d’avoir accès à l’aide internationale.

Chers collègues, la version actuelle du projet de loi est très différente de celle que nous avons étudiée en deuxième lecture. Il a été amendé vigoureusement par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, avec la participation des parties prenantes.

À l’origine, le projet de loi prévoyait qu’il incomberait aux acteurs humanitaires de déterminer eux-mêmes quelles zones géographiques étaient contrôlées par un régime terroriste. Le projet de loi amendé prévoit désormais que c’est au ministre de le faire, ce qui réduira le fardeau imposé aux acteurs humanitaires.

Il incombe aussi au ministre de préciser par écrit si un régime d’autorisation est requis pour les activités permises. Dans le milieu, on parle de zones d’activités autorisées ou de zones d’activités interdites. Cet amendement tient compte de la nature dynamique du terrorisme et permet une évaluation actualisée des groupes terroristes et du contrôle qu’ils exercent sur des zones géographiques.

Honorables sénateurs, d’autres amendements adoptés à l’autre endroit renforcent également les mesures de protection des renseignements personnels en restreignant explicitement l’utilisation des renseignements inscrits sur une demande aux fins de la demande d’autorisation ou de son renouvellement. Par ailleurs, on a limité le pouvoir de partage d’information, qui permet aux ministères concernés de recueillir et de divulguer des renseignements, à l’administration et à la mise en œuvre du régime.

En outre, honorables sénateurs, le ministre de la Sécurité publique présentera un rapport annuel sur le fonctionnement de ce régime. Le premier rapport annuel sera déposé le 1er avril 2024, suivi d’un rapport chaque année, puis d’un examen parlementaire quinquennal.

Le rapport doit aussi inclure un plan et un échéancier pour remédier à toute lacune.

Comme Martin Fischer, de Vision mondiale, nous l’a dit au comité :

Compte tenu de la nécessité de trouver un équilibre entre l’urgence de la situation en Afghanistan et la compréhension des paramètres du Code criminel, je pense que ce projet de loi parvient à un juste équilibre. Tout ce que nous apprendrons — et nous apprendrons beaucoup au cours de la première année de mise en œuvre — nous permettra, je l’espère, d’aller jusqu’au bout du processus, et si nous découvrons que nous ne sommes pas d’accord avec certains points, nous pourrons demander des comptes au gouvernement et améliorer le projet de loi à ce moment-là.

Enfin, chers collègues — et c’est important —, le projet de loi C-41 nous permet de nous rapprocher des régimes d’autres pays qui font partie d’un ordre mondial, et je parle plus précisément des régimes des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Australie et de l’Union européenne.

L’approche du gouvernement est conçue pour le Canada, mais elle s’appuie également sur notre travail avec les ONG. Nous avons entendu au comité que le projet de loi C-41 constitue une étape vers l’harmonisation avec ce que font les autres pays. Le Dr Jason Nickerson, de Médecins sans frontières, a affirmé que plusieurs autres pays prévoient des exemptions humanitaires dans des parties semblables et, parfois, dans des parties légèrement différentes de leur code criminel. Comme je l’ai dit, de telles exemptions figurent  dans les lois de l’Australie, de l’Union européenne, de la Nouvelle‑Zélande, de la Suisse, du Royaume-Uni et des États-Unis d’Amérique. Les organisations non gouvernementales croient également qu’il s’agit d’une étape dans le long processus de réforme en profondeur de l’aide humanitaire et de l’aide au développement, et que les leçons tirées ici traceront la voie à suivre à l’avenir.

(1720)

En conclusion, chers collègues, nous devons aider les personnes vulnérables dès maintenant. Nous savons à quel point les situations évoluent rapidement dans un environnement dangereux et contrôlé par les terroristes, et nous savons que nous devons cesser de parler et agir immédiatement.

Tous les témoins au comité nous ont dit qu’ils croient, grâce à l’exemption humanitaire, aux mesures renforcées de protection des renseignements personnels et à l’examen qui aura lieu un an après l’entrée en vigueur du projet de loi, que ce dernier est maintenant conforme à son objectif et devrait être adopté sans tarder.

L’honorable Marilou McPhedran : J’ai une question. La sénatrice Omidvar acceptera-t-elle d’y répondre?

La sénatrice Omidvar : Bien sûr.

La sénatrice McPhedran : Je vous remercie beaucoup du travail que vous avez consacré à ce projet de loi.

Dans le cas où le projet de loi ne serait pas adopté rapidement, avant que nous ajournions pour l’été, quelles en seront les conséquences les plus évidentes, si le Sénat ne l’adopte pas?

La sénatrice Omidvar : Je répète à nouveau — et je vous remercie, sénatrice McPhedran, de votre question —, des vies seront en péril. Des bébés mourront. Des femmes seront en danger. Des gens manqueront de nourriture, d’abri et de protection. Il est question aujourd’hui de sauver des vies ou de laisser des gens mourir.

L’honorable Leo Housakos : La sénatrice Omidvar accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Omidvar : Oui.

Le sénateur Housakos : Merci de votre intervention, sénatrice Omidvar. De toute évidence, il s’agit d’un projet de loi qui doit être adopté sans tarder, et le temps presse. Puisqu’il a fait l’objet d’un vaste consensus à la Chambre et qu’il a été décortiqué par un de ses comités, pourquoi ne pas l’adopter dès maintenant? Pourquoi devrait-il être renvoyé à un comité sénatorial au lieu d’être adopté sur-le-champ?

La sénatrice Omidvar : C’est le Sénat qui va en décider.

L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, c’est sur les terres du peuple anishinabe algonguin que je prends aujourd’hui la parole pour appuyer le projet de loi C-41 qui, je l’espère, sera adopté rapidement. Ce projet de loi important doit entrer en vigueur rapidement afin que les extraordinaires organismes de bienfaisance canadiens puissent faire ce qu’ils font le mieux, c’est-à-dire fournir de manière efficace, efficiente et humaine le nécessaire — nourriture, eau, services de santé — aux personnes dans le besoin, quels que soient leur âge et l’endroit où elles vivent et sans craindre d’être poursuivis au criminel.

Il est déjà déplorable que les personnes à qui les organismes humanitaires canadiens offrent leurs services vivent dans la peur constante et que leurs employés de première ligne soient exposés à toutes sortes de dangers. Ces organismes ne devraient pas craindre en plus d’être poursuivis au Canada simplement parce que les personnes à qui elles offrent leurs services vivent sous le joug de terroristes, comme les talibans en Afghanistan.

Comme l’a expliqué en détail et de manière éloquente la sénatrice Omidvar, ce projet de loi offre une solution législative à ce problème en modifiant le Code criminel du Canada de manière à permettre la fourniture d’aide humanitaire dans les zones contrôlées par des groupes terroristes. C’est tout à fait logique, chers collègues, et c’est la voie à suivre.

Comme vous pouvez le voir, j’ai l’intention d’être très brève, honorables collègues. Il y a seulement un élément que j’estime avoir l’obligation d’aborder avec vous.

Lors de mon premier discours au Sénat, j’ai présenté à ceux d’entre vous qui étaient présents il y a cinq ans des personnes qui m’ont influencée tout au long de mon parcours. Permettez-moi de citer un court paragraphe de ce discours, dans lequel je présente l’une de ces personnes :

Jusqu’à tout récemment, Bibi Gul, une veuve afghane qui a un fils à sa charge, était une réfugiée en Iran. Je l’ai rencontrée dans les montagnes près de Kaboul, où elle avait littéralement creusé sa demeure [...]

 — à la main à l’aide d’une cuillère, d’un couteau et de tout outil simple qu’elle pouvait trouver —

[...] à flanc de montagne. Elle gagnait sa vie en brodant les badges des policiers et d’autres représentants de l’État. Elle se servait de microprêts pour acheter le matériel et les fils spécialisés qu’elle importait d’Iran. Bibi est une force da la nature et elle était fière de la demeure et de l’entreprise qu’elle avait bâties.

Bibi Gul m’a beaucoup appris sur le pouvoir de l’ingéniosité humaine. Je pense à elle aujourd’hui et je me demande comment elle et son fils s’en sortent dans la nouvelle réalité du régime taliban, dont elle et sa famille avaient fui les actes terroristes dans les années 1990.

Bibi Gul a réussi à obtenir les maigres capitaux dont elle avait besoin auprès de l’un des nombreux organismes de microfinancement soutenus par le Mécanisme de microfinancement et de soutien en Afghanistan, mieux connu sous le sigle anglais MISFA. Le MISFA offre des prêts et des services financiers à des centaines de milliers de personnes comme Bibi afin qu’elles puissent gagner leur vie. Il a aussi pour mandat de doter l’Afghanistan d’un secteur de la microfinance solide et durable, de coordonner les contributions des donateurs étrangers et de faire de l’économie afghane l’une des pierres d’assises d’une future démocratie stable et résiliente.

En 2007, notre collègue la sénatrice Verner, qui était alors ministre responsable de l’Agence canadienne du développement international, a annoncé que le Canada verserait 16 millions de dollars américains au MISFA. Son collègue de l’époque, le ministre Peter MacKay, m’a demandé de siéger au conseil d’administration du MISFA et d’y représenter le Canada et d’autres donateurs étrangers en Afghanistan. De 2007 à 2010, je me suis rendue régulièrement en Afghanistan pour assister aux réunions du conseil et aller voir divers endroits, comme l’entreprise que Bibi exploite à partir de chez elle, dans les montagnes près de Kaboul. L’année après la fin de mon mandat, notre collègue la sénatrice Rebecca Patterson a été postée dans ce pays par les Forces armées canadiennes.

Le Canada a commencé à fournir de l’aide humanitaire à l’Afghanistan au début des années 1960, initialement à la suite de catastrophes nationales. Il entretient des liens diplomatiques avec l’Afghanistan depuis 1968 et il a ouvert une ambassade à Kaboul en 2003, mais, comme chacun le sait, elle a dû fermer ses portes en août 2021 lorsque les talibans ont repris l’Afghanistan de force.

De 2001 à 2021, le Canada a fourni 3,9 milliards de dollars en aide internationale à l’Afghanistan. Honorables collègues, nous savons que 40 000 soldats canadiens ont courageusement pris part aux opérations des forces de l’OTAN dans ce pays, et que 158 d’entre eux — y compris la capitaine Nichola Goddard, originaire de ma ville, ainsi qu’un diplomate — y ont perdu la vie.

Avec l’aide du Canada et d’autres partenaires à l’échelle internationale, l’Afghanistan, avec ses nombreux leaders dévoués et compétents au sein du gouvernement et de la société civile, a fait des progrès considérables en ce qui concerne les droits des femmes, l’éducation, le développement économique — y compris à l’échelle communautaire, ce qui s’applique à Bibi et, bien honnêtement, à la plupart des Afghans —, de même que la santé, la paix et la sécurité et les premières étapes très délicates de l’établissement d’une démocratie stable.

Honorables collègues, ces gains ont été durement acquis, et en réalité, la situation en Afghanistan a toujours été précaire. Par moments, le simple fait d’assister à des réunions du conseil à Kaboul me terrifiait parce que la situation était encore instable à l’époque, et il y avait encore des attentats à la bombe qui se produisaient à tout moment, et souvent dans des endroits que je venais de visiter.

À vrai dire, honorables collègues, après tous ces efforts, ces investissements et ces espoirs, la situation actuelle en Afghanistan me désole.

Lors de la séance d’information initiale sur le projet de loi C-41, nous avons entendu des représentants de la Coalition humanitaire du Canada et de la coalition d’aide pour l’Afghanistan, dont notre collègue, la sénatrice Omidvar, vient de parler. L’un des leaders de la société civile canadienne présents à la séance d’information a dit quelque chose que j’ai trouvé profond et très pertinent pour la discussion et pour l’engagement du Canada envers le peuple afghan. Cette personne a dit : « Des gens en bonne santé et bien nourris sont une condition préalable à la voie politique nécessaire pour l’Afghanistan. » C’est évident, certes, mais ce n’est pas ce à quoi l’on pense d’emblée en pleine crise.

Chers collègues, lors de crises humanitaires comme celle que connaît l’Afghanistan, fournir aux gens les produits de première nécessité est en soi la chose la plus humaine, la plus cruciale et la plus urgente à faire.

(1730)

Par ailleurs, il est essentiel de garder à l’esprit en ce moment ce rappel important à l’intention des dirigeants canadiens du secteur humanitaire international. Pour que le peuple afghan puisse retrouver une vie normale de même que ses droits et son pays, et pour qu’il puisse protéger et consolider certains de ses acquis, il devra faire preuve de force et de résilience.

Chers collègues, nous savons que le Canada fournit une certaine aide humanitaire aux Afghans depuis que les talibans ont repris le pays il y a près de deux ans, mais cette aide a été fournie par des organisations internationales, et non par notre propre secteur vigoureux.

Avec l’adoption du projet de loi C-41, les organisations canadiennes seront en mesure d’intensifier leur dispositif humanitaire, de mobiliser les Canadiens qui souhaitent soutenir les efforts déployés pour répondre à la crise humanitaire et d’aider immédiatement un plus grand nombre d’Afghans en leur allouant davantage de ressources.

Ce soutien important aidera les Afghans à surmonter ces temps difficiles. J’espère qu’il aidera Bibi Gul et les centaines, voire les milliers de femmes et d’hommes qui travaillaient fort pour créer leurs propres moyens de subsistance durables.

En outre, honorables sénateurs, j’espère qu’en ouvrant les vannes de ce soutien important, nous aiderons les Afghans comme Bibi à reprendre des forces pour les prochaines étapes de leur lutte pour la paix, les droits de la personne, le développement social et économique, ainsi que la démocratie.

Chers collègues, ne tardons pas. Honorables sénateurs, faisons avancer ce projet de loi plein de bon sens pour aider les Afghans d’aujourd’hui et ceux qui, à l’avenir, pourraient se trouver dans des situations de crise semblables ailleurs dans le monde.

Manana , tashakor, merci.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-41, loi modifiant le Code criminel en ce qui concerne l’aide humanitaire dans les pays que le Canada considère comme ayant un régime terroriste.

J’aimerais remercier le ministre Mendicino et la sénatrice Omidvar d’avoir parrainé ce projet de loi, de même que la sénatrice Ataullahjan de tous ses efforts en vue d’aider les gens de l’Afghanistan.

Le but du projet de loi C-41 est de remédier au fait que, à l’heure actuelle, le cadre juridique du Canada limite la capacité des organismes canadiens d’aide humanitaire de porter assistance au peuple de l’Afghanistan en raison du risque de responsabilité criminelle, puisque le Canada considère les talibans comme étant un régime terroriste.

Comme l’a dit la sénatrice Omidvar, en pratique, le projet de loi C-41 permettrait aux organismes canadiens d’aide humanitaire d’offrir leurs services par la voie de deux mécanismes distincts, l’un étant destiné à l’aide humanitaire et l’autre aux activités de développement.

J’aimerais vous raconter la triste histoire d’Aziz Gul.

De nombreuses familles prennent des décisions désespérées pour survivre en Afghanistan, y compris celle de vendre leurs enfants — en particulier les jeunes filles — en vue d’un mariage afin de recevoir une dot de la famille du marié et d’ainsi pouvoir acheter de la nourriture.

À l’âge de 16 ans, Aziz Gul a été vendue en mariage à un homme qui avait plus de deux fois son âge. Cinq mois plus tard, sa famille a reçu un appel l’informant que leur fille avait été tuée. Son corps nu avait été retrouvé dans une forêt juste en dehors du village où elle habitait avec sa belle-famille.

Aziz Gul a été battue et elle a reçu quatre balles dans le dos. Elle avait 17 ans et elle était enceinte de quatre mois. Lorsque ses parents éplorés ont entrepris de rapporter sa dépouille à la maison — un périple de plusieurs jours —, ils ont appris que le mari de leur fille avait tendance à faire des crises de rage et à se montrer agressif.

Il ne s’agit pas d’un incident isolé, honorables sénateurs. Si je vous en parle, c’est pour que vous saisissiez à quel point la situation en Afghanistan est déchirante, pour ne pas dire carrément tragique. Les problèmes d’aide humanitaire et d’aide au développement ne cessent d’ailleurs de prendre de l’ampleur et de s’intensifier.

Permettez-moi maintenant de vous donner quelques chiffres inquiétants au sujet de la crise. L’Afghanistan traverse actuellement la pire crise humanitaire du monde : 97 % des Afghans vivent dans la pauvreté, comparativement à 47 % en 2020.

Rien que cette année, les deux tiers de la population, soit 28 millions de personnes, auront besoin d’aide humanitaire pour survivre. Selon le Programme alimentaire mondial, près de 20 millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire grave, et 6 millions sont à un cheveu de la famine. Cette crise humanitaire a été exacerbée par la sécheresse, les inondations, les tremblements de terre et autres catastrophes naturelles. De plus, 2,3 millions d’enfants risquent de souffrir de malnutrition grave seulement cette année, et quasiment 1 million d’entre eux pourraient en mourir s’ils ne sont pas traités.

Le directeur pour l’Afghanistan de Save the Children, Chris Nyamandi, a décrit dans ces mots l’effet que la crise a eu sur les enfants afghans :

Je n’ai jamais rien vu de tel que la situation désespérée que nous observons ici en Afghanistan. Chaque jour, nous soignons des enfants terriblement malades qui n’ont rien mangé d’autre que du pain depuis des mois. Les parents doivent prendre des décisions impossibles : lesquels de leurs enfants doivent-ils nourrir? Les envoient-ils travailler ou les laissent-ils mourir de faim? Ce sont des choix atroces qu’aucun parent ne devrait avoir à faire.

Comme vous le savez, les talibans sont revenus au pouvoir le 15 août 2021. Leur accession au pouvoir a plongé le pays dans une tourmente économique encore plus profonde et a exacerbé la pauvreté alors que l’aide essentielle cessait d’affluer dans le pays. Ils ont complètement bafoué les droits des femmes et des jeunes filles.

Chers collègues, tout au long de ma carrière de sénatrice, depuis 2001, date du début de la guerre en Afghanistan, j’ai travaillé avec M. Chrétien et de nombreuses femmes pour faire en sorte que des femmes accèdent à des postes de direction. M. Chrétien a personnellement assuré à ces femmes que des soldats canadiens les protégeraient. C’était en 2001. Aujourd’hui, en 2023, nous n’avons même pas de rôle en Afghanistan.

Cependant, depuis le 15 août 2021, date à laquelle les talibans ont pris le pouvoir, tout le soutien apporté par le Canada aux femmes, aux enfants et aux personnes marginalisées d’Afghanistan, comme je l’ai dit précédemment, s’est interrompu.

Le Canada a cessé de fournir une aide humanitaire et une aide au développement à l’Afghanistan en raison de certaines dispositions relatives au terrorisme dans notre Code criminel, notre gouvernement ayant déclaré que les talibans sont une organisation terroriste.

Cela m’attriste de vous le dire, mais le Canada a mis deux ans pour trouver le moyen d’envoyer de l’aide humanitaire en Afghanistan, alors que ses alliés, dont l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les États-Unis et le Royaume-Uni, ont vite trouvé une façon de recommencer à acheminer de l’aide humanitaire et de l’aide au développement et pour que les organismes d’aide continuent à recevoir du financement malgré les lois antiterroristes nationales.

(1740)

Le Canada est le seul pays du G7 qui n’a pas encore trouvé le moyen de recommencer à acheminer l’aide humanitaire qui permettrait de sauver des vies afghanes. C’est tout à fait inacceptable, sénateurs. Le Canada devrait avoir honte de traîner les pieds de la sorte, alors qu’il y a d’autres façons d’aider les femmes et les enfants qui vivent dans le désespoir.

Le Canada a un rôle important à jouer là-bas, mais surtout, sénateurs, les Canadiens veulent que leur pays joue ce rôle important. Je ne vous dis pas le nombre de Canadiens qui m’appellent régulièrement pour me dire que le Canada devrait avoir honte d’être parti de l’Afghanistan. Ces deux ans ont fait en sorte que le Canada et l’aide canadienne ont disparu d’un pays qui en aurait cruellement besoin.

Quoi qu’il en soit, comme l’a dit la sénatrice Omidvar, le projet de loi C-41 va créer un système à deux volets : un premier pour l’aide humanitaire et un second pour l’aide au développement.

Du côté de l’aide humanitaire, le projet de loi prévoit une exception afin que les organismes puissent offrir des services humanitaires, comme l’alimentation, le logement, l’hygiène et la protection sur le terrain. Ces secours d’urgence sauvent des vies et ils sont offerts par les organismes humanitaires dont parlait la sénatrice Omidvar. Les organismes canadiens pourront donc continuer à faire ce qu’ils font sans crainte de s’exposer à des sanctions criminelles. Ce processus est clair et sans équivoque.

Sur le second volet, mon point de vue est légèrement différent de celui de la sénatrice Omidvar. Ce volet s’appliquera aux activités de développement. Le projet de loi propose l’établissement d’un régime d’autorisation qui permettra aux personnes et aux organisations canadiennes d’obtenir des autorisations qui les mettraient à l’abri de toute responsabilité criminelle. Plus précisément, il permettra aux organisations de fournir des services de santé, des services d’éducation, des services d’immigration, des programmes sur les droits de la personne et un soutien au revenu. Cependant, la procédure proposée par le gouvernement pour l’obtention de ces autorisations est complexe et obscure.

La première étape de la procédure exige que la personne ou l’organisation canadienne concernée présente une demande au ministère des Affaires étrangères ou au ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté. Ces ministères doivent ensuite s’assurer que certaines conditions sont remplies. Il faut notamment que l’activité proposée corresponde à un objectif autorisé et réponde à un besoin réel et important.

Les deux ministères transmettront ensuite la demande au ministère de la Sécurité publique. Une fois que ce dernier aura reçu la demande, il l’examinera, et il évaluera les répercussions qu’aurait son approbation.

Honorables sénateurs, les facteurs à étudier incluent notamment de vérifier s’il y a des liens entre les demandeurs, ou toute personne qui est appelée à participer à l’activité, et des groupes terroristes, et déterminer si ces personnes ont fait l’objet d’une enquête, d’une accusation ou d’une condamnation relativement à une infraction de terrorisme. Pourtant, nous n’avons pas obtenu de précisions sur ces processus. Nous n’avons reçu aucune réponse au sujet de la réglementation. La sénatrice Omidvar a posé une question très précise au ministre : quand la réglementation sera-t-elle mise en place? Au comité, le ministre n’a même pas répondu à la question. Par conséquent, nous ne savons même pas avec quelle rapidité la réglementation sera établie. Je trouve cet aspect très inquiétant : après deux ans d’attente, faudra-t-il une autre année pour mettre en place la réglementation?

Je vous signale que les demandes initiales doivent d’abord être approuvées par des ministères qui font partie des plus occupés de l’appareil gouvernemental avant même d’être envoyées au ministre de la Sécurité publique. Je peux vous garantir que ce processus entraînera de longs retards.

Honorables sénateurs, permettez-moi d’insister à nouveau sur la nécessité d’agir. De nombreux incidents dévastateurs illustrent les conditions désespérées qui règnent en Afghanistan, y compris de nombreux enfants qui souffrent. Je ne vais pas vous donner d’exemples. Des organisations canadiennes sont prêtes à fournir de l’aide aux groupes d’Afghans les plus vulnérables. Elles attendent de recevoir l’autorisation pour le faire.

Des conteneurs de fournitures essentielles se trouvent au port de Montréal, prêts à être envoyés en Afghanistan.

Michael Messenger, président de Vision mondiale Canada, a déclaré que le cœur du problème est simple :

Les Canadiens veulent aider l’Afghanistan au moment où il en a le plus besoin [...]. Notre gouvernement doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour permettre l’acheminement de l’aide humanitaire.

Comme ces organisations humanitaires ne peuvent pas poursuivre leur travail salvateur, si le gouvernement n’agit pas rapidement et n’apporte pas les précisions nécessaires par le biais de la réglementation, il faut garantir aux organisations humanitaires et de développement que leur travail salvateur ne sera pas pénalisé par le Code criminel du Canada.

Honorables sénateurs, rappelons que 167 enfants meurent chaque jour en Afghanistan de maladies évitables, de malnutrition et du manque d’eau potable.

J’ai entendu beaucoup de remue-ménage pendant que je parlais. Normalement, je me serais assise, je me serais dit que cela était très impoli et que tout le monde aurait dû être à sa place. J’espère seulement que c’était pour faire avancer ce projet de loi plus rapidement. Toutefois, il faut être prudent. Il ne faut pas se hâter tant que la réglementation n’est pas en place, car tout n’est pas très clair. Sans réglementation, ces deux grands navires ne quitteront pas le port de Montréal.

Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui sur le projet de loi C-41, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence, qui modifierait le Code criminel pour permettre la prestation d’aide internationale et la tenue d’activités liées à l’immigration dans des zones contrôlées par des groupes terroristes.

Sans ce projet de loi, les organismes d’aide humanitaire risqueraient d’enfreindre la loi en tentant de fournir de l’aide en Afghanistan. Le paragraphe 83.03(b) du Code criminel stipule qu’est coupable d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de 10 ans quiconque, directement ou indirectement, réunit ou fournit des biens, des services financiers ou d’autres services connexes en sachant qu’ils seront utilisés, en tout ou en partie, par un groupe terroriste.

La version révisée du projet de loi C-41 vise à permettre aux organismes d’aide humanitaire de fournir de la nourriture, des abris et des soins de santé vitaux dans toute zone géographique contrôlée par des groupes terroristes sans avoir recours à une équipe d’avocats.

Avant d’aller plus loin, j’aimerais prendre un moment pour remercier ma collègue la sénatrice Omidvar de ses efforts continus en vue d’aider les Afghans par l’entremise de Lifeline Afghanistan. Merci aussi à la sénatrice Jaffer de son engagement envers le peuple afghan, et merci à la sénatrice McPhedran.

J’aimerais aussi remercier mes collègues du Comité sénatorial des droits de la personne pour leur travail dans ce dossier. Comme la sénatrice Omidvar l’a indiqué, le comité a présenté un rapport opportun et pratique en décembre 2022, et bon nombre de ses recommandations se trouvent dans la version amendée du projet de loi C-41.

Aujourd’hui, j’aimerais me faire l’écho des paroles de la marraine du projet de loi C-41, en particulier en ce qui concerne les amendements. Nous avons perdu suffisamment de temps depuis que les talibans ont repris Kaboul par la force, et notre priorité devrait être de fournir une aide humanitaire vitale aux Afghans affamés. Comme on l’a déjà expliqué de manière très éloquente, les amendements au projet de loi sont essentiels afin de réduire le fardeau imposé aux intervenants du secteur humanitaire.

Chers collègues, comme vous êtes nombreux à le savoir, l’Afghanistan a toujours occupé une place spéciale dans mon cœur. Lorsque j’étais enfant, à Peshawar, au Pakistan, presque rien ne me faisait plus plaisir qu’une escapade à Kaboul. J’ai de doux souvenirs de ces étés passés en Afghanistan, où les gens étaient généreux, les paysages magnifiques et la nourriture incomparable. L’Afghanistan de ma jeunesse était une société décontractée et agréable où les hommes et les femmes étaient libres d’aller au restaurant, à la discothèque — comme on disait à l’époque — et dans les théâtres en plein air. Il y avait des jardins partout, fréquentés par de nombreuses familles qui s’y réunissaient pour passer du temps dans la nature. Les femmes avaient une présence très visible dans tous les domaines de la société et il était courant de les voir posséder des entreprises.

(1750)

Mais l’invasion soviétique, en 1979, a changé la vie du peuple afghan. Depuis lors, l’Afghanistan n’a pas connu la paix. Des décennies de guerre ont fait des ravages.

À l’heure actuelle, le pays fait face à une crise humanitaire sans précédent. Les deux tiers de la population du pays auront besoin d’une aide humanitaire rien que cette année, et près de 95 % des Afghans souffrent de malnutrition. Selon Ramiz Alakbarov, représentant spécial adjoint des Nations unies, coordinateur résident et coordinateur humanitaire en Afghanistan, « le destin de toute une génération d’Afghans est en jeu ». Les femmes et les jeunes filles ont été complètement exclues de la société et privées d’éducation, d’emploi et de liberté de mouvement en raison de leur sexe.

Ce n’est pas la première fois que je prends la parole dans cette enceinte pour faire part de mes préoccupations concernant le peuple afghan. En février, j’ai exhorté le gouvernement à aider les Afghans qui mouraient de froid et de faim au cours de l’un des hivers les plus rudes que l’Afghanistan ait connus depuis des années. En mars de l’année dernière, j’ai parlé de la famine qui menaçait 24 millions d’Afghans, obligeant beaucoup d’entre eux à vendre un rein, ou pire, leurs filles, comme la sénatrice Jaffer vient de le mentionner. En novembre 2021, j’ai exprimé le déchirement que j’ai ressenti en constatant le désespoir des Afghans laissés pour compte et l’effacement total des femmes et des arts de la vie publique.

Déjà en tant que nouvelle sénatrice, j’ai proposé, en 2010, que l’on étudie le rôle que pourrait jouer le gouvernement du Canada pour promouvoir les droits des femmes après la fin des opérations de combat en Afghanistan. Le comité a recommandé des moyens concrets que pourrait prendre le Canada pour faire de l’avancement des droits des femmes un élément fondamental de son approche à l’égard de l’Afghanistan après 2011.

Plus récemment, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a présenté un rapport sur l’aide humanitaire à l’Afghanistan, plus précisément sur les conséquences qu’ont les lois canadiennes relatives au financement du terrorisme sur la prestation de l’aide aux personnes vulnérables en Afghanistan. Le comité a entendu des intervenants clés qui ont expliqué qu’en raison de l’article 83.03b) du Code criminel, des services cruciaux ont été mis en suspens. C’est notamment le cas des services de sages-femmes en régions éloignées. Des envois d’aide ont été suspendus et des stocks stagnent en entrepôt. Martin Fischer, de Vision mondiale, a expliqué au comité qu’une interprétation trop restrictive de l’article 83.03b) ne pénalisait en fin de compte que les personnes les plus vulnérables en Afghanistan, y compris les femmes et les filles que la Politique d’aide internationale féministe du Canada est censée protéger.

Le comité a formulé cinq recommandations, dont celle-ci : que le ministère de la Justice présente sans tarder un projet de loi afin de créer une exemption humanitaire explicite à l’alinéa 83.03b) du Code criminel, afin de préciser que cette disposition ne s’applique pas à l’aide humanitaire qui est fournie de manière légitime — sans dessein terroriste — mais qui bénéficie fortuitement à un groupe terroriste.

Chers collègues, je suis heureuse de constater que la version amendée du projet de loi C-41 inclut une exception humanitaire proposée par le NPD, mais je tiens à vous rappeler qu’il y a plus d’un an, les alliés du Canada, tels que les États-Unis, le Royaume‑Uni, l’Union européenne et l’Australie, avaient déjà prévu des exemptions générales pour les travailleurs humanitaires. Heather McPherson, porte-parole du NPD en matière d’affaires étrangères, a déclaré :

Le Canada est le seul à avoir érigé des barrières pour les organisations humanitaires, au lieu de faciliter leur présence sur le terrain pour aider les Afghans.

Bien que je soutienne pleinement le projet de loi C-41, je dois vous faire part de certaines de mes préoccupations concernant cette mesure législative. Heureusement, je pense qu’elles sont tout à fait surmontables si l’on fait preuve de suffisamment de préparation et de prévoyance. Comme vous le savez maintenant, le projet de loi C-41 offre deux possibilités aux organisations humanitaires de fournir de l’aide dans les zones contrôlées par des terroristes. L’exemption humanitaire protège les organisations humanitaires impartiales des lois antiterroristes canadiennes sans qu’elles aient à demander une autorisation au gouvernement. Pour les activités de développement admissibles, les personnes et organisations admissibles doivent demander une autorisation au gouvernement pour être à l’abri de toute responsabilité criminelle. À cette fin, le ministre de la Sécurité publique doit fournir, sur demande, des informations aux organisations et aux personnes qui se demandent si elles doivent obtenir une telle autorisation du gouvernement.

Toutefois, j’ai appris que certains détails administratifs n’ont pas encore été définis, parce qu’on ne sait pas encore comment les organisations devront communiquer avec le ministre. On a laissé entendre que ce pourrait être un processus similaire à celui pour demander la suppression d’un nom de la liste d’interdiction de vol : autrement dit, communiquer avec le bureau du ministre par courriel. Si les problèmes dont nous avons entendu parler au sujet de ce processus témoignent de son efficacité, je crois qu’on peut faire mieux. Pour ce qui est de la disponibilité des renseignements pour les demandeurs potentiels, Richard Bilodeau, directeur général de Sécurité publique Canada, a laissé entendre que l’information devrait éventuellement être affichée sur un site Web, mais rien n’est encore coulé dans le béton.

Je peux comprendre que les amendements apportés à ce projet de loi ont pris par surprise certaines équipes, mais je m’inquiète du fait que le personnel supplémentaire n’a pas encore été embauché pour analyser les demandes qui rentreront dès que le projet de loi C-41 aura reçu la sanction royale.

J’ai aussi questionné le ministre Mendicino sur l’échéancier prévu pour traiter et analyser les demandes. Il m’a répondu que ce serait déterminé au cas par cas, car les vérifications en matière de sécurité peuvent être plus longues pour les organisations moins connues. J’ai proposé au ministre de trouver une solution pour simplifier les vérifications de certaines organisations, par exemple la Croix-Rouge, Vision mondiale et Médecins sans frontières, afin d’accélérer le processus et faire en sorte que ces organisations humanitaires se rendent le plus rapidement possible en Afghanistan.

Encore une fois, je dois souligner qu’il est possible de résoudre ces problèmes, et que le dernier budget du gouvernement a prévu du financement pour doter les bureaux touchés. En fait, la version actuelle du projet de loi C-41 n’est peut-être pas parfaite, mais, comme l’a dit Me Erica See, conseillère juridique principale pour la Croix-Rouge, pendant l’étude préliminaire du projet de loi au Comité permanent des droits de la personne :

[...] c’est ce dont on a besoin pour donner au secteur humanitaire une voie à suivre — une porte d’entrée, si vous voulez — pour offrir une aide humanitaire dans des situations comme celle qui existe en Afghanistan.

Honorables sénateurs, cela fait chaud au cœur de savoir que tous les partis à l’autre endroit ont collaboré au comité pour améliorer la version initiale du projet de loi C-41, présentée lors de la première lecture. Chers collègues, à titre de porte-parole du projet de loi, je vous invite à l’adopter sans délai pour enfin donner une lueur d’espoir à de nombreux Afghans.

Comme l’a dit Me See au Comité permanent des droits de la personne, lundi : « Si le projet de loi n’est pas adopté maintenant, une autre année passera sans aide humanitaire en Afghanistan, alors qu’elle en a grandement besoin. »

Comme l’a dit la sénatrice Coyle, manana, tashakor, merci.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Tout d’abord, permettez-moi de remercier sincèrement la sénatrice Omidvar pour avoir fait avancer ce projet de loi, ainsi que la sénatrice Ataullahjan pour le travail qu’elle y a consacré.

Votre Honneur, ce projet de loi a fait l’objet d’une étude préalable et a donc été étudié par un comité. Il y a eu des discussions entre les leaders — en vue d’accélérer le processus et dans l’espoir que le projet de loi reçoive la sanction royale le plus rapidement possible, ce que nous sommes portés à croire —, et les leaders ont accepté, Votre Honneur, de faire avancer ce projet de loi. Sur ce, avec le consentement du Sénat, je propose que le projet de loi soit maintenant lu une troisième fois.

[Français]

Son Honneur la Présidente : Nous allons tout d’abord terminer la deuxième lecture, puis nous allons procéder à la troisième lecture.

[Traduction]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5b) du Règlement, je propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois maintenant.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

(1800)

[Français]

Les travaux du Sénat

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, il est maintenant 18 heures. Conformément à l’ordre adopté plus tôt aujourd’hui, je dois quitter le fauteuil jusqu’à 19 heures à moins que les honorables sénateurs consentent à ne pas voir l’horloge. Êtes-vous d’accord pour ne pas voir l’horloge?

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : Il en est ainsi ordonné.

(La séance du Sénat est suspendue.)

[Traduction]

(Le Sénat reprend sa séance.)

(1900)

Projet de loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Cormier, appuyée par l’honorable sénatrice Miville-Dechêne, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

L’honorable Tony Loffreda : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-13, Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada.

J’appuie la vision et l’intention de ce projet de loi, mais pas dans sa forme actuelle.

[Français]

Rappelons-nous que je suis un fier Québécois. Je suis fier de vivre dans une province où le français est la langue commune du peuple ainsi que la langue officielle.

Comme je l’ai expliqué lors de mon intervention à la deuxième lecture, je crains tout simplement que l’inclusion de la référence à la Charte de la langue française du Québec soit hautement problématique d’un point de vue bureaucratique et juridique. Les membres de la communauté anglophone du Québec partagent également mon inquiétude.

[Traduction]

Bien des gens croient que l’inclusion de la Charte de la langue française du Québec, qui a récemment été modifiée par l’adoption de la loi 96 l’an dernier, est un grave défaut du projet de loi dont nous sommes saisis. Je ne vais pas répéter tout ce que j’ai dit dans le discours que j’ai prononcé à l’étape de la deuxième lecture. Mes opinions ont été consignées, et je les maintiens.

Ce qui m’inquiète, c’est qu’une fois que ce projet de loi aura reçu la sanction royale, la Charte de la langue française fera partie de la Loi sur les langues officielles. Cela m’inquiète, car nous savons tous que la Charte inclut l’utilisation préventive de la disposition de dérogation. Je continue de croire que l’utilisation préventive de la disposition de dérogation n’est pas une bonne façon de gouverner.

Je crois que notre ancienne collègue, l’ex-sénatrice Joan Fraser, a résumé la situation de manière élégante lorsqu’elle a témoigné devant le Comité des langues officielles la semaine dernière. Voici ce qu’elle a dit :

Comme vous le savez, la Charte de la langue française a été modifiée l’année dernière par la loi 96. À présent, les dispositions « de dérogation » de la Charte des droits et libertés et de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec sont invoquées à titre préventif. Cela a seulement été fait une fois avant, au Québec, avec la loi 21. L’inclusion de références à la Charte de la langue française dans le projet de loi C-13 équivaut donc à accepter tacitement l’utilisation préventive de la clause « nonobstant », et à mon avis, tous les Canadiens devraient trouver cela préoccupant.

Elle a ajouté ceci :

Nous savons que, selon certains arguments qui ont été avancés, le fait d’inclure la Charte de la langue française dans la Loi sur les langues officielles ne diminuerait pas les droits des Québécois anglophones. Je dirais que ces arguments ont peut-être été formulés avant que le projet de loi C-13 ne soit modifié pour inclure un renvoi à une loi québécoise, dans la disposition de déclaration d’objet de la Loi sur les langues officielles. Notre évaluation juridique a toujours été que ce serait effectivement dangereux pour les droits de notre communauté que la Charte de la langue française du Québec soit mentionnée dans la Loi sur les langues officielles. Cela est d’autant plus clair dans la version actuelle du projet de loi. Le doyen de l’une des facultés de droit les plus respectées du monde vous a dit que l’inclusion de cette référence pourrait avoir des effets graves et durables sur les droits linguistiques.

Comme je l’ai demandé avec insistance dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture et comme la sénatrice Fraser l’a déclaré devant le comité :

[...] le fait de retirer les références dans le projet de loi C-13 à la Charte de la langue française ne diminuerait ou n’abrogerait d’aucune façon les droits des communautés francophones en situation minoritaire ni le soutien qui leur est accordé. Cependant, les conserver présente un danger, un danger pour la communauté anglophone du Québec, et aussi le danger d’établir un régime de langue officielle créant un précédent en vertu duquel les autres provinces pourront imposer des restrictions à leurs propres minorités linguistiques, comme l’a fait le Québec.

En réponse à une question du sénateur Cormier, Marion Sandilands, avocate et membre du Quebec Community Groups Network, a expliqué que le fait que la Charte de la langue française soit :

[...] mentionnée dans la Loi sur les langues officielles fédérale, dont l’objectif avant le projet de loi C-13 était de protéger et de faire respecter les droits des minorités linguistiques, est contradictoire.

Mme Sandilands pose la question suivante :

Comment une loi provinciale qui porte atteinte aux droits linguistiques constitutionnels peut-elle être mentionnée et maintenue dans la Loi sur les langues officielles fédérale?

Elle fait valoir que :

[...] citer une loi provinciale qui utilise de manière préventive et radicale la disposition de dérogation [...] rendra très difficile pour un tribunal d’accepter les observations du procureur général du Canada, si celui-ci décide un jour de s’opposer à l’utilisation de la disposition de « dérogation » de cette façon. C’est contradictoire de la rejeter d’une part et de l’approuver dans ce projet de loi, d’autre part.

Avec tout le respect que je dois à la ministre des Langues officielles, la réponse qu’elle a donnée au sénateur Gold la semaine dernière, lors de sa comparution devant le Comité des langues officielles, n’était pas du tout rassurante, malgré ses nombreux efforts.

[Français]

La ministre nous a dit ce qui suit :

Le fait de faire référence à la Charte de la langue française dans le projet de loi comme tel est tout simplement une description de la loi du Québec. En aucun temps nous ne disons que nous sommes d’accord ou non avec la Charte de la langue française.

Cela n’inspire pas confiance.

À mon avis, le gouvernement fédéral approuve la charte et son contenu, en l’incluant dans la Loi sur les langues officielles, même si certains avancent que ce n’est pas une référence par renvoi.

Je ne crois pas à l’argument selon lequel il s’agit simplement d’une description de la réalité québécoise. Justement, c’est la réalité au Québec, et l’utilisation de la disposition de dérogation par le gouvernement provincial est très préoccupante et pose un problème pour les anglophones du Québec.

La ministre mentionne aussi « qu’il y a eu beaucoup de confusion lors des débats sur ce projet de loi. » J’en conviens, et l’inclusion de la charte ne fait que perpétuer cette confusion.

Pour éviter cette confusion, je pense que la référence devrait être éliminée complètement. En fait, je n’ai entendu aucun argument à ce jour qui justifierait son inclusion dans la loi fédérale. On nous répète qu’elle ne diminue pas les droits des anglophones, mais on ne dit pas comment elle va aider ou avantager les francophones du Québec.

Pourquoi le gouvernement fédéral insiste-t-il pour qu’on garde les références à la charte? En réponse à une question de la sénatrice Mégie, le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, a expliqué qu’il partageait les préoccupations de la communauté anglophone du Québec et qu’il percevait cette inquiétude par rapport à l’avenir.

Il a dit qu’il existait beaucoup de spéculation. Il a posé la question suivante :

Si on change la charte à un certain moment, est-ce qu’il faudra changer la Loi sur les langues officielles?

C’est une question très légitime qui continue de semer la confusion et l’incertitude.

[Traduction]

Le commissaire reconnaît que les anglophones du Québec ont de quoi être inquiets. Ils s’inquiètent réellement des impacts qu’aura le projet de loi sur la communauté et il n’est absolument pas question de nuire à la promotion ou à la protection du français au Québec.

Comme l’a dit Eva Ludvig, présidente du Quebec Community Groups Networks, au Comité des langues officielles : « Les Québécois anglophones comprennent le défi que représentent la protection et la promotion du français et soutiennent les efforts qui visent réellement à atteindre cet objectif. »

Dans l’ensemble, les allophones et les anglophones sont bien intégrés dans la société québécoise et ils sont nombreux à faire de grands efforts pour améliorer leur connaissance du français et à avoir adopté la culture.

Dans une lettre d’opinion que j’ai lue récemment au sujet d’un autre dossier, j’ai été inspiré par ce que les auteurs ont écrit au sujet de notre responsabilité en tant que sénateurs d’user de nos pouvoirs législatifs à bon escient. Ils ont écrit ceci :

En tant que législateurs, nous croyons que toute approche législative ou réglementaire ou toute politique doit nécessairement avoir pour objectif d’accroître la portée des droits plutôt que de la restreindre.

Je suis bien d’accord.

Pourtant, nous nous apprêtons à adopter un projet de loi fédéral qui, en somme, avalise une loi provinciale que plusieurs considèrent comme néfaste pour la minorité anglophone du Québec, car elle restreint les droits de cette minorité. Pourquoi les minorités allophones et anglophones de Montréal et du reste du Québec n’auraient-elles pas les mêmes droits que les autres minorités?

Encore une fois, je veux que ce soit clair : j’appuie les objectifs du projet de loi C-13. Ils sont valables et méritent d’être appuyés. Je souhaite simplement que soient supprimées les mentions de la Charte, qui inquiètent de nombreux membres de la minorité anglophone du Québec.

(1910)

Si nous savons que les mentions de la Charte ne contribueront pas à la protection de la langue française au Québec ou n’apporteront pas de droits supplémentaires aux francophones, tout en sachant que la communauté anglophone s’y oppose totalement et estime que ses droits sont bafoués et restreints, pourquoi ne pas supprimer purement et simplement ces mentions?

Cela me rappelle ce que le doyen Robert Leckey, de la faculté de droit de l’université McGill, a dit au comité au sujet de l’inclusion de la disposition de dérogation dans la Charte de la langue française du Québec. Il a expliqué que :

[…] la Charte de la langue française, dans sa forme actuelle, [...] permet de déroger à tous les droits de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Charte québécoise des droits et libertés auxquels il est possible de déroger. C’est ce que la Charte de la langue française signifie désormais.

Monsieur Leckey nous a tous interpellés, en disant que, si nous ne voulons pas approuver l’adoption du projet de loi C-13 et si nous ne nous sentons pas à l’aise avec cela, nous devrions peut-être réfléchir à ces mentions.

Pour ma part, cela ne m’apparaît pas acceptable. J’ai beaucoup réfléchi à ces mentions. Les mentions de la Charte québécoise n’offrent aucune protection supplémentaire à la langue française dans la loi fédérale. Au lieu de cela, si nous adoptons le projet de loi tel quel, j’ai l’impression que le Parlement apposerait son timbre d’approbation sur une loi provinciale qui est actuellement contestée devant les tribunaux en raison de son invalidité constitutionnelle et de son emploi préventif de la disposition de dérogation. Personnellement, je ne peux pas voter en faveur d’un projet de loi qui prévoit une telle approche et une telle approbation, qu’elle soit implicite ou non.

Motion d’amendement

L’honorable Tony Loffreda : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-13 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié :

a) à l’article 2, à la page 3, par substitution, aux lignes 10 et 11, de ce qui suit :

« que l’Assemblée nationale du Québec a déterminé que le français est la langue officielle du Québec; »;

b) à l’article 3, à la page 4, par substitution, aux lignes 6 à 14, de ce qui suit :

« de l’anglais; »;

c) à l’article 24, à la page 21, par substitution, aux lignes 28 à 30, de ce qui suit :

« b) que l’Assemblée nationale du Québec a déterminé que le français est la langue officielle du Québec; ».

[Français]

L’honorable Pierrette Ringuette : Accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Loffreda : Oui.

La sénatrice Ringuette : Merci. Je regarde les articles auxquels vous voulez faire des amendements et dans ces articles, on fait à la fois référence à la Loi sur les langues officielles du Nouveau‑Brunswick, qui est une loi provinciale, et au Manitoba, qui a aussi une loi provinciale.

Pour tout dire, ma préférence est que j’aimerais bien aussi que l’Ontario ait une loi reconnaissant la minorité francophone en Ontario. Alors, si c’était le cas, on aurait pu le mettre également comme référence dans le projet de loi C-13.

Alors, sénateur Loffreda, pour ce qui est de votre question de référence, je comprends que vous ayez des préoccupations, mais je ne vois pas en quoi cette référence serait différente de la référence, aux mêmes endroits, en matière de droits linguistiques pour la population du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Loffreda : La mention de la Charte de la langue française du Québec, qui inclut le projet de loi 96, est contestée devant les tribunaux. La disposition de dérogation a été utilisée de manière préventive, ce qui nous porte à croire que la mesure n’est pas constitutionnelle, et je ne crois pas que ce soit la bonne manière de gouverner.

Cela dit, je ne crois pas que ce soit le cas dans les autres provinces et c’est pour cette raison que j’aimerais supprimer ces trois mentions du projet de loi C-13. Que se passera-t-il lorsque nous modifierons la loi 96, si jamais nous modifions la Charte de la loi sur la langue française? Devrons-nous modifier le projet de loi C-13?

Je ne pense pas que les provinces que vous avez mentionnées se trouvent dans la même situation que le Québec, qui réduit en quelque sorte les droits de la minorité anglophone, et c’est pourquoi je pense que ces mentions doivent être supprimées.

[Français]

L’honorable Claude Carignan : Ma question va dans le même sens. Je comprends que vous ayez des préoccupations, des inquiétudes au sujet de la loi québécoise, mais vous proposez d’enlever tous les régimes linguistiques provinciaux, alors j’ai un peu de difficulté avec cela.

Quant à ce qui touche la loi québécoise, vous savez que le député Housefather a essayé de proposer le même amendement, qui a été rejeté à l’autre endroit. Je ne vois pas comment vous pourriez convaincre l’autre endroit, et que ce soit accepté.

Son Honneur la Présidente : Sénateur Loffreda, vous avez très peu de temps pour répondre.

[Traduction]

Le sénateur Loffreda : Je pense que nous avons le droit de défendre les minorités au Sénat. Nous sommes la voix des minorités. C’est exactement ce que je fais.

Je ne pense pas que tous les amendements proposés au Sénat concernent ou reflètent ce que pense l’autre endroit. Comme je l’ai dit dans mon discours, que je ne tiens pas à répéter, il y a un danger à conserver ces mentions et c’est pourquoi j’amende le projet de loi tel quel.

L’honorable Judith G. Seidman : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer l’amendement du sénateur Loffreda. Je vous remercie de l’avoir présenté, monsieur le sénateur.

Chers collègues, les mots que nous utilisons ont une réelle importance. Par conséquent, nous devons faire particulièrement attention aux mots que nous intégrons dans nos mesures législatives. On ne peut pas prédire quelles pourraient être les conséquences imprévues de ces trois références à la Charte de la langue française, mais on peut prédire avec plus de certitude qu’il n’y aura aucun préjudice à les supprimer. Après tout, le projet de loi C-13 ne fait aucune mention de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick ni à aucune des autres lois provinciales ou territoriales. Je soutiens que les mentions de la Charte de la langue française sont superflues et potentiellement nuisibles. Par conséquent, chers collègues, elles devraient être éliminées.

La semaine dernière, j’ai écouté l’entrevue d’Ezra Klein, du New York Times, avec Jennifer Pahlka au sujet de l’appareil gouvernemental. En 2013, Mme Pahlka était cheffe adjointe de la technologie dans l’administration du président Obama. En 2020, elle a aidé l’administration de Gavin Newsom, gouverneur de la Californie, à corriger son programme d’assurance-chômage. Comme le dit M. Klein, Mme Pahlka a des opinions très crédibles sur « pourquoi les choses vont mal [au sein du gouvernement], même quand les gens tentent de bien faire les choses ». Elle s’intéresse particulièrement à un aspect des politiques que les décideurs oublient trop souvent : la mise en œuvre. Ses réflexions peuvent être pertinentes pour les législateurs de n’importe quel pays, y compris le nôtre.

Dans l’entrevue, Mme Pahlka raconte comment un dispositif technologique mentionné dans une loi fédérale seulement à titre d’exemple est devenu une exigence à cause de l’interprétation par la hiérarchie des ministères gouvernementaux au cours des années depuis l’adoption de la loi. C’est parce qu’au sein des bureaucraties, les fonctionnaires sont le plus souvent tenus responsables selon qu’ils ont suivi ou non un processus, et les processus sont fondés sur les termes précis de la loi.

Les expériences de collaboration de Mme Pahlka avec les gouvernements américains aux niveaux des municipalités et des États et au niveau fédéral montrent que les mots employés dans une loi sont très importants et ont des conséquences. En tant que législateurs, nous devons examiner le projet de loi avec soin pour déterminer si son libellé pourrait avoir des conséquences imprévues.

(1920)

La semaine dernière, Eva Ludvig, présidente du Quebec Community Groups Network, a fait part de ses préoccupations sur la façon dont le projet de loi C-13 pourrait être interprété par les fonctionnaires. Elle a dit ceci :

Une fois les dispositions législatives adoptées, on ne sait pas comment elles seront interprétées, non seulement par les tribunaux, mais aussi par les fonctionnaires qui doivent les appliquer.

Cependant, lorsque nous l’avons questionnée sur le libellé du projet de loi C-13, la ministre Petitpas Taylor n’était pas d’accord. Elle a dit ceci :

Oui, notre projet de loi mentionne la Charte de la langue française, mais ce n’est qu’à titre indicatif, pour dire que ce régime s’applique au Québec.

Elle nous a dit que les avocats du ministère de la Justice lui ont donné l’assurance que les risques liés à cette mention de la Charte sont minimes. Ils sont peut-être minimes, mais il y a quand même des risques, honorables collègues. Le comité a aussi entendu des avocats qui ne sont pas employés par le gouvernement et qui ont dit que ces mentions présentent des risques considérables.

Honorables sénateurs, au début de son entrevue avec Jennifer Pahlka, Ezra Klein a dit ceci :

Dans les médias [...] La politique, les élections, les grandes questions, les combats et les théories sont au centre de toutes les attentions. Mais ensuite, le projet de loi est adopté et les détails de la mise en œuvre de cette politique dans la vie des gens sont laissés à l’appréciation de quelqu’un quelque part. Et lorsqu’elle [...] rend la vie des gens plus difficile en raison de sa mise en œuvre, il n’y a souvent pas de tollé parce qu’il n’y a pas d’attention, et il n’y a donc pas de solution.

Chers collègues, l’amendement du sénateur Loffreda nous offre la possibilité de réduire le risque que pose la version actuelle du projet de loi, alors que les projecteurs sont encore braqués sur lui, afin d’éviter certaines des conséquences involontaires que le projet de loi pourrait avoir sur la vie des gens. Je vous invite à vous joindre à moi pour appuyer cet amendement.

Merci.

[Français]

L’honorable René Cormier : Merci, sénatrice Seidman. Vous savez à quel point j’apprécie votre implication dans la défense des droits des communautés d’expression anglaise du Québec.

Quand je regarde l’amendement du sénateur Loffreda, qui propose de faire trois modifications, dont deux à ces affirmations qui disent simplement, et je cite : « la Charte de la langue française du Québec dispose que le français est la langue officielle du Québec ». Je pense que personne ne peut s’opposer à cela.

Sénatrice Seidman, êtes-vous d’accord pour dire que cet amendement nie le fait qu’il existe une diversité de régimes linguistiques provinciaux et territoriaux? Comme Acadien, comme francophone du Canada, j’éprouve un profond malaise vis-à-vis de l’ampleur de cet amendement. Vous comprendrez donc que je voterai contre. Je voudrais vous entendre là-dessus. Merci.

[Traduction]

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup, sénateur. Si j’ai bien compris, l’amendement reprend quatre articles — l’article 2 de la page 3, l’article 3 de la page 4 et l’article 24 de la page 21 — et remplace simplement le terme « Charte de la langue française » par celui qui a été présenté.

[Français]

Le sénateur Cormier : Je ferai une simple remarque : il fait plus que cela, en fait, madame la sénatrice. À la page 4, l’amendement vient enlever la notion qui dit qu’il existe une diversité de régimes linguistiques provinciaux et territoriaux, ce qui me semble extrêmement troublant. Merci pour votre réponse.

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Je ne croyais sincèrement pas devoir intervenir de nouveau sur le projet de loi C-13, mais l’amendement proposé par le sénateur Loffreda me semble tout à fait inutile et inacceptable. Je vais me permettre de vous dire pourquoi il devrait être rejeté sans détour.

Avec cet amendement, le sénateur Loffreda semble malheureusement avoir accepté de jouer le jeu du seul député de l’autre endroit qui a voté contre le projet de loi C-13, visant à moderniser la Loi sur les langues officielles.

Tous les députés de tous les partis politiques de l’autre endroit ont voté pour le projet de loi C-13, sauf un, qui se prétend le porte‑parole de quelques groupes anglophones du Québec. Je trouve regrettable de constater à quel point le sénateur Loffreda est prêt à endosser la vision obtuse véhiculée par ce député, qui estime que les droits des anglophones du Québec sont menacés par la référence tout à fait justifiée à la Charte de la langue française du Québec que l’on retrouve dans le texte du projet de loi.

Cette Charte de la langue française du Québec, elle est là, elle existe, elle a été adoptée par un gouvernement dûment élu. Il est donc tout à fait normal qu’un projet de loi comme le projet de loi C-13 la reconnaisse et y fasse référence. Pour une fois que les deux ordres de gouvernement acceptent de travailler ensemble pour protéger et revigorer la langue française, il serait inconcevable que le Sénat ne suive pas l’exemple donné par les députés des Communes. Après une étude et des amendements qui ont été habilement négociés, les députés ont compris que ce projet de loi est une pièce essentielle qui protège les deux langues officielles du pays lorsqu’elles sont en situation minoritaire.

Le fait de chercher, par des moyens détournés ou des subtilités linguistiques, à effacer les références à la Charte de la langue française du Québec dans le projet de loi du gouvernement fédéral provoque en moi des réflexions que je me dois de partager avec vous. Je n’oserai pas dire que c’est du mépris à l’endroit de la communauté francophone du Québec, mais je me permets de constater que, chez les anglophones bien choyés, il y a une volonté solidement et dangereusement ancrée de résister à toute initiative politique visant à garantir aux Québécois francophones le droit de vivre et de travailler dans leur langue dans cette province.

Comment les anglophones du Québec peuvent-ils plaider la menace? Il y a trois universités anglophones, quatre hôpitaux anglophones, des collèges anglophones et une commission scolaire anglophone protégée par la Constitution. Trouve-t-on autant de services consacrés aux francophones dans les autres provinces?

Avant d’être policier, le petit garçon que j’étais, celui du quartier Rosemont, à Montréal, a travaillé brièvement pour la Canadian Imperial Bank of Commerce, la CIBC. La CIBC ne m’a pas fait travailler dans Rosemont; on m’a plutôt expatrié dans le West Island pour s’assurer que j’apprenne l’anglais. Heureusement, les choses ont changé, mais il a fallu se battre pour protéger notre langue, ce que les anglophones de Montréal n’ont pas à faire et n’auront pas à faire, même avec l’adoption du projet de loi C-13. Il serait inconcevable que le Sénat mette en péril le projet de loi C-13, parce que des banques, des compagnies aériennes et quelques autres entreprises à charte fédérale ont peur de devoir communiquer en français avec leurs employés.

Revenons brièvement aux amendements du sénateur Loffreda. Dans son discours à l’étape de la deuxième lecture, il a affirmé qu’il n’avait trouvé aucun argument soutenant la nécessité d’inclure des références à la Charte de la langue française du Québec. Il aurait eu intérêt à communiquer avec le gouvernement du Québec pour connaître la teneur des échanges qui ont permis de conclure une entente Ottawa et le gouvernement provincial, plutôt que de chercher à créer un environnement propice à des mésententes, comme on en a trop souvent vécu. Toujours dans son discours à l’étape de la deuxième lecture sur le projet de loi C-13, le sénateur Loffreda se présentait ainsi, et je cite :

Je suis très fier d’être Québécois, fier de parler français, fier de vivre dans une province où le français est la langue commune du peuple [...]

Toute cette fierté qu’il nous a exprimée, elle est représentée et enchâssée dans la charte à laquelle il ne faut surtout pas que l’on fasse référence.

(1930)

Avec cette fierté diluée qu’il exprime aujourd’hui, je suis loin d’être convaincu qu’il sera bientôt invité par le premier ministre du Québec pour célébrer sa contribution au développement de la langue française.

Franchement, j’aurais souhaité un peu de retenue de la part de notre collègue et ami.

En terminant, je rappelle ce que j’ai dit : le projet de loi C-13 n’est pas parfait, mais il contient suffisamment d’éléments pour que nous permettions au gouvernement de le mettre en œuvre avec, bien entendu, toute la surveillance que le sujet impose, tant pour les anglophones que pour les francophones.

Pour y arriver rapidement, il faut donc rejeter les amendements présentés par le sénateur Loffreda.

Merci.

Son Honneur la Présidente : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion d’amendement?

Des voix : Non.

Des voix : Avec dissidence.

(La motion d’amendement de l’honorable sénateur Loffreda est rejetée avec dissidence.)

[Traduction]

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Cormier, appuyée par l’honorable sénatrice Miville-Dechêne, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

L’honorable Judith G. Seidman : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

Nous voici maintenant à l’étape de la troisième lecture. Le Comité sénatorial permanent des langues officielles a entendu cinq heures et demie de témoignages à propos de la version actuelle du projet de loi, laquelle comprend plus de 50 amendements adoptés à l’autre endroit. Le comité a procédé à l’étude article par article immédiatement après avoir entendu les témoignages qui étaient peut-être les plus complexes, ceux des juristes et des constitutionnalistes.

Le comité n’a pas eu le temps de réfléchir à ces témoignages ni de rédiger de possibles amendements inspirés par ce qu’il avait entendu avant l’examen article par article. Le processus d’examen en comité a été pour le moins rapide.

Le comité a entendu le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge. Je lui ai demandé s’il craignait encore, comme la communauté anglophone du Québec, que l’ajout de composantes asymétriques à la loi mine l’égalité de statut du français et de l’anglais en droit. J’ai aussi soulevé la question des mentions de la Charte de la langue française du Québec. Voici ce qu’il a répondu au comité :

Il y a beaucoup d’hypothèses par rapport à ce qui pourrait arriver dans l’avenir. Je ne peux vraiment pas m’avancer là‑dessus. Certains constitutionnalistes donneront leur avis à ce sujet. Je vais les laisser se prononcer. Je conviens que c’est quelque chose de nouveau. On mentionne également d’autres régimes, mais pas nécessairement de cette façon [...]

 — il faisait allusion à la Charte de la langue française —

[...] Le Nouveau-Brunswick a sa propre Loi sur les langues officielles. Dans ma province, le Manitoba, il y a l’article 23 de la Loi sur le Manitoba.

Honorables collègues, encore une fois, ni les dispositions législatives en matière de langues officielles du Nouveau-Brunswick ni celles du Manitoba ne sont mentionnées dans le projet de loi C-13 de la même manière que la loi linguistique du Québec. Le commissaire a dit qu’il allait appliquer toute loi promulguée par le Parlement, et il a fait les observations suivantes :

C’est ce qui est en place en ce moment, et nous devrons évaluer les effets de ces mesures.

Je pense qu’il sera important d’évaluer les effets de la Loi sur les langues officielles sur les collectivités, et nous devrons le faire dès le début.

J’ai questionné la ministre des Langues officielles, l’honorable Ginette Petitpas Taylor, sur les mentions de la Charte de la langue française, qui a été modifiée récemment. Voici sa réponse à ma question :

Oui, nous avons fait référence à la Charte de la langue française dans notre projet de loi, mais c’est seulement à titre descriptif, encore une fois, pour dire que c’est le régime qui s’applique au Québec. On ne dit pas qu’on est d’accord ou non. C’est la loi qui existe au Québec maintenant. Je ne suis pas constitutionnaliste ni avocate. Toutefois, pour répondre à votre question, j’ai bien entendu consulté des avocats du ministère de la Justice [...] Ils nous ont indiqué qu’ils ne pensaient pas qu’il y avait des risques — ou qu’il y avait un risque minimum — dans ce dossier. En ce qui concerne la raison pour laquelle nous sommes allés de l’avant, il s’agit de définir ce qu’est la loi [...]

En revanche, de nombreux juges et avocats qui ont témoigné devant le Comité des langues officielles ne partagent pas l’évaluation du ministère de la Justice.

L’honorable Michel Bastarache, ancien juge de la Cour suprême du Canada, a dit au Comité des langues officielles lors de la récente étude préalable du projet de loi C-13, avant même que des amendements aient été apportés par la Chambre :

Je suis personnellement opposé à la référence à une loi provinciale dans la loi fédérale. Je crois que le régime linguistique fédéral est très différent de celui du provincial.

De plus, Robert Leckey, doyen de la Faculté de droit de l’Université McGill a déclaré :

Le projet de loi C-13 ajouterait à la Loi sur les langues officielles des mentions de la Charte de la langue française. Ces mentions viendraient approuver celle-ci, car elles présupposent que les objectifs et les moyens favorisés par la loi provinciale sont compatibles avec ceux de la loi fédérale et les responsabilités constitutionnelles du gouvernement du Canada. Toutefois, cette prémisse n’est pas solide.

Par ailleurs, dans une lettre adressée au président du Comité des langues officielles de la Chambre des communes, et dans le cadre de son témoignage devant le Comité sénatorial des langues officielles, Mme Janice Naymark, qui a pratiqué le droit commercial et corporatif au Canada depuis plus de 25 ans, a dit très clairement qu’elle était :

[…] troublée par la référence à la Charte de la langue française du Québec dans une loi fédérale quasi constitutionnelle. [...] En intégrant des références à la Charte de la langue française dans la Loi sur les langues officielles, le gouvernement fédéral appuie la loi 96 et la rend légitime de manière implicite [...]

Comme vous pouvez le constater, chers collègues, il n’y a guère de consensus au sein de la communauté juridique concernant les références à la Charte de la langue française. Alors, pourquoi compliquer la mesure législative et créer un risque, si minime soit-il, pour les Québécois anglophones?

En tant que communauté de langue officielle en situation minoritaire, la communauté anglophone de cette province s’est toujours tournée vers le gouvernement fédéral pour obtenir protection et soutien, mais comme l’a fait remarquer Eva Ludvig, présidente du Réseau des groupes communautaires du Québec :

Nous vivons dans une province où la communauté anglophone, particulièrement récemment, est, disons-le, prise d’assaut par son propre gouvernement provincial. Nous avons toujours compté sur le gouvernement fédéral et le Parlement canadien pour appuyer la communauté anglophone. Nous sommes maintenant inquiets. Nous sentons que ce soutien est maintenant en péril.

Chers collègues, comme je l’ai souligné dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, s’il est vrai que, parmi la population d’anglophones de plus de 1 million de locuteurs au Québec, plus de 600 000 d’entre eux vivent à Montréal, des dizaines de milliers d’autres se trouvent dans de petites communautés à l’échelle de la province. Je vous exhorte à prendre en compte les communautés de langues officielles en situation minoritaire dans le reste du Québec. Compte tenu de la masse critique d’anglophones à Montréal, les services pourraient bien y rester accessibles, mais nous ne pouvons pas tenir pour acquis qu’il sera de même dans les petites communautés.

Les communautés anglophones au Québec doivent maintenant s’en remettre à la promesse du commissaire aux langues officielles de surveiller les répercussions de la mise en œuvre du projet de loi C-13. Comme il l’a écrit dans une lettre remise au comité sénatorial le 7 juin :

Il est crucial de surveiller étroitement la mise en œuvre de la Loi afin de bien évaluer les retombées de celle-ci et de cerner les problèmes rencontrés lors de son application. Le gouvernement doit se doter d’un mécanisme de surveillance et d’indicateurs clairs pour pouvoir saisir les effets de la Loi sur les communautés et de données probantes. Cette façon de faire permettra d’exploiter pleinement le potentiel de l’examen périodique et d’apporter les changements nécessaires à l’évolution continue de la Loi.

Si le commissaire conclut que les craintes des communautés anglophones du Québec se concrétisent, j’espère que le Sénat interviendra pour y remédier avec le même empressement que celui dont il a fait preuve pour adopter le projet de loi C-13.

Honorables collègues, comme nous en sommes tous conscients, les sénateurs ont la responsabilité de donner une voix à ceux qui n’en ont pas et de représenter les minorités de nos régions. Je comprends pleinement l’importance, pour les communautés francophones en situation minoritaire au Canada, de moderniser la Loi sur les langues officielles et j’appuie entièrement la protection et la promotion des droits linguistiques de la minorité francophone au pays.

(1940)

Je comprends tout à fait l’importance d’assurer la survie et la vitalité du français pour le Québec et les Québécois. Toutefois, la mention de la Charte de la langue française du Québec dans le projet de loi, pour laquelle on a récemment inscrit dans la loi l’utilisation préventive de la disposition de dérogation, ne fait rien pour aider à protéger le français; cela ne fait qu’exposer inutilement à des risques l’autre communauté de langue officielle en situation minoritaire, c’est-à-dire les plus de 1 million d’anglophones du Québec.

Par conséquent, chers collègues, je vais voter contre ce projet de loi. Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Marty Klyne : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-13, un important projet de loi d’initiative ministérielle qui vise à protéger et à promouvoir le français au Canada.

Je fais également remarquer que le projet de loi C-13 remplit une promesse électorale du gouvernement. En cette ère de Sénat indépendant, c’est toujours un point que la Chambre nommée doit prendre en considération comme l’ont souligné à maintes reprises les sénateurs Harder et Dalphond et d’autres sénateurs.

Après une étude préalable approfondie, nous avons reçu le projet de loi C-13 en mai. Je parlerai de certaines de mes préoccupations à l’égard du projet de loi concernant les aéroports de l’Ouest canadien dans le contexte de la Saskatchewan, tout en appuyant pleinement l’objectif du projet de loi C-13 qui consiste à protéger et à promouvoir les droits linguistiques des francophones et des minorités au Canada.

Je vais commencer par une vue d’ensemble. Le français est l’une des langues officielles du Canada et c’est une source de fierté pour notre fédération et pour moi personnellement, y compris dans le cadre de ma lignée en raison de mes sextaïeuls, quinquisaïeuls et quadrisaïeuls nés au Québec. Notre identité internationale, notre histoire commune et de nombreuses particularités culturelles canadiennes reflètent notre place au sein de la francophonie. Il est essentiel de protéger le français, une langue qui est menacée d’érosion dans une Amérique du Nord essentiellement anglophone, et qui fait partie intégrante de l’identité des Québécois, des Acadiens et des autres Canadiens français, sans oublier les Cajuns en Louisiane que les Britanniques ont chassés d’Acadie au XVIIIe siècle.

Les Métis et de nombreuses Premières Nations ont appris à parler le français et l’anglais quand les nations traitaient d’égal à égal. Les Métis maîtrisaient le français, l’anglais et les langues autochtones, ce qui en faisait des personnes très recherchés par ceux s’occupaient du système commercial de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Ils servaient souvent d’interprètes, de négociateurs commerciaux, de commis et de guides pour les voyageurs et les explorateurs. Sans eux, les Européens n’auraient pas pu naviguer dans ce vaste pays aux réseaux hydrographiques complexes et aux cols traversant les chaînes de montagnes escarpées.

Cependant, les deux langues officielles du Canada font abstraction de la présence de nombreuses langues autochtones parlées par des peuples qui sont ici depuis des temps immémoriaux.

Le succès de Samuel de Champlain dans la fondation de la Nouvelle-France repose sur l’établissement d’alliances et de relations respectueuses avec les Premières Nations. En 1603, le chef innu Anadabijou accueille Champlain lors d’un festin qui permettra de fixer les conditions de la grande alliance pour la présence française dans le pays. De nombreux spécialistes soutiennent que cette rencontre entre nations, à Tadoussac, là où la rivière Saguenay rencontre le Saint-Laurent, marque le véritable début du Québec, voire du Canada.

Même si les politiques coloniales ultérieures leur ont porté un rude coup, les langues autochtones sont cruciales pour les nations de notre pays. L’article 22 de la Charte stipule clairement que les droits relatifs aux langues officielles n’abrogent pas les droits relatifs aux langues autochtones et n’y dérogent pas. En ce qui concerne l’avenir linguistique du Canada, nous avons encore beaucoup à faire pour redonner aux langues autochtones la place qui leur revient dans notre société.

Nous devons mieux promouvoir et protéger ces langues, dont un grand nombre est menacé de disparition. Le Parlement a agi en adoptant le projet de loi C-91 sur les langues autochtones en 2019. Les anciens sénateurs Joyal et Sinclair ont travaillé ensemble sur les droits linguistiques. Ce faisant, ils ont mis la table pour le projet de loi C-91 grâce au travail accompli par le sénateur Joyal avec le projet de loi S-212 sur les langues autochtones. Voilà un exemple inspirant de la solidarité des minorités linguistiques du Canada.

Le sénateur Sinclair avait déclaré ceci au sujet du projet de loi S-212 :

« Qui êtes-vous? » Je ne demande pas cela pour la forme. Je vous invite à réfléchir à la question fondamentale de votre identité et de votre caractère. Pour pouvoir répondre à cette question, vous devez savoir d’où vos ancêtres et vous venez. Vous devez aussi connaître vos valeurs, votre histoire personnelle et collective, vos influences, vos ambitions et votre but dans la vie.

La langue et la culture sont des éléments clés de l’identité personnelle. L’identité personnelle est essentielle à la confiance en soi, tandis que le bien-être spirituel et mental dépend de l’estime de soi d’une personne.

J’aimerais que les jeunes Autochtones parlent couramment leur langue maternelle. Un jour, j’aimerais que les discussions avec les Canadiens non autochtones se déroulent dans ces langues. Je note que le ministre Miller a entrepris d’apprendre la langue mohawk.

En ce qui concerne le français, nous savons que la promulgation de la Loi sur les langues officielles en 1969 a été une étape décisive. Comme elle reconnaissait et protégeait la dualité linguistique prédominante de la population canadienne, elle tranchait nettement avec le rapport Durham de 1839, qui proposait l’assimilation des francophones du Bas-Canada.

Le projet de loi C-13 constitue la première mise à jour substantielle de la Loi sur les langues officielles depuis de nombreuses années. J’appuie les objectifs de ce projet de loi en matière de protection et de promotion du français, ainsi que les éléments qui visent à soutenir les communautés linguistiques minoritaires.

Si j’ai une mise en garde ou une préoccupation au sujet de ce projet de loi, c’est que le travail que nous faisons pour rendre le pays davantage bilingue doit s’appuyer sur une bonne compréhension du niveau actuel de maîtrise des langues officielles par la plupart des Canadiens. À cet égard, je mets mon chapeau de Saskatchewanais, et je me concentre sur les aspects pratiques du bilinguisme et les obligations à cet égard dans les aéroports de l’Ouest canadien.

Dans la plupart des villes, villages et localités du Canada, il y a une langue prédominante qui est parlée par la plupart des habitants. La plupart des citoyens n’ont qu’une connaissance limitée de l’autre langue officielle, qu’il s’agisse du français ou de l’anglais. Il y a bien sûr des exceptions, comme en témoignent des communautés du Québec, du Nouveau-Brunswick, du Manitoba, de l’Ontario et d’autres provinces. Dans l’ensemble, toutefois, la plupart des Canadiens maîtrisent soit l’anglais, soit le français, mais pas ces deux langues.

Le projet de loi C-13 vise à changer la situation et j’appuie entièrement cet objectif. Parallèlement, si l’on demande aux entreprises et aux secteurs de compétence fédérale de satisfaire à de nouvelles exigences en matière de bilinguisme, alors nous devons être réalistes et faire preuve de compréhension à l’égard du fait que la langue maternelle d’une majorité de Canadiens n’est pas une langue officielle.

La partie 2 du projet de loi porte sur les régions à forte présence francophone, définition à l’appui, et les attentes envers les entreprises de compétence fédérale. Comment le projet de loi s’appliquera-t-il aux communautés et à la main-d’œuvre de compétence fédérale dans les régions où il y a une représentation francophone minimale ou faible?

Prenons l’exemple de la Saskatchewan, ma province. En 2020, le Commissariat aux langues officielles a souligné que le français est la langue maternelle d’environ 1,5 % de la population. C’est très faible comme représentation au sein de la population de la province. Il ne fait aucun doute que les Saskatchewanais francophones doivent avoir le soutien nécessaire pour protéger leurs droits linguistiques, surtout lorsqu’ils ont recours aux services de compétence fédérale. Toutefois, nous devons garder à l’esprit qu’il faudra du temps et des actions concrètes, surtout là où les francophones sont en minorité comme en Saskatchewan, pour faire la transition vers un bilinguisme plus répandu. Cela dit, en Saskatchewan, une province d’au moins 1,2 million d’habitants, je sais qu’il y a au moins cinq communautés francophones. Il y a des programmes scolaires d’immersion en français et une population florissante et grandissante de Fransaskois dans les grandes villes de la province.

Cependant, pour beaucoup de jeunes, surtout ceux qui vivent dans la pauvreté pendant leur enfance, il est très difficile d’apprendre une deuxième langue, même s’ils en ont la possibilité.

Le Parlement a entendu beaucoup de gens se prononcer pour et contre le projet de loi. Ceux qui y sont favorables invoquent son appui à la promotion du français et à la protection des communautés linguistiques minoritaires. Ceux qui sont contre se disent préoccupés par son impact potentiel sur les Québécois anglophones et ont soulevé des questions sur la mise en œuvre des dispositions du projet de loi.

Pour parler d’une de mes préoccupations, je vais me servir d’un exemple qui a été mis en évidence dans le rapport annuel présenté récemment par Raymond Théberge, le commissaire aux langues officielles.

Dans une partie de son rapport, le commissaire souligne que beaucoup de Canadiens ont toujours de la difficulté à obtenir des services dans la langue officielle de leur choix dans les grands aéroports.

(1950)

C’est une préoccupation pour de nombreux voyageurs canadiens qui souhaitent parler la langue de leur choix, voire la seule qu’ils maîtrisent, au cours de leurs déplacements. Je comprends cette préoccupation. Les grands aéroports ont déjà des obligations au titre de la partie IV de la Loi sur les langues officielles. Lorsque ces obligations ne sont pas respectées, cela peut être frustrant, en particulier pour les francophones.

Dans son rapport, le commissaire indique qu’il a travaillé avec les aéroports pour assurer un meilleur respect de la loi et qu’il pense que les nouveaux pouvoirs que lui confère le projet de loi C-13 l’aideront à atteindre cet objectif.

En même temps, certaines organisations de l’industrie du voyage, telles que les autorités aéroportuaires, ont exprimé leur inquiétude quant aux pouvoirs supplémentaires qui seraient accordés au commissaire. Le projet de loi confère au commissaire des pouvoirs supplémentaires pour conclure des accords de conformité, émettre des ordonnances et imposer des sanctions administratives pécuniaires dans le secteur du voyage. Il peut s’agir d’une mesure importante pour rendre le Canada plus bilingue. Toutefois, si des organisations, telles que les autorités aéroportuaires dans des endroits comme Regina et Saskatoon, ont du mal à respecter les ordonnances parce qu’elles ont de la difficulté à recruter du personnel parlant français, il s’agit d’une dynamique qui doit être gérée avec beaucoup de soin.

Je souligne que le Comité sénatorial des langues officielles a ajouté une observation dans son rapport, indiquant une incohérence dans le régime des droits linguistiques pour les voyageurs canadiens. Il recommande au gouvernement fédéral de :

[...] mettre sur pied un régime de droits linguistiques cohérent et clair pour le public voyageur [...]

C’est une bonne idée. Je pense qu’il nous faut plus de clarté dans ce domaine pour que les administrations aéroportuaires, les compagnies aériennes, le gouvernement et les Canadiens puissent évoluer en ayant une compréhension commune de la situation.

Honorables sénateurs, nous devons veiller à ne pas imposer accidentellement aux entreprises et aux organisations qui mènent des activités dans des régions largement unilingues des obligations linguistiques de bilinguisme qu’elles ne seront pas en mesure d’honorer. Il est difficile de trouver des francophones en Saskatchewan, tout simplement parce qu’ils sont sous-représentés.

En Saskatchewan, le taux de chômage est de 4,4 % et nous cherchons des employés. Nous construisons davantage de maisons et de logements locatifs si des professionnels et des travailleurs qualifiés bilingues souhaitent venir vivre, travailler et se divertir dans notre belle province.

Les différences régionales et la représentation francophone varient d’une région à l’autre du Canada. Avec ce projet de loi, je crois qu’il n’y a pas de solution unique qui fonctionnera. Dans des endroits comme Regina ou Saskatoon, où les francophones sont relativement peu nombreux, augmenter les services bilingues, c’est plus facile à dire qu’à faire. C’est une réalité dont nous devons tenir compte. En même temps, nous voulons respecter et soutenir cette caractéristique unique de notre identité à l’échelle internationale tout en veillant à ne pas placer les Canadiens de l’Ouest en marge des valeurs linguistiques de notre fédération.

Je m’attends à ce que tous les sénateurs appuient l’idée d’aider davantage de Canadiens à devenir bilingues et à recevoir des services dans la langue de leur choix, mais nous devons travailler à l’atteinte de cet objectif en tenant compte des réalités d’un pays où la plupart des gens ne parlent actuellement qu’une seule langue. C’est pourquoi je m’attends à ce que le Sénat continue à jouer un rôle de surveillance et de reddition de comptes dans l’application du projet de loi C-13, y compris en fournissant une évaluation essentielle et des recommandations qui pourraient s’avérer nécessaires, tout en jouant ce rôle dans le respect du français, de l’anglais et des langues autochtones.

Je voterai en faveur du projet de loi C-13 et je vous invite à faire de même. Je demande également au Sénat de protéger les intérêts légitimes des aéroports de l’Ouest du Canada et de s’assurer que nous offrons des solutions pratiques alors que nous nous dirigeons vers un pays de plus en plus bilingue. Merci, hiy kitatamihin.

[Français]

L’honorable Claude Carignan : Honorables sénateurs, je prends aujourd’hui la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-13, dont le titre abrégé est la Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada.

J’appuie ce projet de loi, bien que j’estime qu’il s’agit de petits pas et qu’il aurait pu aller plus loin.

Dans ce discours, je vous donnerai quelques exemples de mesures importantes qui, à mon avis, manquent à ce projet de loi. Je crois qu’elles auraient permis de mieux protéger et promouvoir le respect des deux langues officielles du Canada, qui sont le français et l’anglais.

Le 8 février 2022, j’ai prononcé un discours au Sénat sur cet enjeu relatif aux langues officielles. Dans ce discours, j’exprimais mon appui à la motion adoptée à l’unanimité au Sénat le 29 mars 2022, qui demandait au gouvernement fédéral de corriger une situation inacceptable qui perdure depuis des décennies. Encore aujourd’hui, 41 ans après l’adoption de Loi constitutionnelle de 1982, de larges pans des textes de la Constitution canadienne sont rédigés en anglais seulement.

Quelle occasion manquée par le gouvernement fédéral de ne pas avoir intégré au projet de loi C-13 la mesure réclamée par le Sénat dans sa motion!

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles partage ma déception.

Dans le rapport sur le projet de loi C-13 qu’il a déposé avant-hier, le comité rappelle le contenu de la motion. Elle demandait simplement ceci au gouvernement :

[...] considérer, dans le contexte de la révision de la Loi sur les langues officielles, l’ajout d’une exigence voulant qu’un rapport soit soumis aux 12 mois détaillant les efforts déployés pour assurer le respect de l’article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Le sénateur Dalphond, qui était parrain de la motion, a posé une question au ministre Lametti le 13 décembre 2022, alors que celui‑ci témoignait devant un comité sénatorial sur un autre projet de loi que le projet de loi C-13. Le sénateur lui a rappelé la triste évidence : depuis maintenant 41 ans que la Loi constitutionnelle de 1982 a été adoptée, rien n’a été fait pour faire adopter le texte français de la Constitution.

Le ministre a reconnu que cette situation était inacceptable, mais qu’il continuait à réfléchir aux moyens de faire adopter les textes français des lois constitutionnelles, qui sont les lois les plus importantes au Canada.

Le sénateur Dalphond a rappelé, comme je l’ai aussi rappelé dans mon discours du 8 février 2022 sur sa motion, qu’il y a plusieurs des textes en français de la Constitution que le gouvernement fédéral aurait pu faire adopter au moyen d’une procédure qui n’exige pas d’obtenir l’accord des provinces. Au sujet des textes qui exigent l’accord de certaines ou de toutes les provinces pour qu’on les adopte en français, le ministre Lametti a donné une réponse au sénateur Dalphond qui montre bien l’absence de détermination et d’actions de la part du gouvernement pour ce qui est de faire adopter les textes en français. Voici la question qu’avait posée le sénateur Dalphond : « Pourquoi le gouvernement ne s’engage-t-il pas à faire des efforts afin de terminer cette partie du travail constitutionnel de 1982? »

Le ministre lui a répondu de manière vague et sans faire aucun engagement. Il a dit ce qui suit, et je cite :

Je partage votre opinion. J’aimerais voir une Constitution bilingue et officielle. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il faut parfois miser sur l’évolution. Donc, j’espère que, dans un proche avenir et au moment opportun, on pourra le faire.

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles a noté, dans le rapport qu’elle a présenté 13 juin 2023, que j’ai mentionné précédemment, d’autres lacunes importantes dans le projet de loi C-13.

Le comité a la même préoccupation que moi relativement au manque de données précises sur le nombre d’enfants des ayants droit qui peuvent recevoir un enseignement dans la langue officielle minoritaire. Je suis d’avis que le gouvernement fédéral aurait pu remédier à ce problème s’il avait apporté un amendement au projet de loi C-13 pour exiger que ces enfants soient dénombrés périodiquement.

En fait, le comité note, à juste titre, que la version actuelle du projet de loi ne prévoit pas l’obligation de dénombrer ces enfants, mais prévoit uniquement l’obligation d’estimer leur nombre. Dans un passage de son rapport, le comité sénatorial souligne l’urgence et la gravité du problème en disant ce qui suit, je cite :

Dans le contexte inquiétant du déclin du français au Canada, plusieurs parties prenantes ont toutefois fait valoir l’importance de dénombrer, plutôt que d’estimer le nombre d’enfants des ayants droit, étant donné les répercussions dommageables et les pressions assimilatrices engendrées par une sous-estimation systémique et historique. […]

À la lumière des témoignages et des mémoires reçus, votre comité note que le dénombrement périodique des enfants des ayants droit est vital à la survie et à l’épanouissement des communautés francophones en situation minoritaire […].

Avec un constat si préoccupant, et qui est bien connu, je trouve très décevant le résultat d’un vote qui s’est déroulé le 17 février 2023 au Comité de langues officielles de la Chambre des communes. Dans un vote serré, 6 des 11 membres du comité ont rejeté le texte original de l’amendement du député Joël Godin. S’il avait été adopté, cet amendement aurait obligé le gouvernement fédéral à s’engager à dénombrer périodiquement les enfants des ayants droit en vertu de l’article 23 de la Charte.

Les six membres du Parti libéral et du Nouveau Parti démocratique du comité ont voté en faveur d’un sous-amendement qui a complètement édulcoré l’amendement du député conservateur. En effet, leur sous-amendement a remplacé l’exigence de dénombrer, qui était proposée par M. Godin, par une simple obligation d’estimer le nombre d’enfants.

Autre occasion ratée : le projet de loi n’a pas intégré une proposition importante que contenait le livre blanc de 2021 de la ministre des Langues officielles de l’époque, l’honorable Mélanie Joly. Cette dernière proposait d’élargir les pouvoirs conférés au Conseil du Trésor afin qu’il puisse surveiller le respect des dispositions de la partie VII de la Loi sur les langues officielles par les institutions fédérales. Il faut savoir que cette partie de la loi est très importante, puisqu’elle vise à assurer la progression vers l’égalité le statut de l’usage du français et de l’anglais.

Les obligations du Conseil du Trésor proposées actuellement dans le projet de loi C-13 n’incluent pas l’ensemble des éléments de la partie VII. Malgré les occasions ratées qu’il comporte, je vais quand même appuyer le projet de loi C-13. Dans son discours à l’étape de la deuxième lecture, la sénatrice Poirier, porte-parole du projet de loi, a dit ce qui suit :

Le projet de loi représente un pas en avant pour les droits linguistiques au pays.

Grâce à certains amendements apportés par le Comité des langues officielles de la Chambre des communes, la modernisation de la Loi sur les langues officielles répond davantage aux besoins des communautés en situation minoritaire.

(2000)

Je suis d’accord avec elle, et nous ne sommes pas les seuls à le penser : 104 députés conservateurs ont voté en faveur du projet de loi à l’étape de la troisième lecture. Seul un député, d’un autre parti, a voté contre.

En fait, je pourrais vous énumérer plusieurs mesures méritoires du projet de loi C-13, mais mon temps de parole étant limité, je vais en choisir deux.

La première porte sur l’adoption d’une politique fédérale en matière d’immigration. Elle est particulièrement importante en cette journée où nous avons atteint le cap des 40 millions d’habitants. La version originale du projet de loi C-13 prescrivait l’adoption de cette politique.

Or, les amendements qui ont été apportés au projet de loi ont renforcé et précisé les objectifs de cette politique. C’est ce qu’a expliqué au comité sénatorial Mme Liane Roy, présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, lors de son témoignage du 5 juin dernier. Je la cite :

[...] il était important pour nous que cette politique ait comme objectif explicite le rétablissement du poids démographique de nos communautés.

Les députés de la Chambre des communes ont fixé à 6,1 % le seuil visé, soit la proportion que formaient nos communautés en 1971.

Cela met la table pour une cible fédérale d’immigration francophone beaucoup plus élevée et pour des mesures en immigration faites spécifiquement en fonction des réalités de nos communautés.

Cette cible de 6,1 % dont parle Mme Roy se trouvera inscrite à la Loi sur les langues officielles, grâce au paragraphe 6(2) du projet de loi C-13.

Mon second exemple de mesure intéressante du projet de loi C-13 touche le bilinguisme de la Cour suprême du Canada. Le projet de loi prévoit une obligation de bilinguisme institutionnel à la Cour suprême, sans toutefois imposer que chacun des neuf juges de la cour soit bilingue.

Sur cette question, je suis d’accord avec l’interprétation du leader du gouvernement au Sénat. Au cours d’un échange qu’il a eu le 30 mai 2023, il a confirmé comme suit que cette obligation prévue dans le projet de loi C-13 :

[...] ne signifie pas que tous les juges nommés à la Cour suprême ou à toute autre cour supérieure doivent être bilingues ou parler couramment les deux langues. Ce n’est pas ce que le projet de loi exige. Il s’agit d’une obligation applicable à la Cour en tant qu’institution […]

Or, il faut savoir que l’audition d’un appel à la Cour suprême se fait devant un quorum d’au moins cinq juges. Ainsi, l’obligation prévue dans le projet de loi C-13 fait en sorte que la cour devra avoir minimalement cinq juges bilingues pour qu’elle puisse toujours avoir un quorum de juges bilingues capable de comprendre les témoignages et les plaidoiries, qu’ils soient en anglais ou en français, et ce, sans l’aide d’un interprète.

Conséquemment, le projet de loi C-13 ne privera pas des juristes au talent exceptionnel, mais qui ne seraient pas parfaitement bilingues, d’une possibilité de présenter leur candidature pour être nommés à la Cour suprême.

Si le projet de loi C-13 avait prévu une obligation de bilinguisme individuel, c’est-à-dire d’imposer à tous les neuf juges de la Cour suprême d’être parfaitement bilingues, cela aurait été, selon moi, susceptible de contrevenir à l’article 16 de la Charte canadienne des droits et libertés et à l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Je l’ai déjà affirmé dans un discours au Sénat le 11 mai 2010 en m’exprimant comme suit :

L’article 16 crée l’obligation pour l’institution judiciaire de veiller à ce que le juge qui entend l’affaire comprenne la langue de la partie. Il ne l’oblige pas à être bilingue. Il n’existe aucune condition préalable à une magistrature bilingue, puisque cela violerait les droits des juges, garantis par l’article 133 [...].

Pour toutes ces raisons, je vous invite à voter en faveur du projet de loi. Le commissaire aux langues officielles s’est exprimé comme suit le 7 juin 2023 au Comité sénatorial permanent des langues officielles :

Bien que le projet ne soit pas parfait, je suis d’avis qu’il contient la base nécessaire pour aller de l’avant.

Il est crucial de surveiller étroitement la mise en œuvre de la Loi afin de bien évaluer les retombées de celle-ci et de cerner les problèmes rencontrés lors de son application.

Merci.

L’honorable Lucie Moncion : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui sur le territoire non cédé de la Nation algonquine anishinabe, à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-13, Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada.

Encore une fois, je me dois, dans le cadre de ce discours, de reconnaître le caractère colonial des langues officielles et de souligner l’importance d’appuyer les peuples autochtones dans l’exercice de la réappropriation, de la revitalisation et du renforcement des langues autochtones au Canada.

Nous savons que l’échéance de la révision de la Loi sur les langues autochtones arrive à grands pas. Je me permets de rappeler dans cette enceinte, comme nous le faisons d’ailleurs dans le rapport du Comité sénatorial permanent des langues officielles, que cette loi prévoit un examen indépendant cinq ans après son entrée en vigueur, en date du 21 juin 2019.

Il sera de notre devoir d’exercer une surveillance et une vigilance pour que ce travail soit fait conformément aux exigences conférées dans cette loi, et surtout, dans le respect des principes de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Plus précisément, notre rapport indique que ce travail doit se faire de la façon suivante :

Dans un esprit de réconciliation et de décolonisation, votre comité s’attend à ce que le gouvernement fédéral se conforme à ses obligations et même qu’il dépasse les attentes juridiques minimales dans le respect des droits de gouvernance et d’autodétermination des peuples autochtones du Canada.

[Traduction]

La décolonisation du régime des droits linguistiques du Canada, que préconise le rapport du Comité des langues officielles, ne peut pas se faire dans le cadre restrictif de la Loi sur les langues officielles. Ce travail exige suffisamment de temps et d’espace, comme l’a expliqué dans son discours mon collègue le sénateur Cormier, le parrain du projet de loi, en parlant de Warren Newman, avocat général principal, Section du droit international, administratif et constitutionnel du ministère de la Justice Canada, lors de sa comparution devant le comité.

Dans le contexte de l’élaboration de lois liées à l’identité, M. Newman nous a dit que nous devons respecter les différents champs d’application et la raison d’être de chaque loi, qui sera interprétée de manière harmonieuse et complémentaire.

Ces principes de l’interprétation des lois me permettent d’être optimiste à l’égard de l’avenir des langues autochtones. Les communautés de langue officielle en situation minoritaire seront des alliées de la cause, car ils connaissent pertinemment le rôle de la langue dans la construction — ou même la reconstruction — de l’identité. Nous sommes et nous demeurons solidaires des peuples autochtones du Canada.

[Français]

Cela m’amène à vous parler du déclin du français au Canada et d’une asymétrie qui s’avère justifiée. Cette baisse constante du poids démographique des francophones au pays a mené le gouvernement à proposer une approche asymétrique à son projet de réforme.

Bien que ce principe soit depuis longtemps reconnu dans la jurisprudence, on pourrait dire qu’il a toujours été théorique ou même fantaisiste dans sa mise en œuvre.

Une simple lecture de cette jurisprudence volumineuse saura rendre compte des rapports inégalitaires systémiques entre les minorités de langue officielle et la majorité dans une province donnée. Les inégalités s’accentuent lorsque la langue minoritaire est le français.

Au côté du caractère réparateur et de l’interprétation large et libérale qu’il convient de donner aux droits linguistiques, le principe d’égalité réelle figure parmi les principes clés d’interprétation des dispositions du projet de loi C-13.

En proposant l’asymétrie, le gouvernement tente de donner un sens au principe d’égalité réelle entre les langues officielles, sachant que la vulnérabilité et la fragilité de la langue française au Canada et en Amérique du Nord légitiment et justifient cette approche.

Me François Larocque, titulaire de la Chaire de recherche, Droits et enjeux linguistiques de l’Université d’Ottawa, cité dans un article paru aujourd’hui dans le journal Francopresse, nous l’explique ainsi :

Pour réaliser l’égalité réelle, et non formelle, il faut en faire davantage pour la partie la plus vulnérable.

Ce dernier est convaincu de ce qui suit :

[...] la référence générique à la Charte n’effacera pas plus de 40 ans de jurisprudence […]. Des principes d’interprétation ont été établis et ne disparaitront pas [à cause de la mention].

[Traduction]

Cette asymétrie est particulièrement troublante pour les anglophones du Québec, qui ont de nombreuses craintes et des points de vue diamétralement opposés à ceux de leur gouvernement provincial. Je comprends leurs craintes, car je suis membre d’une communauté de langue officielle en situation minoritaire. La politique provinciale peut effectivement être dévastatrice pour les minorités de langue officielle. C’est pourquoi nous devons rester vigilants.

Lors de l’étude préalable, notre comité a reçu des témoignages et des mémoires contradictoires sur l’opportunité d’inclure une mention de la Charte de la langue française dans la Loi sur les langues officielles et dans la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale. Comment, vous demandez-vous, avons-nous fait pour démêler ces positions? En réalité, c’est l’autre endroit qui a tranché la question.

(2010)

[Français]

Les doléances des deux communautés de langue officielle au Québec ont accaparé la majorité des travaux de l’autre endroit, ce qui a retardé l’arrivée du projet de loi au Sénat. L’adoption du projet de loi C-13 à la Chambre des communes a été très incertaine pendant quelques semaines, mais une entente — contenant 11 amendements — entre le gouvernement du Québec et le gouvernement libéral a permis de faire débloquer le projet de loi.

Je respecte la légitimité, la vivacité et l’importance d’étudier et de débattre de ces questions. Cependant, l’ampleur du débat sur la situation au Québec a, sans contredit, restreint la capacité du législateur de porter une attention équivalente aux droits linguistiques des minorités de langue officielle ailleurs au pays.

Nous étudions ce dossier depuis très longtemps au Sénat et nous le comprenons très bien. Heureusement, sans quoi il aurait été impossible pour nous de nous prononcer sur un tel projet de loi, qui a fait l’objet de nombreux amendements par l’autre endroit, en moins de huit heures d’étude en comité.

Vous comprendrez, chers collègues, que je suis satisfaite du projet de loi C-13 avec ses amendements. J’en ai fait état lors de mon discours à l’étape de la deuxième lecture. Cependant, vu l’importance que j’accorde à la francophonie et aux droits linguistiques des minorités, je me dois d’exprimer ma déception et mon mécontentement face à l’imposition d’un calendrier très restrictif pour étudier le projet de loi au Sénat.

Nous le savons tous : la fin de la session approche, et plusieurs projets de loi doivent franchir la ligne d’arrivée avant l’ajournement du Sénat pour la saison estivale. J’éprouve donc un malaise à étudier de cette façon un projet de loi qui aura un impact aussi important sur les minorités de langue officielle et sur la survie d’une langue, d’une culture et d’une identité, aussi plurielle, diversifiée et colorée soit-elle.

En qualité de contrepoids à la Chambre des communes, la Chambre haute a pour mandat de veiller aux droits et aux intérêts des minorités et des régions, dans l’exercice du second examen objectif. Ce travail est complémentaire à celui de la Chambre basse, formée d’élus, et où règne la partisanerie.

[Traduction]

Les discussions au sein du comité de l’autre endroit ont parfois donné l’impression que la compréhension du bilinguisme canadien n’est pas plus avancée aujourd’hui qu’elle ne l’était en 1945, année où Hugh MacLennan a écrit Deux solitudes. J’espère que cette notion est désormais désuète et que nous aspirons à une vision moins divisée de la société canadienne. En nous écoutant les uns les autres, en comprenant les doléances de chacun et en faisant preuve d’empathie à l’égard des groupes les plus vulnérables, nous pouvons contrer ces tendances aux politiques identitaires et linguistiques qui sèment la discorde.

Malgré ce mécontentement à l’égard du processus, je tiens à exprimer mon appui ferme au projet de loi, car son adoption est vitale pour la survie de nos communautés.

[Français]

En 1997, la juge L’Heureux-Dubé, dans l’arrêt Lifchus de la Cour suprême du Canada, a fait une éloquente métaphore au sujet du bilinguisme et des droits des minorités, en offrant une vision plus rassembleuse que celle des deux solitudes de MacLennan.

Elle a dit ceci, et je cite :

Le bilinguisme et les droits des minorités linguistiques sont pour toujours intimement liés l’un à l’autre, comme Roméo et Juliette ou Oberon et Titania, et ils doivent être présentés comme formant un tout.

Comme j’ai tenté de le faire valoir à l’étape de la deuxième lecture, le projet de loi C-13 est d’une importance capitale pour la survie des communautés francophones en situation minoritaire. Le bilinguisme canadien est porteur des droits de ses minorités linguistiques.

Dans un esprit plus optimiste, j’aimerais vous faire part d’une autre observation qui figure dans le rapport du Comité sénatorial permanent des langues officielles et qui concerne la vigie de la Loi sur les langues officielles.

Celle-ci atténue les inquiétudes dont je viens de vous parler et s’avère particulièrement pertinente pour la suite des choses. Comme nous l’a bien rappelé le commissaire aux langues officielles lors de notre étude au comité, nous avons un projet de loi qui, bien qu’imparfait, est très acceptable. Maintenant, il sera important pour le gouvernement de se doter d’un mécanisme efficace et intégral de surveillance de la mise en œuvre de cette loi.

Ce mécanisme devra permettre d’évaluer la conformité aux différentes dispositions de la loi par les entités assujetties et être muni d’indicateurs désignant notamment le poids démographique des minorités francophones et le dénombrement des enfants des ayants droit. Ce rôle de vigie sera exercé principalement par le Conseil du Trésor, mais aussi par le commissaire, avec l’appui de Statistique Canada, et notamment par le biais du formulaire court du recensement.

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles pourra, lui aussi, exercer cette surveillance en invitant à comparaître les différents ministères et départements, ainsi que les parties prenantes. Ce travail permettra de faire des suivis en temps opportun et de rendre compte des tendances du poids démographique des francophones et du dénombrement des enfants des ayants droit.

Chers collègues, le travail ne fait que commencer ou, à vrai dire, de recommencer, mais cette fois, ce n’est plus utopique; nous avons de réelles chances de succès. La survie, comme francophone en situation minoritaire, consiste à montrer une vigilance constante et un souci de préserver sa langue d’une génération à l’autre, en étant confronté à des pressions assimilatrices multiples et à l’anglonormativité présente partout au pays.

Il peut s’agir de l’absence de services en français par une entité assujettie, mais parfois et souvent, les injustices sont plus pernicieuses et préjudiciables lorsqu’il s’agit de services de santé, des innombrables et coûteuses barrières que nous devons affronter pour faire valoir nos droits devant les tribunaux, ou encore d’un manque d’accès au continuum en éducation dans sa langue maternelle, chez soi, dans sa région.

À ce sujet, permettez-moi de citer la Cour suprême dans l’arrêt Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, dans son jugement de 2020 qui nous rappelle la raison d’être de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés :

L’école est bien plus qu’un simple lieu de transmission de connaissances théoriques et pratiques. Elle constitue également un milieu de socialisation qui permet d’échanger et de s’épanouir dans sa langue et, à travers elle, de découvrir sa culture. C’est dans cet esprit que le droit à l’instruction dans une des langues officielles du Canada s’est vu conférer un statut constitutionnel par l’art. 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Il faut parfois savoir rendre à César ce qui est à César. Le Sénat, et particulièrement son Comité des langues officielles, dont je félicite d’ailleurs le président, le sénateur Cormier, a jeté les bases structurantes de cette réforme législative. Nous avons réussi à présenter les principes structurants d’une législation qui pourrait, effectivement, renverser la tendance de la baisse du poids démographique des francophones et améliorer l’accès à l’éducation dans la langue de la minorité, ce qui me rend optimiste pour l’avenir de nos communautés et pour leur survie.

Je vous encourage, chers collègues, à voter en faveur de ce projet de loi, tout en reconnaissant que le processus a été imparfait et qu’il conviendrait, à l’avenir, de respecter le rôle unique de la Chambre haute, qui légifère en portant une attention particulière aux intérêts des minorités et des régions.

En terminant, permettez-moi de m’exprimer par l’intermédiaire des paroles d’Yves Duteil dans sa chanson intitulée La langue de chez nous :

C’est une langue belle avec des mots superbes

Qui porte son histoire à travers ses accents [...]

C’est une langue belle à qui sait la défendre

Elle offre ses trésors de richesses infinies [...]

Le projet de loi C-13 nous permet, en tant que francophones, de prendre notre place, aujourd’hui et pour demain, afin de nous créer un avenir meilleur en nous donnant la main. Merci beaucoup.

L’honorable Michèle Audette : [Note de la rédaction : La sénatrice Audette s’exprime en innu-aimun.]

Que j’avais hâte de vous partager mon amour, mes émotions, mais aussi mon expérience en tant que sénatrice devant un projet de loi, le projet de loi C-13, visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada.

J’ai remarqué en vous beaucoup de passion pour ceux et celle qui vivent en situation de vulnérabilité, dans des régions où on ne voit pas du tout le français dans les centres-villes. Dans les affiches, on ne voit que la langue anglaise. Mon fils habite Vancouver et je veux qu’il continue à parler français, et ma petite-fille aussi. Toutefois, c’est plus compliqué.

Je vois des choses partout au Canada, mais je les ai vues ici aussi : la passion, la détermination, mais surtout la peur de perdre, et cela, je le comprends. J’ai essayé de faire en sorte de ne pas vous faire peur, mais je suis restée fidèle à moi-même, fidèle dans mon approche et mes propos. On a tous voyagé, on a tous caressé d’autres territoires. À chaque endroit où nous allons, la langue, c’est la première chose que l’on entend. Parfois, on remarque la différence. C’est la langue qui fait que nous avons une identité, une culture, une relation avec le territoire et aussi des droits, des responsabilités, une histoire, une vie contemporaine, mais aussi des aspirations pour demain.

(2020)

C’est la même chose ici au Canada. C’est la même chose ici, dans cette belle grande Chambre. Vous avez certainement entendu le président de l’Inuit Tapiriit Kanatami, quand il est arrivé avec son projet de loi, en 2018, pour faire reconnaître l’inuktitut comme une langue officielle.

Cela n’a pas fonctionné; c’est devenu une loi pour les langues autochtones. Toutefois, pour ce peuple, c’était important. Ce sont eux qui habitent le Nord mais qui sont partout au Canada, mais il s’en est décidé autrement.

Vous comprendrez que j’essaie de parler anglais aussi — des fois c’est du « franglais ». Merci d’être patients avec les mots que j’invente, quand je vois dans vos yeux que vous ne comprenez pas ce que j’ai dit; mais vous êtes patients. Sinon je demande à quelqu’un —

[Traduction]

« Pouvez-vous répéter ce que vous dites? »

[Français]

C’est cela, ma réalité au quotidien; mais je parle aussi français. Je l’ai appris. Comme je l’ai déjà dit, mon papa, c’est le plus beau Québécois, mais ma mère est une Innue. Vous comprendrez que je porte les deux identités. J’ai cette responsabilité. Chaque fois qu’un projet de loi va parler des langues, vous allez m’entendre vous dire que l’innu-aimun, c’est aussi une langue officielle. Cependant, je ne suis pas allée en cour encore; je n’ai pas trouvé d’avocat encore, même si je suis entourée d’avocats. Ce n’est pas à moi de faire cela, c’est à ma nation, aux autres nations, mais aussi à vous.

La communauté internationale aussi va le dire, l’UNESCO va le dire : les langues autochtones, partout dans le monde, même au Canada, sont celles qui sont en situation de vulnérabilité. On va même les classer comme étant à risque, vulnérables, sérieusement en danger, ou tout simplement en situation critique.

Alors, je vous comprends, je vous comprends. J’ai senti que vous me comprenez, mais on n’a pas les mêmes droits. C’est là où on se demande, à l’occasion, comment on va trouver les ponts et les façons de faire afin que nos droits puissent éventuellement se connecter.

Je n’ai pas envie de toujours devoir aller en cour pour que ça arrive. De toute façon, je n’ai pas les moyens, encore moins ma nation. On a trop de causes devant les tribunaux.

C’est aussi la dualité qui m’habite quand je regarde le projet de loi, parce qu’on va défendre le français qui est très important. Je vais remarquer aussi, pour la situation anglophone, la situation de la minorité, c’est la même chose pour les Naskapis, les Inuits, les Cris, à qui on a imposé l’anglais. Mary May Simon, on lui impose l’anglais, et elle n’a pas pu étudier en français, et avec ce qui se passe au Québec, cela devient une autre barrière juridique et systémique. Voilà une autre crainte qui s’ajoute.

Je n’arrête pas de poser la question, confirmez-le-moi, parce qu’on entend l’expression « Charte de la langue française », que ce ne sera pas un outil juridique pour empêcher les nations qui sont en train de constater cela devant les tribunaux au Québec. On me dit non; on me dit oui. Alors, dans les études, ou dans les analyses, ce sera important de s’assurer que cet angle, on l’ajoute, pour être sûr que parfois, on fait des choses, alors que c’est plus tard qu’on réalise qu’on doit s’ajuster. Vous ne pouvez pas me contredire là-dessus. Toutefois, je sais que c’est précieux lorsqu’on est en situation de danger ou de précarité.

Vous avez entendu le sénateur Downe qui trouvait qu’on ratait un moment historique pour ajouter les langues autochtones dans le préambule, ou pour en faire mention à titre de langues fondatrices. Qu’est-ce que cela leur aurait fait? J’ai juste 60 amendements pour vous ce soir là-dessus — c’est une blague innue.

Tout cela pour vous dire que je suis convaincue que dans 10 ans, on va l’ajouter. Il a quelque chose qui me dit qu’on va faire en sorte qu’on va l’attacher. Il y a la Loi sur les langues autochtones, mais elle n’a pas du tout le même mordant que la Loi sur les langues officielles. Les commissaires n’ont pas du tout les mêmes pouvoirs.

Vous allez me dire que ce n’est pas pareil, mais pour moi, c’est pareil. Parce que je suis celle qui a mis fin à l’innu-aimun dans la famille. Cela a fait mal. Il a fallu une enquête sur les femmes et les filles autochtones pour dire, encore une fois : « Allez! Il faut que les provinces, les territoires et le Canada ajoutent dans leur grand livre des langues officielles nos langues autochtones. »

Peut-être que je vais le voir quand je serai un esprit fantôme au Sénat, mais j’aimerais le voir avant. Immédiatement après avoir été nommée, j’ai rencontré la ministre et pendant nos échanges, je lui ai souhaité bonne chance. On a discuté, c’était fort agréable et sympathique, mais il y a quand même quatre choses que je lui ai dites : « Faites en sorte qu’on en parle dans le préambule. C’est important. Les mots sont importants. Les mots font des paragraphes, les paragraphes font des projets de loi, etc. »

Ensuite, elle doit passer le test de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Ce n’est pas évident encore, je ne suis pas sûre, on verra pour ce qui est de l’analyse.

Ensuite, j’ai dit à la ministre : « J’espère que vous vous engagerez, avec votre équipe, avec les gardiens, les linguistes, les technolinguistes et les juristes. Allez les voir et dites-leur où on peut créer des ponts afin de donner plus de dents et s’assurer que quand je vais dans un organisme fédéral, je peux entendre ce qui se passe dans ma langue autochtone, et bien sûr aussi l’anglais ou le français. »

Ce n’est pas arrivé. On me dit que cela devrait être dans la Loi sur les langues autochtones. Je suis convaincue qu’il y aurait eu moyen de créer un équilibre, si on avait eu le temps. On m’a dit qu’ici, nous avons le temps. J’en ai du temps — jusqu’en 2040 —, on aura le temps d’analyser cela en profondeur. Cependant, je vous dis que pour celui-là, c’est arrivé vite — trop vite. À un tel point qu’émotivement, cela a brassé entre amis et collègues. J’ai eu de la difficulté avec cette situation, mais je m’en suis remise après 24 ou 48 heures.

Assurons-nous que lorsqu’on se lève et qu’on parle de réconciliation, qu’on parle de commission royale d’enquête, qu’on parle de commission d’enquête sur les femmes autochtones, de Commission de vérité et réconciliation, les Canadiens et le gouvernement ont ordonné de faire ces choses pour nous donner des projets de société, notamment en matière de langues. Comment harmoniser, comment cohabiter, comment faire en sorte qu’aujourd’hui j’ai 17 ans — même si j’ai 51 ans à cause d’une loi sur les Indiens — et que je puisse aussi avoir ces droits et ces protections qu’on va donner aux communautés minoritaires linguistiques?

J’ai confiance, je suis patiente, mais parfois, je ne le suis pas; mais je ne lâcherai pas, je ne lâcherai pas. Certains de vous me connaissent, si vous ne me connaissez pas, maintenant vous le savez, je ne lâcherai pas.

Alors pour moi, le fait de dire à M. Marc Miller ou au prochain ministre qui a des relations avec les Autochtones, ou au prochain ministre qui a des responsabilités en matière de santé des Autochtones ou de développement économique, qu’on refuse de traduire en langue autochtone une réussite entre la nation et le gouvernement, le succès d’un ministère fédéral, je pense que dans ce cas aussi, il faut l’ajouter dans l’étude pour être sûr que quelqu’un en prend la responsabilité. Si je peux un jour dénoncer quelque chose auprès d’un commissaire, que le commissaire a du poids pour faire de bonnes recommandations, faire en sorte qu’on ne se fasse pas peur quand on veut amender ou donner plus de mordant à cette loi.

J’espère que vous allez revenir. Dites-moi qu’un jour, on va réussir à faire en sorte que les peuples autochtones auront droit à 5 % de musique aux yeux du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, qu’elle ne sera pas considérée comme de la musique étrangère, alors que c’est moi qui vous ai accueillis quand vous êtes arrivés.

[Note de la rédaction : La sénatrice Audette s’exprime en innu-aimun.]

Des voix : Bravo!

L’honorable Percy Mockler : Honorables sénateurs, je n’ai jamais cru, lorsque je grandissais chez nous, que j’aurais l’occasion ce soir, après plusieurs années de vie politique, que ce soit à l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick ou au Sénat canadien, de participer au grand débat sur les langues officielles.

(2030)

Ce que je vais faire ce soir, c’est remémorer certains événements qui ont trait au Nouveau-Brunswick dont j’ai eu connaissance, qui se sont produits partout au Canada et qui impliquaient différents ministres de différents gouvernements.

[Traduction]

Honorables sénateurs, je crois que nous ne devons pas oublier une chose. Nous savons tous que développer la nation canadienne a toujours demandé et nécessite toujours des compromis.

Dans quelques semaines, 56 ans se seront écoulés depuis que j’ai été exposé pour la première fois, en 1967, à la question des langues officielles. Lorsque j’ai rencontré, à l’âge de 18 ans, le premier ministre du Nouveau-Brunswick de l’époque, Louis Robichaud, il m’a alors dit qu’il allait m’initier au dossier des langues du Canada, c’est-à-dire l’anglais et le français.

[Français]

J’aimerais féliciter l’honorable sénatrice Audette, qui parle souvent d’une langue pour les Autochtones, la langue autochtone, parce que je vais aussi faire des commentaires sur ce dossier.

Je prends la parole ce soir sur le projet de loi C-13, Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada, à titre de fier francophone et Canadien.

Le rayonnement des langues française et anglaise et le contexte minoritaire ont toujours été au cœur de mon engagement politique, que ce soit à Ottawa ou à Fredericton, et ce, tout au long de ma carrière, puisque j’ai passé près de 40 ans dans des assemblées législatives.

Honorables sénateurs et sénatrices, je m’en voudrais de ne pas citer deux premiers ministres, c’est-à-dire Louis J. Robichaud, un libéral, et Richard Hatfield, un conservateur, en 1968. Comme l’a si bien dit le ministre Louis J. Robichaud en février 1968, et je cite :

[…] le Nouveau-Brunswick deviendra officiellement et dans la pratique une province dotée de langues officielles, l’anglais et le français, dans le nouveau contexte national […]

Je suis convaincu, disait-il, que la ligne de conduite que le gouvernement du Nouveau-Brunswick s’engage à suivre contribuera énormément à l’unité et au renouveau de notre nation, tout en assurant l’égalité culturelle et linguistique des citoyens de cette province.

Il a encore dit ce qui suit, et je le cite :

Je crois que ce projet de loi est équitable et que si chacun de nous entend le traiter avec équité, le réaliser loyalement et harmonieusement, il assurera une meilleure compréhension au sein du Nouveau-Brunswick.

Je crois que, avec ce que j’ai entendu, ce que j’ai vu et ce que j’ai lu sur le projet de loi C-13 ce soir, honorables sénateurs et sénatrices, il assurera une meilleure compréhension au sein de notre beau pays qu’on appelle le Canada. C’est un pas dans la bonne direction.

Maintenant, je me dois de vous citer l’ancien premier ministre Richard Hatfield, qui a suivi le gouvernement de Louis J. Robichaud et avec qui j’ai eu l’honneur de siéger entre 1982 et 1987 à titre de plus jeune premier ministre à l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick. J’ai écouté attentivement et j’ai suivi le leadership de Richard Hatfield. Il a prononcé ces mots en 1968, mais ils sont encore très pertinents en 2023. Il a dit ceci, et je cite :

Notre attitude envers le changement ne devrait pas en être une de rejet du passé et d’un siècle d’expériences; elle ne devrait pas non plus être fondée sur la conservation du passé simplement parce qu’il existe. Nous devrions plutôt chercher à déterminer les domaines où le changement peut être nécessaire dans les structures et les institutions nationales.

Honorables sénateurs et sénatrices, le projet de loi C-13 est un « pas dans la bonne direction ». Il deviendra aussi une feuille de route importante pour la protection des deux langues officielles du Canada. Il n’y a aucun doute dans mon esprit : cette loi permettra de développer notre culture et nos langues partout au Canada.

Néanmoins, je crois, honorables sénateurs et sénatrices, que le grand défi sera pour ceux qui seront responsables de l’administration et de la mise en vigueur du projet de loi C-13.

[Traduction]

Honorables sénateurs, j’aimerais vous donner un aperçu de l’évolution du dossier des deux langues officielles du Nouveau-Brunswick depuis 1969.

En 1969, le Nouveau-Brunswick promulgue sa première loi sur les langues officielles, sous le gouvernement du premier ministre Louis J. Robichaud.

Fait important, en 1970, le premier ministre Richard Hatfield prend des mesures pour mettre en œuvre cette loi.

Le 17 juillet 1981, l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick promulgue la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick.

En 1982, la Charte canadienne des droits et libertés est promulguée.

Honorables sénateurs, la Charte canadienne des droits et libertés a été modifiée en 1993 afin d’y inscrire le principe qui sous-tend la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick.

Le 4 juin 2002, sous le leadership du premier ministre Bernard Lord, un nouveau projet de loi sur les langues officielles est présenté à l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick. Il est adopté à l’unanimité trois jours plus tard. Honorables sénateurs, la nouvelle loi sur les langues officielles avait une portée bien plus vaste que celle de 1969.

Le gouvernement Lord a aussi créé le poste de commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick.

[Français]

Chers collègues, j’aimerais faire quelques commentaires sur les langues autochtones; je m’en voudrais de ne pas le faire. J’ai remarqué que plusieurs de mes collègues autochtones ont des préoccupations par rapport aux Premières Nations et au projet de loi C-13.

Honorables sénateurs, j’ai remarqué que plusieurs questions ont été posées lors des audiences du Comité sénatorial permanent des langues officielles, de même qu’ici au Sénat, sur l’impact du projet de loi C-13 en ce qui a trait aux langues autochtones.

La sénatrice Clement et la sénatrice Audette ont raison de soulever des inquiétudes. Selon moi, les réponses qu’a données la ministre Petitpas Taylor et les fonctionnaires de son ministère ont certainement atténué — enfin, je crois — les inquiétudes envers le projet de loi C-13. Il faudra suivre tout cela attentivement.

De plus, le commissaire aux langues officielles du Canada et les deux ministres ont répondu au comité aux questions des sénateurs. Il est à noter aussi, honorables sénateurs, que le sénateur Gold a répondu avec justesse aux questions fort opportunes de cette Chambre et a donné quelques précisions, surtout sur le plan constitutionnel. Merci, monsieur le sénateur Gold.

Pour moi, il est clair et précis que les dispositions contenues dans ce projet de loi ne mineront pas la Loi sur les langues autochtones. Nous devons continuer de nous rallier aux Autochtones pour faire progresser la Loi sur les langues autochtones dans notre pays.

Honorables sénateurs et sénatrices, au cours des dernières années, nous avons appuyé la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Honorables sénateurs et sénatrices, nous avons aussi appuyé la Loi sur les langues autochtones, qui est entrée en vigueur le 21 juin 2019.

Honorables sénateurs et sénatrices, un examen indépendant de la loi doit se tenir aux cinq ans, dont cette année.

Nous, peuple de l’Acadie... Il n’y a aucun doute dans mon esprit que mes confrères et consœurs de l’Acadie, les Acadiens et Acadiennes, sont solidaires des Premières Nations, et nous serons heureux de travailler à bonifier la Loi sur les langues autochtones.

(2040)

Honorables sénateurs, je suis honoré d’avoir l’occasion de féliciter le Comité sénatorial permanent des langues officielles de son dévouement et de sa ténacité pour avoir conclu l’étude du projet de loi C-13. Celui-ci a été adopté récemment par nos collègues de l’autre endroit, avec 300 votes pour et 1 vote contre. Ils ont fait preuve d’un grand leadership en représentant tout le pays, peu importe où ils vivent.

Honorables sénateurs et sénatrices, j’aimerais également porter à votre attention le fait que le parrain et la porte-parole du projet de loi C-13, le sénateur Cormier et la sénatrice Poirier, qui ont cette loi tant à cœur, sont originaires du Nouveau-Brunswick. Nous sommes fiers de leur compassion.

[Traduction]

Sénateur Cormier et sénatrice Poirier, vous avec présenté des arguments probants, convaincants et solides sur le projet de loi C-13.

[Français]

La ministre Petitpas Taylor est également originaire du Nouveau-Brunswick. À vous trois, je vous dis merci. Merci pour votre vision nationale des langues officielles dans notre pays.

En conclusion, chers collègues, je vous demande d’être solidaires des Acadiens, des Acadiennes, des Brayons et de la communauté francophone du Canada et d’appuyer cette loi qui permettra de moderniser nos institutions et de franchir une étape de plus vers le développement de nos futures langues officielles.

De plus, en tant que parlementaire, j’ai toujours respecté le rôle que joue le Québec dans le domaine de la francophonie canadienne, non seulement ici, au Canada, mais aussi partout en Amérique du Nord.

Honorables sénateurs, je me pose toujours ces deux questions : qu’est-ce que je ferais? Qu’est-ce que cela veut dire? Voici les réponses à d’autres questions que je me pose : est-ce que le projet de loi est un pas dans la bonne direction? La réponse est oui. Est‑ce que le projet de loi aurait pu aller plus loin? La réponse est oui. Est‑ce que la situation des francophones acadiens et acadiennes sera meilleure avec cette loi que sans? La réponse est également oui. Est-ce que le projet de loi freinera le déclin du français au Canada? Espérons-le.

Je crois fermement que plusieurs des actions ou des mesures qui seront prises dépendront de la mise en œuvre du projet de loi, notamment la réglementation et les pouvoirs du commissaire aux langues officielles. C’est dans cet esprit que j’ai participé aux travaux du comité et que je vous demande d’appuyer le projet de loi C-13, parce que c’est une feuille de route pour nos enfants, nos petits-enfants et pour l’avenir des Canadiens et des Canadiennes en général, d’un océan à l’autre.

Honorables sénateurs, nous allons dans la bonne direction. Merci.

[Traduction]

L’honorable Bernadette Clement : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-13, que les francophones d’un bout à l’autre du Canada attendent depuis de nombreuses années.

Je tiens à remercier le parrain, le sénateur Cormier, la porte-parole, la sénatrice Poirier, ainsi que mes collègues du Comité permanent des langues officielles.

Je remercie les témoins, les groupes qui ont soumis des mémoires, et le personnel de soutien. Ce projet de loi est attendu depuis longtemps. Je suis d’accord avec le sénateur Mockler : une grosse somme de travail consciencieux a été accomplie.

Le projet de loi modernise la Loi sur les langues officielles. Il établit une cible d’immigration fort nécessaire pour soutenir les communautés francophones en situation minoritaire. Il accorde au commissaire aux langues officielles des pouvoirs élargis bien nécessaires. Il accorde à la présidente du Conseil du Trésor un rôle de leadership mieux défini — un rôle que les organismes francophones réclament depuis longtemps.

[Français]

Je suis francophone. J’ai des racines au Québec, en Ontario et au Manitoba. J’ai eu le privilège de vivre, de travailler et d’étudier dans ma langue maternelle. J’ai des liens professionnels de longue date avec de nombreux témoins et défenseurs qui ont contacté le comité au cours de l’étude préalable du projet de loi.

Ma francophonie est au cœur de mon identité complexe.

[Traduction]

J’appuie le projet de loi C-13.

Mais — et vous saviez qu’il y aurait un « mais » — nous avons raté l’occasion d’aller encore plus loin en nous appuyant sur nos obligations et nos engagements envers les peuples autochtones et envers notre pays.

La politique est une affaire personnelle. Cette question me touche personnellement. Je parle ici des relations que j’ai nouées ces dernières années avec des militants, des enseignants et des dirigeants extraordinaires.

Tout a commencé par une réunion avec le commissaire aux langues autochtones, Ronald Ignace, et les directeurs du Bureau du commissaire, Robert Watt, Georgina Liberty et Joan Greyeyes. Je voulais savoir comment je pouvais soutenir le travail de ce bureau nouvellement créé.

En réalité, j’espérais obtenir une orientation. Je savais que la protection, la promotion et la revitalisation des langues autochtones me tenaient à cœur, mais je ne savais pas comment je pouvais être utile.

Il est rapidement devenu évident que le commissaire et les directeurs n’allaient pas me donner de feuille de route pour me rallier à leur cause.

Ils m’ont dit d’aller de l’avant et de faire le travail que je devais faire. C’est alors que j’ai su que je ferais des erreurs. J’allais dire et faire ce qu’il ne fallait pas. Cependant, je savais que la crainte de faire des erreurs ne devait pas me retenir ni m’empêcher de faire de mon mieux pour devenir une alliée.

Cette première rencontre est à l’origine d’une grande partie de mon travail depuis lors.

[Français]

Le groupe de travail des sénateurs autochtones m’a accueillie à l’une de ses réunions, où nous avons discuté de mon souhait d’étudier la dynamique et la relation entre les langues officielles et les langues autochtones au Comité sénatorial permanent des langues officielles. Ils m’ont écoutée attentivement et respectueusement. J’ai beaucoup apprécié le temps que l’on m’a donné pour tenir cette conversation.

[Traduction]

Puis, l’été dernier, j’ai visité le Akwesasne Language Centre, l’Akwesasne Freedom School et le Native North American Traveling College, qui ne sont que quelques-unes des organisations à Akwesasne qui veillent à la protection, à l’épanouissement et au rayonnement du mohawk d’une façon novatrice, enthousiaste et efficace.

J’ai rencontré Donna, Alice, Theresa, Dorothy, Mary, Joanna, Alvera, Rebecca, Kahente, Iakonikonriiosta et Nanci.

[Français]

J’ai découvert leur travail de traduction et de création de vidéos musicales, d’élaboration de programmes scolaires, d’affiches, de livres et de sites Web en mohawk. J’ai vu par hasard un camp d’été pour enfants qui aide les jeunes à faire des liens entre la géographie et leur langue, en reliant les noms de lieux en mohawk.

J’ai entendu dire que les difficultés sont souvent causées par un manque de financement et d’espace.

[Traduction]

J’ai raconté à ces nouveaux collègues mon histoire et ce que j’espérais accomplir au Sénat.

En février, j’ai accueilli au Sénat ces mêmes groupes, quelques nouveaux amis et des membres estimés du Conseil des Mohawks d’Akwesasne, dont le grand chef Abram Benedict. C’était pour moi un honneur qu’ils viennent à Ottawa et que le sénateur Francis puisse se joindre à nous.

Nous avons eu des discussions profondes sur leur travail et le mien. Ils ont posé des questions qui ont éclairé mon examen du projet de loi C-13. Les questions incluaient les suivantes : pouvons-nous utiliser la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones pour renforcer les lois protégeant les langues autochtones? Que peuvent faire les Autochtones pour se faire entendre? Notre langue autochtone reste-t-elle pleinement nôtre si elle est inscrite dans le droit canadien? Faisons-nous confiance au gouvernement? Quels risques sommes-nous prêts à prendre après tout ce que nous avons déjà perdu?

J’ai aussi eu la chance de poser des questions, y compris pour savoir si je prononçais bien nia:wen — merci — après toutes ces années.

J’ai eu l’honneur de montrer à mes invités la plaque de laiton qui est fixée à l’extérieur de mon bureau. Certains d’entre vous savent peut-être qu’il n’y a pas eu de plaque sur la porte de mon bureau pendant environ un an et demi. Il était important pour moi que la plaque reflète la réalité du Canada, qu’elle reflète ma réalité en tant que sénatrice de l’Est de l’Ontario dont la ville se trouve sur le territoire traditionnel des Mohawks.

(2050)

Je voulais que les mots « sénatrice » et « Ontario » soient ajoutés en mohawk sur ma plaque. Honorables collègues, je ne suis pas Autochtone, mais je suis une alliée. Je ne parle pas le mohawk, mais je défends les personnes qui parlent le mohawk. J’ai eu le droit de parler ma langue maternelle tout au long de ma vie. Je continue à défendre les intérêts de ceux qui n’ont pas eu ce droit.

Il n’a pas été facile d’ajouter le mohawk à ma plaque. Heureusement, la députée Lori Idlout et la sénatrice Michèle Audette ont créé un précédent. Si j’ai pu honorer ma communauté d’origine sur ma plaque, c’est parce que d’autres ont ouvert la voie avant moi. Cette plaque représente la pluralité linguistique, la solidarité et mon engagement à collaborer.

D’ailleurs, j’ai entendu dire que d’autres collègues, la sénatrice Pate et le sénateur Francis, explorent également cette voie. Je les félicite.

Grâce au travail des traducteurs d’Akwesasne, ma plaque porte la mention Ierihwakétskwas, qui signifie « celle qui soulève des questions ». J’adore cette inscription. Il est de ma responsabilité de soulever cette question : les langues autochtones méritaient de l’attention, de la promotion et des amendements dans le projet de loi C-13. Aucun témoin n’a comparu devant le comité pour discuter des langues autochtones, bien que certaines organisations et personnes aient figuré sur la liste de témoins proposés.

Deux organismes ont même soumis un mémoire au Comité des langues officielles de la Chambre des communes : l’Assemblée des Premières Nations et le Sommet des Premières Nations. Ils ont fait valoir que la Politique sur les langues officielles — une politique colonialiste — a une réelle incidence sur leurs collectivités.

Je vais vous donner quelques exemples d’obstacles créés par cette politique et de l’incidence de celle-ci. Ce n’est pas une liste exhaustive. Nous ne pourrons réellement comprendre tout le contexte que si une étude en bonne et due forme est effectuée.

Premièrement, seule l’utilisation de l’anglais et du français est garantie pour les affaires du Parlement. La traduction et la publication des délibérations en langues autochtones ne sont pas prescrites par la loi.

Deuxièmement, de nombreux postes au sein de la fonction publique exigent la connaissance des deux langues officielles. Or, de nombreux Autochtones n’ont jamais eu l’occasion d’apprendre les deux et s’opposent d’ailleurs au fait qu’on s’attende à ce qu’ils apprennent non pas une, mais deux langues coloniales. Cela fait obstacle à leur pleine participation à la fonction publique et à l’obtention de promotions au sein de celle-ci.

De plus, nous savons que beaucoup d’écoles situées dans les collectivités autochtones ne reçoivent pas un financement équitable. Si des élèves souhaitent effectivement apprendre l’anglais ou le français comme deuxième ou troisième langue, bien souvent, il n’y a pas suffisamment de ressources pour le leur permettre.

Enfin, la Loi sur les langues autochtones ne jouit pas des mêmes dispositions d’application que la Loi sur les langues officielles. Ce n’est là qu’un échantillon. Le Sénat doit bientôt prendre le temps de discuter de cette incidence.

[Français]

Ce qui me frappe, cependant, c’est le parallèle entre les communautés de langues officielles en situation minoritaire et les communautés autochtones. Je citerai les mémoires présentés par l’Assemblée des Premières Nations et le First Nations Summit, et je soupçonne que les francophones hors Québec et les anglophones du Québec se reconnaîtront dans ces mots : « La langue est essentielle à la santé, au bien-être et à la prospérité. »

Ils se reconnaîtront également dans ce qui suit : « Nos langues sont fondamentales pour nos nations et nos histoires. »

Je ne prétendrai pas que les peuples autochtones et les communautés de langue officielle en situation minoritaire ont vécu la même expérience. Loin de là. Pourtant, si je souligne ces liens, c’est parce que les francophones ont mené et mènent encore des combats pour préserver et protéger leur langue. Il y a une réelle familiarité partagée avec la douleur qui accompagne la perte de la langue et, je l’espère, une unité partagée dans la lutte pour la préservation de la langue.

Je pense que nous sommes plus forts lorsque nous travaillons ensemble, et je pense que l’établissement de liens entre toutes ces communautés nous aidera à élaborer et à mettre en œuvre une meilleure politique linguistique pour nous tous.

[Traduction]

La sénatrice Audette et moi, en collaboration avec la sénatrice Greenwood, avons proposé des amendements au projet de loi C-13, des amendements qui visaient à inclure une référence à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, à reconnaître que les langues autochtones sont les premières langues du territoire canadien et à exiger du Conseil du Trésor qu’il trouve des façons de faire la promotion de l’utilisation des langues autochtones au sein de la fonction publique.

Tous ces amendements ont été rejetés.

On me l’a déjà demandé et je suis certaine qu’on me le demandera encore : pourquoi parle-t-on des langues autochtones alors qu’il est question d’un projet de loi sur les langues officielles?

[Français]

Mon amie la sénatrice Audette s’est exprimée avec éloquence à ce sujet lundi soir. Voici ce qu’elle a dit :

On parle des langues officielles qui sont le français et l’anglais, mais les locuteurs des langues autochtones n’ont même pas pu participer au débat pour dire qu’ils font aussi partie des langues officielles de ce beau grand pays.

[Traduction]

Les discussions sur les langues officielles doivent inclure les langues autochtones, les premières langues utilisées à l’origine sur le territoire canadien. Il faut inclure les experts des langues autochtones, les leaders autochtones et les gardiens du savoir. C’est une question de respect et de reconnaissance de l’histoire et des impacts qui perdurent de nos jours. Je dois souligner que la Loi sur les langues autochtones et la création du poste de commissaire aux langues autochtones représentent d’énormes avancées.

Le travail qui est fait et qui continuera d’être accompli grâce à cette loi et au commissariat aura un impact important. Cependant, les progrès ne devraient pas s’arrêter là et nous empêcher d’essayer de comprendre les interactions entre la politique sur les langues officielles et les langues autochtones.

[Français]

Je respecte le contexte de notre étude du projet de loi C-13. Les communautés francophones attendent depuis des années une mise à jour du régime linguistique canadien et, en tant que francophone, j’ai moi aussi attendu des années. C’est là que l’intersectionnalité devient douloureuse : je dois trouver un équilibre entre mon héritage et mon besoin d’être une alliée.

J’entends le sentiment d’urgence et je n’y ai pas fait d’obstacle, mais j’espère que nous avons ouvert la porte à d’autres conversations, non seulement au Comité des langues officielles, mais aussi au Sénat et dans nos activités, dans nos communautés.

[Traduction]

Je voudrais citer l’observation préparée par la sénatrice Greenwood, la sénatrice Audette et moi-même :

Les peuples autochtones au Canada, ayant leurs expériences et histoires uniques, s’attendent à ce que le gouvernement du Canada remplisse ses engagements envers eux tels qu’élaborés et adoptés dans la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, dans les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, dans les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et filles autochtones disparues et assassinées, ainsi que dans la Loi sur les langues autochtones.

La LLO n’existe pas en vase clos. Chaque loi approuvée par le Parlement du Canada est une occasion pour la vérité, la réconciliation et l’action, ainsi que pour s’éloigner de politiques coloniales néfastes.

Chaque projet de loi est une occasion de réconciliation. Aucun projet de loi, aucune politique n’existe en vase clos. Nous avons tous des communautés d’origine sur des territoires autochtones traditionnels. Nous avons tous la possibilité de nouer des relations. Je promets de continuer à le faire. Travaillons ensemble sur ce dossier.

Merci, nia:wen.

L’honorable Margo Greenwood : Merci, Votre Honneur, et félicitations pour vos nouvelles fonctions.

Honorables sénateurs, j’ai un souvenir de jeunesse que je souhaite vous raconter ce soir.

C’était un après-midi ensoleillé, un après-midi albertain. Je suis rentrée après avoir joué dehors et j’ai trouvé mon père assis à la table de la cuisine en train d’écrire son nom, encore et encore. Je pouvais voir sa signature sur la page à plusieurs reprises. Je lui ai demandé : « Qu’est-ce que tu fais? » Et il m’a répondu : « J’écris en bon anglais. »

J’ai souvent pensé à ce souvenir, et il me rend triste.

Mon père n’a été à l’école que jusqu’en sixième année, nous pensons. La vie et l’école lui ont appris à ne pas communiquer dans sa première langue, le cri. Mon père pensait que c’était ce qu’il y avait de mieux pour son propre bien. Mon père croyait que parler un bon anglais signifiait assurer la sécurité de ses enfants.

Mon père ne m’a jamais appris à parler le cri. L’expérience coloniale a atteint son but.

(2100)

Honorables sénateurs, je suis...

[Note de la rédaction : La sénatrice Greenwood s’exprime dans une langue autochtone.]

... du territoire du Traité no 6. Je vous fais connaître mon nom indien afin de mettre en contexte ce que je dis. Je prends la parole aujourd’hui pour la première fois...

Des voix : Bravo!

La sénatrice Greenwood : ... depuis que j’ai été nommée à cette honorable Chambre.

Je commence en saluant les ancêtres et les territoires non cédés du peuple algonquin anishinabe. Je leur exprime ma gratitude pour avoir le privilège de travailler et de vivre sur leurs terres.

Je salue aussi les nombreuses personnes qui m’ont appuyée dans mon périple jusqu’à la Chambre rouge. Ce n’est que grâce à l’amour de ma famille, de ma communauté, de mes amis et de mes collègues que je suis ici aujourd’hui.

Je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois. Je salue le comité et tous ceux qui ont travaillé si fort pour façonner ce projet de loi.

Je tiens aussi à remercier personnellement les sénatrices Audette et Clement de s’être fait les championnes des droits des peuples autochtones dans le cadre de ce projet de loi.

Vous avez déjà probablement entendu une bonne partie de ce que je m’apprête à dire ce soir, mais qu’il en soit ainsi.

D’autres estimés collègues ont parlé de l’importance de la langue dans leur culture et leur mode de vie.

Pendant un débat précédent au sujet de ce projet de loi, le sénateur Cormier avait cité un extrait de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Ford c. Québec  :

Le langage n’est pas seulement un moyen ou un mode d’expression. Il colore le contenu et le sens de l’expression. [...] C’est aussi le moyen par lequel on exprime son identité personnelle et son individualité.

Ces propos tirés de la décision sont très touchants, et je cite :

[...] qu’il ne peut y avoir de véritable liberté d’expression linguistique s’il est interdit de se servir de la langue de son choix.

Honorables sénateurs, je suis ici pour contribuer à cette discussion. Il y a une riche diversité linguistique partout sur le territoire qu’on appelle aujourd’hui le Canada. Pourtant, ce ne sont pas toutes les langues qui jouissent des mêmes privilèges et protections. Cette hiérarchie met en évidence une injustice. Le Parlement et, par extension, le Sénat ont été à l’origine de nombreuses injustices tout au long de l’histoire de notre pays. Le Sénat a aussi fait des efforts pour corriger ces injustices.

Je crois que le Sénat se doit de remédier à l’injustice chaque fois que c’est possible. C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis ici. Nous pouvons remédier à l’injustice qui consiste à privilégier certaines langues par rapport à d’autres.

Je veux prendre un instant pour réfléchir à la nature de la langue. La langue exprime notre façon de penser et d’évoluer dans le monde. La langue façonne notre réalité. La langue, c’est la culture. La langue permet de transmettre notre mode de pensée et de vie d’une génération à l’autre. La langue crée des visions du monde profondément différentes.

De nombreuses langues autochtones sont ancrées dans des traditions orales en constante évolution. Elles tissent des liens entre les humains et le monde naturel. Ces relations sont sacrées. Ce sont des relations caractérisées par des sons particuliers, par le silence et par des mots réfléchis qui reflètent les terres où les langues autochtones ont toujours été enracinées.

Imaginez le son du grand héron lorsqu’il sort de l’eau. Imaginez le sifflement aigu de l’aigle qui plane au-dessus de votre tête, le bruissement des quenouilles glacées dans le vent printanier et le jappement aigu du coyote.

Ces sons sont intégrés dans les langues autochtones. Nos sons incarnent la relation entre les humains et la terre. Des sons spécifiques sont propres à des lieux et à des espaces spécifiques. Ce sont les lieux et les espaces de l’île de la Tortue.

Nos langues sont les premières langues de cette terre qu’est l’île de la Tortue. Mais ces premières langues sont en crise. Nous sommes en train de perdre de nombreuses langues autochtones sur l’île de la Tortue. Lorsqu’une langue disparaît, une façon de comprendre le monde et d’exister dans le monde disparaît aussi.

La colonisation est responsable de cette perte. Cette sombre histoire appartient à tous les habitants de l’île de la Tortue. Même avant la Confédération, des enfants et des familles autochtones de plusieurs générations ont subi des efforts d’éradication de leurs langues dans les pensionnats et les externats. Souvent, les enfants étaient battus pour avoir parlé leur langue.

Les peuples autochtones n’ont pas le privilège de voir leurs langues reconnues comme langues officielles sur leur propre territoire. Récemment, le Canada a pris des mesures importantes en faveur de la réconciliation; il a aussi présenté des excuses au sujet des pensionnats. En 2015, la Commission de vérité et réconciliation a publié ses appels à l’action, qui invitent le gouvernement fédéral à « reconnaître que les droits des Autochtones comprennent les droits linguistiques autochtones ».

En 2019, la Loi sur les langues autochtones a reçu la sanction royale et les langues autochtones ont été reconnues comme les premières langues du pays. La même année — comme la sénatrice Audette le sait — l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a publié son rapport final et ses appels à la justice. L’appel à la justice 2.2 se lit comme suit :

Nous demandons à tous les gouvernements de reconnaître les langues autochtones comme langues officielles, et de veiller à ce qu’elles bénéficient du même statut et des mêmes protections que le français et l’anglais [...]

En 2021, le Canada a adhéré à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. La déclaration contient de nombreux articles concernant les langues autochtones.

Cela nous amène à aujourd’hui. Cela nous amène aux efforts déployés par nos collègues parlementaires pour faire avancer la cause de la réconciliation. Le projet de loi C-13 reconnaît la richesse de la diversité linguistique. Mais toutes les langues n’ont pas les mêmes privilèges en tant que langues officielles. La Loi sur les langues officielles n’existe pas en soi.

Chaque projet de loi qui passe par cette enceinte est une occasion de vérité, de réconciliation et d’action. Chaque texte législatif adopté par le Sénat est une occasion de s’éloigner des politiques colonialistes néfastes du passé. Le projet de loi C-13 nous offre l’occasion de nous attaquer à certaines de ces politiques. Le projet de loi C-13 reconnaît l’existence des langues autochtones, mais, contrairement à la Loi sur les langues autochtones, il ne les reconnaît pas en tant que premières langues. Des sénateurs ont tenté de l’amender afin d’y inclure cette reconnaissance. Cela aurait représenté un pas important vers la réconciliation. Malheureusement, cet amendement a été rejeté.

(2110)

On a aussi proposé des amendements pour reconnaître l’engagement du Canada à mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. La Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones fournit une feuille de route au gouvernement du Canada et aux peuples autochtones pour qu’ils travaillent ensemble à la mise en œuvre de la Déclaration. Cette loi contient de nombreux articles qui expliquent l’importance des langues autochtones, y compris l’article 13, qui dit ceci :

1. Les peuples autochtones ont le droit de revivifier, d’utiliser, de développer et de transmettre aux générations futures leur histoire, leur langue, leurs traditions orales, leur philosophie, leur système d’écriture et leur littérature, ainsi que de choisir et de conserver leurs propres noms pour les communautés, les lieux et les personnes.

Cette loi est conçue de manière à ce que l’ensemble des lois fédérales tiennent compte de cette déclaration. Malheureusement, cette proposition d’amendement a aussi été rejetée.

De nombreux arguments ont été avancés pour dire qu’au lieu de modifier la Loi sur les langues officielles, nous devrions modifier la Loi sur les langues autochtones. La Loi sur les langues officielles ne doit pas être dissociée des objectifs de la réconciliation. La modification de la Loi sur les langues officielles pourrait permettre de renforcer l’utilisation des langues autochtones ici, au Parlement. La modification de cette loi pourrait renforcer l’utilisation des langues autochtones dans la fonction publique. En outre, la modification de cette loi pourrait faire savoir aux Canadiens que le gouvernement prend au sérieux l’avancement de la réconciliation.

La mise en œuvre de l’appel à la justice no 2.2, qui consiste à reconnaître les langues autochtones comme langues officielles bénéficiant du même statut et de la même protection que le français et l’anglais, est une étape fondamentale sur la voie de la réconciliation. J’espère que vous vous en rendez compte, Michèle, alors que nous siégeons toutes deux ici. En élevant les langues autochtones, nous ne supprimons pas le français ou l’anglais. Ce n’est pas la raison d’être des langues officielles. Toutefois, en valorisant les langues autochtones, nous éliminons certains des obstacles à la réconciliation.

Il est de ma responsabilité, en tant que sénatrice, de faire avancer la cause de la réconciliation chaque fois que cela est possible, y compris aujourd’hui et tous les jours.

Que faire maintenant? Je vous lance une invitation. Si les sénateurs croient vraiment que le projet de loi C-13 n’est pas le projet de loi qu’il convient d’amender, et qu’il devrait être adopté, alors je les invite, en tant que parlementaires, à adopter rapidement avec moi un projet de loi qui créera une véritable égalité pour les langues autochtones de notre pays.

Honorables sénateurs, je vous remercie de m’avoir accordé ce temps de parole et j’aimerais vous laisser sur une dernière citation des commissaires de la Commission royale sur les peuples autochtones :

Le Canada est le terrain d’essai d’une noble idée — l’idée selon laquelle des peuples différents peuvent partager des terres, des ressources, des pouvoirs et des rêves tout en respectant leurs différences. L’histoire du Canada est celle de beaucoup de ces peuples qui, après bien des tentatives et des échecs, s’efforcent encore de vivre côte à côte dans la paix et l’harmonie.

Je me réjouis à l’idée de continuer à travailler avec vous, mes collègues sénateurs, pour que justice soit faite.

Hiy hiy.

Des voix : Bravo!

[Français]

L’honorable Rose-May Poirier : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture en tant que porte-parole du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

D’entrée de jeu, j’aimerais remercier mes collègues du Comité sénatorial permanent des langues officielles, qui ont travaillé très fort lors de notre étude préalable et de notre étude du projet de loi.

Nous avons une belle relation de travail au sein du comité et je suis fière de tout le travail que nous avons fait ensemble pour les Canadiens. Chers collègues, maintenant que nous en sommes à l’étape de la troisième lecture, je me concentrerai un peu plus sur certains amendements concrets que le projet de loi C-13 propose d’apporter à la Loi sur les langues officielles ainsi que sur la nouvelle Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale.

Comme je l’ai indiqué dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, la dernière modification majeure de la Loi sur les langues officielles est survenue en 1988. Déjà, à pareille date, 17 ans après l’adoption de la Loi sur les langues officielles, le besoin de révision était nécessaire, comme l’indique le discours du Trône à l’ouverture de la 33e législature :

Le bilinguisme officiel est un élément essentiel de notre identité nationale. Dix-sept ans après son adoption, la Loi sur les langues officielles a maintenant besoin d’être révisée. Des mesures législatives vous seront donc proposées pendant la session en vue notamment de la rendre conforme aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés.

Nous voici, 35 ans après cet engagement du gouvernement Mulroney et la refonte successive, avec la possibilité de renforcer la Loi sur les langues officielles et de poursuivre la marche vers l’égalité réelle entre le français et l’anglais. En septembre 1969, au micro de Simon Durivage de Radio-Canada, au sujet de l’entrée en vigueur de la Loi sur les langues officielles, on indiquait déjà qu’il y avait un grand pas à franchir entre l’interprétation de la loi et son application.

Force est de constater qu’aujourd’hui, 53 ans plus tard, le pas n’est pas pleinement franchi et que le projet de loi C-13 nous propose un moyen de s’approcher de cet objectif.

[Traduction]

Je me permets de commencer, honorables collègues, par la coordination de la Loi sur les langues officielles. Comme certains d’entre vous le savent peut-être, des intervenants réclament depuis des années une meilleure coordination de la loi. Comme je l’ai dit dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, le consensus s’est construit autour de la responsabilité du Conseil du Trésor dans la coordination de la loi. Toutefois, la manière d’y parvenir n’est pas aussi simple qu’on pourrait le penser.

Dans son livre blanc intitulé Français et anglais : vers une égalité réelle des langues officielles au Canada, le gouvernement semble prendre l’engagement de faire du Conseil du Trésor le ministère responsable de la coordination à l’échelle du gouvernement. À la page 26, on trouve la proposition législative suivante :

Renforcer et élargir les pouvoirs conférés au Conseil du Trésor, notamment celui de surveiller le respect de la partie VII de la Loi, le cas échéant, en accordant au Secrétariat du Conseil du Trésor les ressources nécessaires pour assumer le rôle d’organisme central chargé de veiller à la conformité des institutions fédérales et en examinant les cas où les dispositions permissives seraient rendues obligatoires.

Lorsque le projet de loi C-13 a été présenté, la coordination pangouvernementale a été confiée au ministre du Patrimoine canadien, en dépit de l’engagement pris par le gouvernement de la confier au Conseil du Trésor. Il était ahurissant que, après que la majorité des intervenants — y compris votre comité — ait recommandé au gouvernement de charger le Conseil du Trésor de la coordination de la loi, le gouvernement ait décidé de faire fi de cette recommandation. Heureusement, le comité de l’autre endroit s’est assuré que le gouvernement respecterait son propre engagement, qu’il a pris dans son livre blanc, en amendant le projet de loi C-13.

[Français]

Permettez-moi, chers collègues, de donner un exemple concret des raisons pour lesquelles nous avons besoin de renforcer le Conseil du Trésor. En 2017, le gouvernement a mis sur pied la Banque de l’infrastructure du Canada. Or, dès sa création, on a vu un manque de leadership pour assurer que cette institution soit au fait de ses engagements linguistiques concernant le service au public dans les deux langues officielles.

Comme le commissaire aux langues officielles l’a dit dans son rapport annuel de 2018-2019 :

Nous avons besoin de la participation active et de l’apport de tous les joueurs autour de la table pour atteindre les objectifs de la Loi et continuer à faire progresser le dossier des langues officielles. Dans cette optique, le commissaire incite le Secrétariat du Conseil du Trésor à jouer un rôle accru en fournissant un encadrement continu aux institutions fédérales, particulièrement à celles nouvellement créées qui ne sont pas encore au fait de leurs obligations en matière de langues officielles.

(2120)

Comme vous le voyez, le commissaire incite le Secrétariat du Conseil du Trésor à jouer un rôle plus actif auprès des institutions fédérales. Cela me ramène encore une fois au sujet du leadership dont j’ai discuté lors de mon discours à l’étape de la deuxième lecture. Puisqu’on lui a confié la coordination de la Loi sur les langues officielles, le Conseil du Trésor pourra exercer un leadership plus fort. Le langage sera plus clair. On en a discuté lors du témoignage de la ministre des Langues officielles, l’honorable Ginette Petitpas Taylor, et de la présidente du Conseil du Trésor, Mona Fortier. Le Conseil du Trésor jouera ce rôle, alors que Patrimoine canadien continuera d’être davantage sur le terrain.

Cependant, des inquiétudes persistent. L’observation suivante, que contient le rapport de votre Comité des langues officielles le montre bien :

Cependant, votre comité constate que plusieurs témoins, dont le commissaire aux langues officielles, ont fait valoir l’importance pour le gouvernement fédéral de se doter d’un mécanisme efficace et intégral de surveillance de la mise en œuvre de la LLO. Ce mécanisme devrait permettre d’évaluer la conformité aux différentes dispositions de la LLO par les entités assujetties et d’être muni d’indicateurs désignant notamment, le poids démographique des minorités francophones et le dénombrement des ayants droit.

Cette observation indique clairement au gouvernement quelles sont les attentes du comité et des communautés linguistiques en situation minoritaire. Il est impératif que le gouvernement puisse bien évaluer la mise en œuvre de la loi, afin que, dans 10 ans, lors de sa révision, nous puissions l’ajuster là où le besoin l’exige.

[Traduction]

De plus, la partie VII de la loi a été contestée à de nombreuses reprises devant les tribunaux. Pour résumer, la partie VII précise que le gouvernement doit prendre des mesures positives pour promouvoir la vitalité des communautés francophones et anglophones en situation minoritaire au Canada. C’est là que le bât blesse : il manque des détails sur ce qu’est une mesure positive et sur la manière dont le gouvernement doit procéder pour prendre de telles mesures. Encore une fois, c’était une partie où des précisions s’imposaient pour que les parties prenantes comprennent à quoi elles peuvent s’attendre du gouvernement fédéral et quelles sont ses obligations.

Lorsque nous discutons de la partie VII de la loi, je pense qu’il est important de nous rappeler que le gouvernement fédéral s’engage :

[...] à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne.

L’engagement du gouvernement fédéral est modifié, mais seulement en ajoutant la prise en compte du caractère unique de toutes les minorités linguistiques au Canada. La culture et la réalité des francophones vivant à Halifax, en Nouvelle-Écosse, sont bien différentes de celles des anglophones vivant à Sherbrooke, au Québec, lesquelles seront toutes différentes de celles des francophones du Manitoba. Cela dit, cet article insiste également sur ce qu’elles ont en commun, c’est-à-dire un engagement de la part du gouvernement fédéral à favoriser leur épanouissement.

Comment le gouvernement fédéral favorisera-t-il l’épanouissement des communautés linguistiques minoritaires? En appliquant des mesures positives. Les modifications à la partie VII de la Loi sur les langues officielles prévues dans le projet de loi C-13 énumèrent les secteurs dans lesquels des mesures positives pourraient viser :

[…] à appuyer des secteurs essentiels à l’épanouissement des minorités francophones et anglophones, notamment ceux de la culture, de l’éducation — depuis la petite enfance jusqu’aux études postsecondaires —, de la santé, de la justice, de l’emploi et de l’immigration, et à protéger et à promouvoir la présence d’institutions fortes qui desservent ces minorités.

À l’avenir, le gouvernement devrait avoir une idée plus précise des secteurs essentiels à notre épanouissement. En outre, le comité de l’autre endroit a renforcé les dispositions relatives aux exigences de consultation. Le projet de loi C-13 propose maintenant que les mesures positives prises par des institutions fédérales soient fondées sur des analyses résultant d’activités de dialogue, de consultation et de recherche, et que ces activités de dialogue permettent de prendre en compte les priorités des minorités francophones et anglophones.

Comme je l’ai mentionné dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, le projet de loi C-13 modifie la partie VII de la loi de façon à inclure l’engagement du gouvernement relativement à l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui concerne le droit des enfants à recevoir leur enseignement dans la langue de la minorité francophone ou anglophone de la province ou du territoire.

Le fait de lier cet engagement au secteur de l’éducation de la petite enfance jusqu’à l’éducation postsecondaire en reconnaissance du caractère essentiel de ce secteur pour la vitalité des communautés anglophones et francophones minoritaires donne l’espoir à ces communautés que le gouvernement fédéral travaille au respect de leurs droits à l’éducation.

[Français]

Enfin, on a ajouté un élément clé à la partie VII, soit celui qui traite des dispositions linguistiques lorsque le gouvernement fédéral négocie avec les gouvernements provinciaux et territoriaux. Trop souvent, les communautés anglophones et francophones en situation minoritaire sont oubliées lorsqu’il est question des ententes intergouvernementales. Je pense à un exemple récent, soit l’entente concernant les garderies que le gouvernement fédéral a signée avec les provinces.

Lors de la réunion du Comité sénatorial permanent des langues officielles du lundi 5 juin 2023, à la question de mon collègue le sénateur Mockler au sujet du programme national de garderies, Mme Liane Roy, de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, a répondu ceci :

Dans les négociations, c’est déjà fait. Par contre, si c’était à refaire et si on avait le projet de loi C-13 tel qu’il est rédigé actuellement, lors des négociations entre les fonctionnaires des différentes provinces, des territoires et le gouvernement fédéral, il y aurait eu des discussions pour déterminer si ces provinces et territoires avaient consulté les communautés, pour déterminer ce qui devrait figurer dans ces ententes par rapport aux garderies. Est-ce qu’on connaît le nombre de garderies? Est-ce qu’on a les bons chiffres pour déterminer les sommes d’argent qui devraient être allouées aux communautés? Cela s’applique aux deux groupes, soit aux anglophones au Québec ou aux francophones hors Québec.

Cette crainte s’est déjà réalisée dans ma province, le Nouveau‑Brunswick.

Dans le cadre de l’entente entre la province et le gouvernement fédéral en vue de diminuer le coût des services de garde, le gouvernement provincial a décidé de créer 1 600 places pour le secteur anglophone et 300 places pour le secteur francophone. C’est un grand écart qui ne représente nullement le poids démographique des communautés linguistiques.

Une famille francophone à faible revenu risque d’avoir à faire un choix déchirant entre payer plus cher pour que son enfant commence son parcours scolaire en français ou payer un prix raisonnable pour qu’il le fasse en anglais.

Avec un leadership fédéral fort, l’entente aura permis que les statistiques du recensement de 2021 soient utilisées et que le poids démographique soit respecté.

[Traduction]

Il est évident, chers collègues, que, dans ses négociations avec les provinces, le gouvernement fédéral devait faire plus pour s’assurer que les minorités linguistiques obtiennent au moins une part juste du financement. Le gouvernement fédéral devrait prendre les mesures nécessaires pour promouvoir son engagement à soutenir la vitalité des communautés et l’utilisation du français et de l’anglais, à promouvoir et protéger le français et à multiplier les possibilités pour les communautés minoritaires anglophones et francophones d’être scolarisées dans leur langue.

Avec toutes les améliorations proposées à la partie VII de la loi, je crois que le rôle et les responsabilités du gouvernement fédéral seront un peu plus clairs. Le mécanisme de consultation est meilleur et il ne se limite pas à des consultations; il vise à établir un dialogue avec les communautés linguistiques minoritaires. Il ne s’agirait pas de consultations factices, il y aurait un dialogue continu. La valeur du dialogue sera déterminée par la participation du gouvernement, parce qu’il est évident que les communautés linguistiques minoritaires, elles, sont toujours ouvertes au dialogue constructif.

Comment ces nouvelles modifications fonctionneront-elles si le projet de loi C-13 devient loi? Je dois revenir sur un élément important de mon discours à l’étape de la deuxième lecture, c’est‑à‑dire le leadership fédéral. La force de la partie VII de la loi, sa portée et ses répercussions potentielles reposent sur le leadership du gouvernement fédéral pour ce qui est d’en appliquer les dispositions. Car, si l’histoire nous a appris une chose, c’est bien que les minorités linguistiques au Canada dépendent beaucoup des instances judiciaires pour valider et confirmer leurs droits. Trop souvent, les minorités linguistiques doivent se tourner vers les tribunaux pour faire valider leurs droits et obliger le gouvernement fédéral à respecter ses propres lois et ses propres engagements. Combien de ressources ont été dépensées en procédures judiciaires alors qu’elles auraient pu servir à d’autres fins si le libellé avait été plus clair et si le gouvernement fédéral avait fait preuve de plus de leadership?

(2130)

À mon avis, c’était un problème majeur dans le cas de la partie VII de la Loi sur les langues officielles. Le gouvernement fédéral et ses organismes étaient incapables de comprendre pleinement les attentes des minorités linguistiques et leurs propres devoirs. Ils ne savaient pas ce qu’était une mesure positive et le libellé était vague. J’espère sincèrement que le gouvernement fédéral prendra au sérieux son engagement et évitera de forcer les communautés linguistiques en situation minoritaire à intenter des poursuites, car celles-ci coûtent cher à toutes les parties concernées et, au bout du compte, que ce soit le gouvernement ou la communauté linguistique en situation minoritaire qui ait gain de cause, c’est la vitalité de l’anglais et du français qui en ressort perdante.

[Français]

Cependant, le commissaire aux langues officielles aurait plus d’outils à sa disposition pour que les institutions fédérales respectent leurs obligations linguistiques. Par exemple, le commissaire pourrait, au terme d’une enquête, conclure un accord de conformité avec une institution s’il juge que celle-ci ne respecte pas ses obligations linguistiques. Un tel pouvoir permettra au commissaire de mieux faire respecter la Loi sur les langues officielles. C’est aussi une occasion de sensibiliser toute institution fédérale qui manquerait à ses obligations. Le commissaire pourrait les diriger vers le bon chemin afin qu’elles se conforment à leurs obligations linguistiques. J’espère que ce pouvoir accru améliorera la conformité des institutions fédérales à leurs obligations linguistiques.

Enfin, il y a un ajout important aux pouvoirs du commissaire, soit celui des sanctions administratives pécuniaires. Il est important de noter que ce régime de sanctions administratives pécuniaires est précis et limité aux cas suivants : que les institutions aient des obligations au titre de la partie IV de la loi, c’est-à-dire les communications et les services avec le public; que les institutions fassent partie du domaine des transports; que les institutions « offrent des services aux voyageurs et communiquent avec eux ».

De plus, ce pouvoir est utilisé comme toute dernière avenue. Le commissaire doit, avant d’imposer une sanction pécuniaire, proposer un accord de conformité. L’objectif de la plainte ne doit pas avoir déjà donné lieu à une sanction administrative pécuniaire. Il est aussi limité dans le temps : pas plus de deux ans après que le commissaire a été informé des faits ou pas plus de trois ans après la date de la plainte.

[Traduction]

Honorables sénateurs, cette partie de mon discours résume, à mon avis, les principales modifications à la Loi sur les langues officielles. Ce sont celles qui pourraient avoir des répercussions directes sur la vitalité des communautés linguistiques minoritaires. La deuxième partie de mon discours portera sur le processus utilisé par le gouvernement et les préoccupations que nous avons entendues au sujet du projet de loi.

La deuxième partie du projet de loi C-13 propose une nouvelle loi, la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale. Cette nouvelle loi introduira un nouveau concept en matière de droits linguistiques : la forte présence francophone. D’une part, la partie IV de la Loi sur les langues officielles prévoit des obligations en cas de « demande importante » et, d’autre part, la nouvelle loi prévoit des obligations pour les « régions à forte présence francophone ».

D’après un document soumis par Air Canada, elle sera certainement source de confusion pour les employeurs comme pour les employés. Qu’est-ce qu’une « forte présence francophone »? Votre avis est aussi pertinent que le mien, honorables sénateurs, car cela sera déterminé une fois que le projet de loi aura reçu la sanction royale.

Même si je suis toujours d’accord pour promouvoir le français et l’anglais dans la société canadienne, j’aurai toujours du mal à accepter qu’autant de décrets et de règlements n’entrent en vigueur qu’après qu’un projet de loi ait reçu la sanction royale. Lorsque le comité a effectué son étude préliminaire du projet de loi l’année dernière, une des préoccupations que nous avons entendues concernait le recours aux règlements dans la partie 2 du projet de loi C-13.

Pour des témoins comme Reno Vaillancourt des Employeurs des transports et communications de régie fédérale, de nombreuses questions sont restées sans réponse. Qu’est-ce qu’une région à forte présence francophone? Quels critères seront utilisés pour établir la nouvelle définition? Ce sont autant de questions qui préoccupent les employeurs et les plongent dans l’inconnu.

[Français]

Pour nous, législateurs, il devient difficile de bien comprendre le projet de loi que nous étudions. Je comprends que parfois, le gouvernement doit se donner une marge de manœuvre au moyen des règlements. Cependant, pour un concept important comme celui des régions à forte présence francophone, qui est au cœur même de la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale, notre travail devient plus difficile. Il est également difficile pour les témoins de nous donner une opinion claire sur le projet de loi, car le concept n’est pas encore bien défini.

Cet enjeu dans le projet de loi C-13 n’est pas réservé seulement à la partie 2 du projet de loi, mais aussi à l’adoption d’une politique en matière d’immigration francophone hors Québec. En ce qui concerne cette politique, même si elle est inscrite dans la loi, on ne précise pas quand elle sera adoptée, ce qu’elle va contenir et quand elle sera mise en place. Pour ceux qui ne le sauraient pas, la Loi sur les langues officielles contient déjà actuellement plusieurs dispositions au moyen desquelles le gouvernement peut présenter des règlements. Avant le début du processus de la modernisation de la loi, les parties prenantes demandaient depuis plusieurs années au gouvernement fédéral d’adopter un règlement ayant trait à la partie VII, comme l’indique la loi.

La prise de règlements dans la Loi sur les langues officielles ou d’un décret par le Conseil privé ne m’inspire pas toujours confiance. Il aurait été préférable que le gouvernement impose un délai de 12 mois pour l’adoption de la politique en matière d’immigration francophone hors Québec. L’effet ne se fera pas sentir le lendemain. Ce n’est pas une baguette magique qui rétablira le poids démographique des francophones ou une mesure qui sera garante de succès pour l’arrivée et la rétention de nouveaux arrivants dans les communautés francophones hors Québec. Il faudra du temps avant que l’on puisse en ressentir les effets. Plus le gouvernement attend, plus ce sera difficile pour les communautés francophones hors Québec de regagner leur poids démographique.

[Traduction]

Enfin, je dois mentionner ma déception à l’égard du gouvernement libéral pour nous avoir présenté le projet de loi C-13 si tard dans l’année, forçant le Sénat à adopter le projet de loi à la hâte. Le Comité sénatorial permanent des langues officielles a commencé son étude sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles il y a six ans, en 2017. Le bon sens aurait voulu que l’on s’appuie sur notre expertise une fois le projet de loi arrivé, afin de voir de quelle manière il pourrait être amélioré. Malheureusement, ce ne fut pas le cas. À nos collègues anglophones du Québec, on demande de faire confiance à l’avis juridique du gouvernement sur l’inclusion de la Charte de la langue française du Québec dans la Loi sur les langues officielles, tandis qu’aux communautés francophones hors Québec, on demande d’accepter le projet de loi C-13 comme un fait accompli pour éviter le risque de perdre les acquis qu’il contient. Il est décevant de voir comment la modernisation s’est déroulée. Lorsque nous avons commencé cette étude en 2017, je n’envisageais pas un processus où les gens seraient divisés. Unir les gens est à la base du bilinguisme et de la dualité linguistique; à mon avis, le gouvernement a échoué à cet égard.

Honorables sénateurs, si le projet de loi C-13 est adopté, les travaux à l’échelle du gouvernement fédéral commenceront. Il faudra du temps, des dialogues, des ajustements, de la patience et de la compréhension, mais, au bout du compte, avec un leadership fédéral fort, le bilinguisme et la dualité linguistique au Canada peuvent être renforcés pour les générations à venir. La vitalité des communautés francophones et anglophones en situation minoritaire dépend de l’efficacité du gouvernement fédéral à respecter la Loi sur les langues officielles.

[Français]

Quand je dis que la vitalité des communautés linguistiques en situation minoritaire dépend de la Loi sur les langues officielles, je n’exagère pas, car mon parcours est un exemple parfait pour illustrer cela. Je suis née dans une famille francophone qui vivait dans un milieu anglophone. J’ai donc dû commencer mon parcours scolaire en anglais. Quand j’ai commencé ma neuvième année, nous avons déménagé à Saint-Louis-de-Kent, où il y avait une école francophone. Cependant, comme j’avais déjà entamé mon parcours scolaire en anglais, il était plus facile de le terminer en anglais. Je n’ai pas pu apprendre à lire ou à écrire dans ma langue maternelle à l’école. Cela s’est fait après, une fois que mes filles ont commencé l’école en français. Il est primordial que chaque enfant ait la possibilité de commencer son parcours scolaire dans sa langue maternelle, tant en anglais au Québec qu’en français à l’extérieur du Québec.

Est-ce que le processus menant à l’adoption du projet de loi C-13 aurait pu être différent? Je crois que oui. Le gouvernement a manqué l’occasion de capitaliser sur notre second examen attentif en exigeant que le projet de loi soit étudié rapidement. Il aurait pu y avoir des améliorations dès maintenant, alors qu’elles seront sûrement proposées dans 10 ans lors de la révision de la loi. Même si ces améliorations sont apportées, l’effet ne se fera ressentir que cinq ans plus tard. Un changement comme celui qu’a proposé le député Joël Godin, soit de dénombrer les ayants droit plutôt que d’en faire l’estimation, pourrait coûter 15 ans de retard aux communautés linguistiques en situation minoritaire.

(2140)

[Traduction]

En tant que sénatrice, il m’incombe d’être la voix de mon peuple, les Acadiens du Nouveau-Brunswick, qui, même dans la seule province officiellement bilingue, est une minorité linguistique. À chaque génération, notre vitalité devient de plus en plus fragile. Il en va de même pour toutes les communautés linguistiques minoritaires au Canada. Aucune province, aucun territoire et aucun groupe linguistique ne peut y échapper.

Je m’insurge contre la manière dont le gouvernement a géré le processus de modernisation de la Loi sur les langues officielles. Il devrait s’agir d’une occasion de célébrer notre engagement à l’égard du bilinguisme et de la dualité linguistique. Cependant, je ne peux pas laisser leur mauvaise gestion retarder la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Ils attendent depuis 35 ans et j’encourage tous les sénateurs à soutenir leur minorité linguistique respective dans leur province ou territoire en appuyant le bilinguisme et la dualité linguistique ce soir au moyen du projet de loi C-13.

[Français]

En conclusion, honorables sénateurs, tout comme à l’étape de la deuxième lecture, j’appuie le projet de loi C-13, Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada. J’ai mes réserves en ce qui concerne l’approche du gouvernement; de plus, la prise de règlements et les décrets par conseil ne m’inspirent pas toujours confiance.

Cependant, c’est un pas vers l’avant pour les communautés francophones et anglophones en situation minoritaire.

On constate une reconnaissance importante du gouvernement fédéral à l’égard du continuum en éducation, et ces gains pourraient faire une vraie différence.

La réussite de toutes ces mesures dépend du leadership exercé par le gouvernement fédéral. On ne veut plus voir de poursuites judiciaires pour forcer le gouvernement à respecter ses obligations linguistiques, mais un gouvernement à l’écoute, engagé et qui appuie le rayonnement du bilinguisme et la dualité linguistique dans la mosaïque culturelle qu’est le Canada. Merci.

Des voix : Bravo!

Son Honneur la Présidente : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

[Traduction]

Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie? Je n'ai entendu aucun « non ».

Des voix : Maintenant.

Le sénateur Plett : Maintenant.

La motion, mise aux voix, est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté :

POUR
Les honorables sénateurs

Arnot Jaffer
Ataullahjan Klyne
Batters Kutcher
Bernard LaBoucane-Benson
Boehm MacAdam
Boisvenu Manning
Boniface Martin
Burey McPhedran
Busson Mégie
Cardozo Miville-Dechêne
Carignan Mockler
Clement Moncion
Cordy Moodie
Cormier Omidvar
Cotter Osler
Coyle Patterson (Nunavut)
Dagenais Patterson (Ontario)
Dasko Petten
Deacon (Ontario) Plett
Dean Poirier
Duncan Quinn
Dupuis Ravalia
Forest Ringuette
Gagné Saint-Germain
Gerba Simons
Gignac Sorensen
Gold Tannas
Greenwood Wells
Harder Woo
Housakos Yussuff—60

CONTRE
Les honorables sénateurs

Loffreda Seidman
Oh Smith—5
Richards

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs

Audette Marshall
Dalphond Pate—5
Francis

(2150)

L’ajournement

Adoption de la motion

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5g) du Règlement, je propose :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au mardi 20 juin 2023, à 14 heures.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

Projet de loi modifiant la Loi sur la gestion financière des premières nations, modifiant d’autres lois en conséquence et apportant une clarification relativement à une autre loi

Troisième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Klyne, appuyée par l’honorable sénatrice Gerba, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-45, Loi modifiant la Loi sur la gestion financière des premières nations, modifiant d’autres lois en conséquence et apportant une clarification relativement à une autre loi.

L’honorable Marty Klyne : Honorables sénateurs, comme je n’ai pas su gagner la course contre la montre hier, je prends la parole pour prononcer la deuxième partie de mon discours en tant que parrain du projet de loi C-45, Loi modifiant la Loi sur la gestion financière des premières nations. Je vise une suite du genre Top Gun : Maverick en matière de discours à l’étape de la troisième lecture au Sénat.

Lorsque je me suis interrompu, je parlais d’une grande réussite de la Saskatchewan en matière de cadres fiscaux pour les Premières Nations, que le projet de loi à l’étude vient améliorer.

Pour illustrer les avantages que comporte pour les communautés autochtones la participation à la Loi sur la gestion financière des premières nations, je présente aujourd’hui l’histoire de la nation Mistawasis Nêhiyawak.

Je cite le chef Daryl Watson, qui a dit :

L’élaboration et la mise en œuvre de politiques et de procédures pour les activités financières quotidiennes conduiront à la viabilité à long terme de la nation Mistawasis Nêhiyawak. Il est primordial de concevoir une structure avec des plans stratégiques et des plans de travail à court et à long terme afin d’assurer une bonne gouvernance administrative pour nos membres, pour les générations futures et pour nos partenaires commerciaux.

Mistawasis Nêhiyawak est une communauté crie située à 70 kilomètres à l’ouest de Prince Albert, en Saskatchewan. La nation Mistawasis Nêhiyawak est remarquable parce qu’elle a été la première, en Saskatchewan, à voir son régime de gestion financière certifié par le Conseil de gestion financière des premières nations. Cela a aidé la communauté à faire sa marque dans le monde des affaires et favorisé la création de plusieurs entreprises prospères dans divers secteurs, notamment un café station-service, un service de gestion de propriétés, une firme d’ingénierie et un entrepreneur industriel.

La communauté a été inscrite pour la première fois à l’annexe de la Loi sur la gestion financière des premières nations en 2013. Quatre ans plus tard, avec l’aide de la Commission de la fiscalité des premières nations, la communauté a adopté des lois sur l’imposition et l’évaluation foncières. En 2019, elle a fixé des taux d’imposition et adopté une loi sur les dépenses pour la première fois, ce qui lui a permis de recueillir plus de 80 000 $ pour aider à soutenir les infrastructures des Premières Nations et les services locaux fournis aux agriculteurs non membres de la communauté qui louent des terres agricoles. La Première Nation Mistawasis adopte une approche modifiée d’imposition des terres agricoles. Elle détermine le taux d’imposition moyen par acre dans la municipalité adjacente, et elle fait payer aux contribuables un montant établi en fonction du nombre d’acres loués. La Première Nation Mistawasis est la première des Premières Nations à avoir réussi à mettre en œuvre une telle approche.

Les éléments de la Loi sur la gestion financière des premières nations qui permettent de renforcer les capacités ont aidé la communauté à assurer sa prospérité économique. Pour parvenir à ce résultat, l’administrateur fiscal de la communauté a reçu une formation au centre Tulo d’économie autochtone, un établissement reconnu qui offre de la formation sur les systèmes de perception de recettes à l’échelle locale et les programmes de gestion financière. Ces connaissances ont joué un rôle essentiel dans l’établissement d’un système fiscal entièrement opérationnel pour la Première Nation Mistawasis.

En résumé, le processus de certification du système de gestion financière a aidé la Première Nation Mistawasis Nêhiyawak à concevoir et mettre en œuvre de bonnes pratiques en matière de gestion financière et administrative, à renforcer ses capacités fiscales et à promouvoir l’autodétermination.

Je me sens privilégié d’avoir pu vous faire part de cette initiative qui a été couronnée de succès après un processus de 10 ans, et qui montre ce qu’on peut faire lorsque les gouvernements des Premières Nations ont les outils nécessaires pour mettre en œuvre des pratiques de gestion financière modernes. Cela montre aussi ce qu’on peut faire lorsqu’on adopte de nouvelles pratiques et de nouvelles façons de faire, en étroite collaboration avec des experts et des dirigeants autochtones.

J’aimerais conclure en remerciant la porte-parole, la sénatrice Martin, le Comité permanent des peuples autochtones et le Sénat d’avoir fait franchir rapidement les étapes du processus au projet de loi C-45. J’aimerais aussi féliciter une dernière fois les tenants de la réconciliation économique qui ont élaboré et piloté le projet de loi. L’expérience que j’ai eue comme parrain du projet de loi C-45 renforce mon optimisme, et j’ai bon espoir que le Canada et les peuples autochtones favorisent notre prospérité commune. Il nous reste beaucoup de chemin à faire, mais nous avons trouvé la voie, avec le soleil sur nos visages et le vent dans le dos.

Merci, chers collègues, de votre soutien. J’ai bien hâte que cet important projet de loi reçoive la sanction royale.

Merci, hiy kitatamîhin.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, j’ai le plaisir de parler encore une fois du projet de loi C-45, Loi modifiant la Loi sur la gestion financière des premières nations, modifiant d’autres lois en conséquence et apportant une clarification relativement à une autre loi.

Je tiens à saluer le travail du sénateur Klyne ainsi que des membres du comité et de tous ceux qui, à l’autre endroit, ont permis de renvoyer ce projet de loi au Sénat. Mon intervention sera brève, car je ne voudrais rien faire qui puisse retarder un projet de loi aussi important et opportun.

Le projet de loi C-45 apporte des modifications à la Loi sur la gestion financière des premières nations, qui permettront d’améliorer et d’élargir le bon travail des trois institutions déjà mises en place et maintenant de la quatrième : l’Institut des infrastructures des premières nations.

Le projet de loi a été adopté rapidement par la Chambre des communes, avec seulement quelques amendements mineurs visant à clarifier le texte, et il a été adopté sans difficulté par le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

Parmi les changements apportés à la Loi sur la gestion financière des premières nations, trois éléments méritent d’être soulignés.

Tout d’abord, le projet de loi C-45 s’attaque directement au fossé honteusement large en matière d’infrastructures qui existe entre les Premières Nations et les communautés non autochtones, et qui s’élève à au moins 349,2 milliards de dollars. Il est malheureusement évident que l’approche descendante du style « Ottawa a toujours raison » n’a pas permis de résoudre ce problème. Désormais, grâce à l’Institut des infrastructures des premières nations, les communautés autochtones auront un accès direct à une organisation dirigée par des Autochtones dont l’objectif principal est de combler ce fossé.

Deuxièmement, le projet de loi continue d’élargir et de moderniser les services du Conseil de gestion financière des Premières Nations afin de répondre aux besoins des Premières Nations et d’autres groupes et entités autochtones. Il offrirait une voie facultative permettant aux conseils tribaux, aux nations signataires de traités modernes et aux groupes autonomes de renforcer leurs capacités administratives, financières et de gouvernance grâce au soutien en gestion des risques offert par le Conseil de gestion financière, comme près de 350 Premières Nations ont choisi de le faire.

Enfin, le projet de loi C-45 élargit également la portée de la Commission de la fiscalité des Premières Nations afin de soutenir les Premières Nations qui choisissent d’accroître leurs pouvoirs financiers au-delà de l’impôt foncier. Il permettrait également à cette organisation d’offrir des services aux Premières Nations autonomes, aux municipalités et à d’autres instances gouvernementales.

Le projet de loi C-45 reconnaît le droit inhérent des peuples autochtones de conserver et de développer leurs systèmes ou institutions politiques, économiques et sociaux. Par son caractère facultatif, le projet de loi C-45 reconnaît le droit des peuples autochtones de participer librement à toutes leurs activités traditionnelles et autres activités économiques.

Grâce au projet de loi C-45, la réconciliation économique est reconnue comme un pilier important de la réconciliation dans son ensemble. Il s’agit d’une étape visant à se débarrasser des obstacles à la croissance des Autochtones et à renverser l’archaïque et paternaliste Loi sur les Indiens et ses conséquences, qui ont réellement écarté les Premières Nations de l’économie nationale.

Honorables sénateurs, la réconciliation doit être centrée sur la capacité des peuples autochtones de prendre des décisions concernant leur propre vie et leurs propres collectivités. Le projet de loi C-45 ouvre la voie à cela, et j’espère que nous pourrons adopter cette importante mesure législative rapidement et à l’unanimité.

Merci.

Son Honneur la Présidente : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

(2200)

Les travaux du Sénat

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-13(2) du Règlement, je propose :

Que la séance soit maintenant levée.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(À 22 heures, le Sénat s’ajourne jusqu’au mardi 20 juin 2023, à 14 heures.)

Haut de page